Cour de justice de l’Union européenne, le 28 juin 2012, n°C-306/11

Par un arrêt rendu par sa cinquième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne rejette un pourvoi formé contre une décision du Tribunal. L’affaire offrait à la Cour l’occasion de préciser les modalités d’appréciation du risque de confusion entre deux marques complexes, et plus particulièrement la méthode d’analyse de la similitude lorsque les signes partagent un élément verbal commun.

En l’espèce, une société avait déposé une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne. Le titulaire d’une marque antérieure, enregistrée pour des produits et services similaires, a formé une opposition à cet enregistrement. L’opposition se fondait sur l’existence d’un risque de confusion pour le public, les deux signes en conflit partageant le même terme central. La division d’opposition puis la chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle firent droit à l’opposition. La société déposante forma alors un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, qui le rejeta, confirmant ainsi l’analyse de l’Office quant à l’existence d’un risque de confusion. Un pourvoi fut ensuite introduit devant la Cour de justice, la société requérante soutenant que le Tribunal avait commis plusieurs erreurs de droit, notamment dans l’appréciation de la similitude des signes et dans l’interprétation des notions de caractère distinctif et descriptif.

Le problème de droit soulevé devant la Cour de justice consistait à déterminer si le Tribunal avait correctement appliqué les critères d’évaluation du risque de confusion en se fondant principalement sur l’élément verbal commun aux deux signes. La question se posait également de savoir si le Tribunal avait opéré une juste distinction entre l’appréciation du caractère distinctif d’une marque aux fins de son enregistrement et l’évaluation de la force distinctive d’un de ses composants dans le cadre de l’analyse globale du risque de confusion.

La Cour de justice rejette le pourvoi dans son intégralité. Elle valide la méthode d’appréciation du Tribunal, considérant que celui-ci a pu, sans commettre d’erreur de droit, faire reposer son analyse de la similitude sur l’impression d’ensemble produite par les signes tout en accordant un poids déterminant à l’élément verbal commun, jugé dominant. La Cour rappelle avec fermeté la distinction entre les questions de fait, qui relèvent de l’appréciation souveraine du Tribunal, et les questions de droit, seules susceptibles d’être examinées au stade du pourvoi. Elle juge que l’appréciation de l’impression d’ensemble produite par une marque sur le consommateur moyen relève de la première catégorie. Surtout, la Cour censure l’argumentation de la requérante qui confondait les notions juridiques applicables, en précisant que « le caractère distinctif que possède un élément d’une marque complexe […] se rattache à la faculté de celui-ci à dominer l’impression d’ensemble produite par cette marque ».

La décision de la Cour s’inscrit dans une logique jurisprudentielle bien établie, qu’elle vient consolider en en précisant les contours. Elle confirme d’abord la méthode d’appréciation du risque de confusion fondée sur une analyse globale mais pragmatique (I), avant de réaffirmer avec force la taxinomie des notions de distinctivité et de descriptivité ainsi que la portée limitée de son propre contrôle (II).

I. La consolidation de la méthode d’appréciation du risque de confusion

La Cour de justice valide l’approche du Tribunal qui, pour évaluer le risque de confusion, a accordé une importance prépondérante à l’élément verbal dominant commun aux deux signes (A), tout en refusant de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juges du fond (B).

A. La prédominance de l’élément verbal commun dans l’appréciation globale

La requérante reprochait au Tribunal de s’être focalisé sur l’élément verbal « natura », commun aux deux marques, au détriment d’une analyse globale qui aurait dû prendre en compte les autres termes, « linea » et « selection ». La Cour de justice écarte cet argument, considérant que l’appréciation globale du risque de confusion n’exclut pas qu’un élément puisse exercer une influence plus déterminante sur la perception du consommateur. En l’occurrence, le Tribunal avait justement constaté que les termes « linea » et « selection » présentaient un caractère distinctif faible, car ils sont « utilisés fréquemment dans le commerce pour désigner une collection ou une gamme de produits ».

