Cour de justice de l’Union européenne, le 28 juin 2012, n°C-7/11

Par la présente décision, la Cour de justice de l’Union européenne est venue clarifier les obligations qui pèsent sur les pharmaciens exerçant également une activité de grossiste-répartiteur au regard du droit de l’Union. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale, la Cour était invitée à interpréter la directive 2001/83/CE relative aux médicaments à usage humain. En l’espèce, une législation nationale autorisait un pharmacien, en tant que personne physique, à exercer une activité de distribution de médicaments en gros. La procédure nationale, vraisemblablement de nature administrative ou pénale, a conduit le juge à s’interroger sur la compatibilité de cette situation avec le cadre harmonisé européen. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si l’obligation de détenir une autorisation de distribution en gros, prévue par la directive, s’appliquait à un tel pharmacien. Il s’agissait également de savoir si ce dernier devait se conformer à l’ensemble des exigences imposées aux grossistes et quelles pouvaient être les conséquences d’un manquement sur le plan de sa responsabilité pénale. La Cour de justice répond que le pharmacien agissant comme grossiste doit disposer d’une autorisation spécifique et respecter toutes les obligations afférentes. Elle précise toutefois que cette interprétation ne peut, à elle seule, fonder ou aggraver une responsabilité pénale en l’absence de texte national.

Cette décision réaffirme ainsi l’autonomie et la rigueur du cadre réglementaire européen pour la distribution de médicaments (I), tout en rappelant les limites de l’effet d’une décision d’interprétation en matière pénale (II).

I. L’affirmation d’un régime d’autorisation autonome et strict pour la distribution en gros

La Cour de justice établit que l’activité de distribution en gros de médicaments est soumise à un régime d’autorisation européen unifié, qui s’applique à tout opérateur, y compris un pharmacien personne physique (A), et qui emporte le respect de l’ensemble des exigences qualitatives prévues par la directive (B).

A. L’assujettissement du pharmacien-grossiste au régime d’autorisation de l’Union

La Cour adopte une approche fonctionnelle de l’activité de distribution, indépendamment du statut initial de la personne qui l’exerce. Elle juge que « l’obligation de disposer d’une autorisation de distribution en gros de médicaments s’applique à un pharmacien qui, en tant que personne physique, est autorisé, en vertu de la législation nationale, à exercer également une activité de grossiste en médicaments ». Cette solution garantit une application uniforme de la directive sur tout le territoire de l’Union, prévenant ainsi la création de régimes dérogatoires nationaux qui pourraient affaiblir la protection de la santé publique. L’objectif est d’assurer la qualité et l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, en soumettant tous les acteurs exerçant une même activité aux mêmes règles. La qualité de pharmacien d’officine, régie par d’autres dispositions, ne saurait donc conférer une exemption au régime applicable à l’activité de grossiste-répartiteur, quand bien même les deux activités seraient exercées par la même personne.

Cette soumission au régime de l’autorisation emporte logiquement des conséquences strictes quant aux conditions d’exercice de l’activité.

B. L’application intégrale des exigences qualitatives au pharmacien-grossiste

La Cour précise ensuite que le pharmacien autorisé en tant que grossiste ne peut bénéficier d’un traitement différencié. Il « doit satisfaire à l’ensemble des exigences imposées aux demandeurs et aux titulaires de l’autorisation de distribution en gros de médicaments en vertu des articles 79 à 82 de la directive 2001/83 ». Ces exigences concernent notamment la disposition de locaux, d’installations et d’équipements adéquats, ainsi que la présence d’un personnel qualifié, dont une personne responsable garante du respect de la réglementation. Cette position maximaliste confirme que l’octroi d’une autorisation n’est pas une simple formalité administrative. Elle est conditionnée par le respect de standards élevés et continus visant à sécuriser chaque étape de la distribution des médicaments. En refusant toute forme d’allègement, la Cour souligne que la protection de la santé publique constitue une finalité primordiale qui ne tolère aucune exception fondée sur le statut particulier d’un opérateur.

Si la Cour étend ainsi la portée des obligations réglementaires, elle en circonscrit cependant rigoureusement les effets sur le terrain de la responsabilité pénale.

II. La portée de l’interprétation préjudicielle face au principe de légalité pénale

La décision de la Cour, tout en clarifiant le droit de l’Union, ne peut avoir d’effet direct sur la responsabilité pénale de l’administré (A). Elle laisse ainsi aux États membres la responsabilité de définir le cadre répressif, illustrant la portée de la décision en matière d’harmonisation et de compétences nationales (B).

A. La réaffirmation du principe de légalité des délits et des peines

La Cour apporte une modération essentielle à sa solution en rappelant un principe fondamental du droit. Elle énonce que son interprétation « ne peut, à elle seule et indépendamment d’une loi adoptée par un État membre, créer ou aggraver la responsabilité pénale d’un pharmacien qui a exercé l’activité de distribution en gros sans disposer de l’autorisation y afférente ». La Cour consacre ici le principe de la légalité des délits et des peines (*nullum crimen, nulla poena sine lege*), qui s’oppose à ce qu’une simple interprétation jurisprudentielle, même rendue par la plus haute juridiction de l’Union, puisse fonder une incrimination pénale. Une telle incrimination doit nécessairement reposer sur un texte national clair et préexistant, adopté par le législateur. Ce faisant, la Cour protège le justiciable contre l’arbitraire et garantit la prévisibilité de la loi pénale, même dans un contexte de forte intégration européenne.

Cette position délimite clairement les sphères de compétence entre l’Union et ses membres en matière répressive.

B. La portée de la décision entre harmonisation et responsabilité nationale

En définitive, cette décision illustre la double dimension du droit de l’Union. D’une part, elle renforce l’harmonisation des règles techniques relatives à la distribution des médicaments pour un niveau élevé et cohérent de protection de la santé publique. Elle oblige les États membres à veiller à ce que tous les opérateurs, sans exception, se conforment au régime de l’autorisation de distribution en gros. D’autre part, elle respecte la compétence des États membres en matière pénale. Il appartient à chaque législateur national de prévoir les sanctions applicables en cas de violation des obligations issues de la directive. La Cour fournit au juge national les clés d’interprétation du droit de l’Union, mais lui laisse le soin d’appliquer le droit national, notamment pénal, dans le respect des principes fondamentaux garantis par l’ordre juridique de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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