Cour de justice de l’Union européenne, le 28 mars 2017, n°C-72/15

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue de son contrôle sur les actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune. En l’espèce, à la suite des actions menées par la Fédération de Russie déstabilisant la situation en Ukraine en 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté une série de mesures restrictives. Ces mesures, d’abord définies par une décision relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, ont été mises en œuvre par un règlement. Elles instauraient notamment des restrictions d’accès aux marchés des capitaux et des limitations sur l’exportation de technologies sensibles pour le secteur énergétique, visant spécifiquement certaines entités publiques russes, dont une société pétrolière majeure. Cette dernière a contesté la légalité des mesures nationales britanniques transposant ces sanctions devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Divisional Court). La juridiction britannique a alors saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Elle s’interrogeait principalement sur la compétence de la Cour pour apprécier la validité d’une décision adoptée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que sur la conformité des sanctions avec plusieurs principes fondamentaux du droit de l’Union. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si l’exception au principe d’immunité juridictionnelle de la politique étrangère et de sécurité commune, prévue pour le contrôle des mesures restrictives, s’appliquait dans le cadre d’un renvoi préjudiciel et, le cas échéant, d’apprécier la légalité de ces sanctions économiques. La Cour de justice répond par l’affirmative à la question de sa compétence, considérant que le renvoi préjudiciel en appréciation de validité est une modalité du contrôle de légalité des mesures restrictives visant des personnes physiques ou morales. Sur le fond, elle juge les sanctions valides, estimant qu’elles constituent une ingérence justifiée et proportionnée aux importants objectifs de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Cet arrêt étend de manière significative le champ du contrôle juridictionnel dans le domaine de l’action extérieure de l’Union (I), tout en confirmant la large marge d’appréciation dont disposent les institutions pour adopter de telles mesures (II).

I. L’extension du contrôle juridictionnel aux actes de la PESC

La décision commentée constitue une étape majeure dans la justiciabilité de la politique étrangère et de sécurité commune. La Cour de justice y affirme avec force sa compétence pour statuer à titre préjudiciel sur la validité des mesures restrictives (A), tout en procédant à une délimitation matérielle précise de cette compétence nouvelle (B).

A. L’affirmation de la compétence préjudicielle pour les mesures restrictives

Les traités instituent une exclusion de principe de la compétence de la Cour de justice à l’égard des dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune. Cependant, l’article 24 du Traité sur l’Union européenne et l’article 275 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoient une exception notable, permettant à la Cour de contrôler la légalité des décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales. La question centrale était de savoir si cette voie de droit était limitée au recours en annulation direct ou si elle incluait également le renvoi préjudiciel en appréciation de validité. La Cour tranche en faveur de la seconde option en s’appuyant sur l’architecture du système juridictionnel de l’Union. Elle rappelle que ce dernier forme « un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes de l’Union ». Dans cette logique, le renvoi préjudiciel est un instrument essentiel qui garantit l’uniformité du droit et offre une protection aux justiciables lorsque la légalité d’un acte de l’Union est contestée devant une juridiction nationale. La Cour juge ainsi que « le renvoi préjudiciel en appréciation de validité constitue, au même titre que le recours en annulation, une modalité du contrôle de la légalité des actes de l’Union ». Interpréter restrictivement sa compétence irait à l’encontre du principe de protection juridictionnelle effective, consacré par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, qui est inhérent à l’existence même d’un État de droit.

B. Une délimitation matérielle de la compétence juridictionnelle

Si la Cour étend le contrôle des actes de la politique étrangère et de sécurité commune, elle en précise également les limites matérielles. Sa compétence n’est pas générale mais circonscrite aux seules « mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales ». Elle opère ainsi une distinction entre les différentes dispositions des actes contestés. La Cour se déclare incompétente pour contrôler la validité des mesures qui, bien que relatives au secteur pétrolier, ont une portée générale, comme l’interdiction d’exporter certains équipements. Ces dispositions ne ciblent pas des opérateurs identifiés mais s’appliquent de manière abstraite à tous ceux qui sont engagés dans de telles activités. En revanche, la Cour se reconnaît compétente pour examiner les mesures qui, bien qu’établissant des critères objectifs, visent des entités spécifiquement nommées dans les annexes des actes litigieux. Elle considère que « en visant cette société à l’annexe iii de cette décision, le Conseil a adopté des mesures restrictives à l’encontre de la personne morale concernée ». Cette approche pragmatique permet à la Cour de s’assurer que les actes qui s’apparentent à des décisions individuelles, affectant directement les droits d’une entité, puissent faire l’objet d’un recours juridictionnel. Elle refuse ainsi une conception purement formelle pour se concentrer sur l’effet réel de la mesure sur son destinataire.

II. La validation de la légalité des sanctions au regard des droits fondamentaux

Après avoir établi sa compétence, la Cour de justice procède à un examen de la validité des mesures restrictives contestées. Elle reconnaît la légitimité des sanctions au regard des objectifs poursuivis (A) et écarte les critiques fondées sur une prétendue imprécision des normes applicables (B).

A. La justification des mesures par les objectifs de la politique étrangère

La société requérante soutenait que les sanctions portaient une atteinte disproportionnée à sa liberté d’entreprise et à son droit de propriété. La Cour rejette cette argumentation en rappelant d’abord que le Conseil dispose d’un « large pouvoir d’appréciation » dans les domaines qui impliquent des choix politiques et économiques complexes. Le contrôle juridictionnel se limite donc à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, les mesures visaient à « accroître le coût des actions de la Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ». La Cour estime qu’un tel objectif, qui participe au maintien de la paix et de la sécurité internationale, est d’une importance telle qu’il peut justifier des conséquences économiques négatives pour certains opérateurs. Elle juge que cibler un acteur majeur du secteur pétrolier russe, détenu majoritairement par l’État, n’était pas « manifestement inapproprié » pour atteindre le but recherché. Concernant l’atteinte aux droits fondamentaux, la Cour admet que la liberté d’entreprise et le droit de propriété ne sont pas absolus. Elle conclut que « l’importance des objectifs poursuivis […] est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs ». L’ingérence n’est donc pas jugée démesurée et la substance des droits n’est pas atteinte.

B. Le rejet des arguments fondés sur l’imprécision de la norme

La société requérante invoquait également la violation des principes de sécurité juridique et de légalité des délits et des peines (`nulla poena sine lege certa`), au motif que certains termes du règlement, comme « schiste » ou « aide financière », étaient trop imprécis pour fonder des sanctions pénales au niveau national. La Cour écarte cet argument en adoptant une approche pragmatique de la qualité de la loi. Elle rappelle que le recours à des catégories générales est inhérent à la technique législative et ne contrevient pas en soi au principe de prévisibilité de la loi, dès lors que le justiciable peut raisonnablement savoir, au besoin avec l’aide de conseils éclairés, quels actes engagent sa responsabilité. La Cour ajoute que « le principe de précision de la loi applicable ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par des interprétations jurisprudentielles ». L’éventualité d’une interprétation future par la Cour ne fait donc pas obstacle à ce qu’un État membre sanctionne les infractions aux dispositions du règlement. Cette solution confirme que l’exigence de clarté de la loi n’impose pas une précision absolue et préserve l’effectivité des régimes de sanctions dans des domaines techniques complexes, tout en ouvrant la voie à des clarifications ultérieures par le juge de l’Union.

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Hassan KOHEN
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