Par conséquent, en accordant un poids majeur à l’élément « natura », le Tribunal n’a pas ignoré les autres composants des signes mais a simplement tiré les conséquences de leur faible force distinctive. Son raisonnement, fondé sur l’impression d’ensemble produite par les marques en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants, est ainsi jugé conforme à une jurisprudence constante. La Cour rappelle implicitement que la similitude ne se mesure pas arithmétiquement mais qualitativement, en fonction de la structure des signes et de la perception qu’en a le public pertinent.

B. Le cantonnement du contrôle de la Cour aux seules questions de droit

Dans un second grief, la requérante soutenait que le Tribunal aurait dû considérer que les ensembles verbaux formaient des « unités conceptuelles et logiques » propres, ce qui aurait dû réduire la similitude perçue. La Cour de justice déclare ce grief irrecevable en opérant un rappel procédural fondamental. Elle souligne que son contrôle dans le cadre d’un pourvoi est « limité aux questions de droit ». L’analyse de la manière dont le public pertinent perçoit un signe, et notamment s’il le perçoit comme une unité logique ou comme une juxtaposition d’éléments, constitue une appréciation des faits.

À ce titre, cette appréciation relève de la compétence exclusive du Tribunal. Sauf à démontrer une dénaturation des faits ou des éléments de preuve, ce que la requérante n’avait pas fait, la Cour ne peut remettre en cause une telle analyse factuelle. Comme elle le formule, « l’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour ». Cette position réaffirme la répartition des compétences entre les deux juridictions de l’Union et la nature même du pourvoi, qui n’est pas une troisième instance d’examen des faits.

II. La clarification des concepts clés du droit des marques

Au-delà de la méthode d’appréciation, l’arrêt apporte une clarification bienvenue sur la distinction entre plusieurs notions fondamentales du droit des marques (A) et confirme une interprétation stricte du caractère descriptif (B).

A. La distinction entre caractère distinctif pour l’enregistrement et force distinctive dans la comparaison

La requérante commettait une confusion conceptuelle en appliquant les critères du caractère distinctif de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement, à l’évaluation d’un composant de la marque dans une procédure d’opposition. La Cour de justice censure fermement cette approche. Elle explique que la requérante « procède à une interprétation erronée des facteurs permettant d’apprécier l’existence d’un risque de confusion entre deux marques, en confondant le facteur tiré du caractère distinctif de la marque antérieure […] et le caractère distinctif que possède un élément d’une marque complexe ».

La Cour rappelle ainsi que le caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), est la capacité d’une marque à identifier l’origine commerciale d’un produit. En revanche, la force distinctive d’un élément au sein d’une marque complexe est sa capacité à dominer l’impression d’ensemble produite par cette marque aux yeux du consommateur. C’est cette seconde notion qui est pertinente pour évaluer la similitude et le risque de confusion. Cette distinction, bien que classique, est ici réaffirmée avec une grande netteté, prévenant ainsi des glissements d’analyse qui affaibliraient la cohérence du droit des marques.

B. L’interprétation restrictive de la notion de caractère descriptif

Enfin, la requérante arguait que le terme « natura » était descriptif et ne pouvait donc constituer un élément dominant. La Cour rejette cet argument en validant l’analyse du Tribunal selon laquelle ce terme n’était qu’évocateur. Le Tribunal avait jugé que si le terme « ‘évoque’ ou ‘laisserait supposer’ que les produits concernés sont faits à partir de matières naturelles », il ne crée pour autant aucun « rapport suffisamment direct et concret avec ceux-ci ». Un signe n’est descriptif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement que s’il désigne directement et immédiatement une caractéristique essentielle du produit ou du service.

En confirmant que la simple évocation ou suggestion ne suffit pas à qualifier un signe de descriptif, la Cour maintient une frontière claire entre les signes descriptifs, qui ne peuvent être monopolisés, et les signes allusifs ou évocateurs, qui sont parfaitement enregistrables et peuvent constituer des éléments forts d’une marque. Cette solution préserve un juste équilibre entre la nécessité de laisser certains termes à la disposition de tous les opérateurs économiques et le droit pour une entreprise de protéger les signes qui, tout en étant suggestifs, requièrent un effort d’interprétation de la part du consommateur.

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Hassan KOHEN
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