Cour de justice de l’Union européenne, le 28 mars 2023, n°C-785/22

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, en ce qu’il rejette le pourvoi formé par une agence de l’Union, apporte une clarification essentielle sur l’articulation entre les impératifs de l’action extérieure de l’Union et la protection des droits fondamentaux de son personnel. En l’espèce, un agent employé par une entité opérant dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune avait été licencié. Après l’épuisement sans succès d’une procédure de recours interne, l’agent a saisi le Tribunal de l’Union européenne. Celui-ci a annulé la décision de licenciement, au motif que l’organe de recours interne de l’agence n’offrait pas les garanties d’un tribunal au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’agence a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas l’effectivité de son mécanisme de recours interne. Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si un organe de recours administratif interne, créé au sein d’une agence aux missions sensibles, présentait des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité pour constituer un recours effectif privant l’agent d’un accès direct au juge de l’Union. En rejetant le pourvoi, la Cour de justice valide l’analyse du Tribunal et confirme que les garanties offertes par l’organe interne étaient insuffisantes pour satisfaire aux exigences du droit à un recours juridictionnel effectif.

Cette décision confirme ainsi la soumission des organes de recours internes des agences de l’Union à un contrôle juridictionnel strict (I), ce qui conduit à un renforcement de la protection des droits du personnel dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune (II).

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I. L’exigence d’un recours interne effectif comme préalable à l’immunité de juridiction

En confirmant l’arrêt du Tribunal, la Cour de justice entérine une appréciation rigoureuse des conditions d’un recours effectif. Elle procède à un contrôle méticuleux des garanties offertes par l’organe de recours interne (A) et oppose ainsi une limite claire au principe d’autonomie institutionnelle dont se prévalait l’agence (B).

A. Le contrôle des garanties d’indépendance et d’impartialité de l’organe de recours

La Cour rappelle que pour qu’un recours préalable soit considéré comme effectif, il doit offrir des garanties équivalentes à celles d’une procédure juridictionnelle. Le rejet du pourvoi repose sur le constat que l’organe interne de l’agence ne présentait pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises. L’analyse, validée par la Cour, porte sur des éléments concrets tels que la composition de l’organe, les conditions de nomination de ses membres, la durée de leur mandat et l’existence de règles propres à écarter tout doute légitime quant à son imperméabilité à des pressions extérieures.

La Cour souligne que « la seule affirmation du caractère indépendant et impartial d’un organe ne suffit pas à établir qu’il constitue un tribunal au sens de l’article 47 de la Charte ». En l’espèce, la Cour a relevé que les membres de l’organe n’étaient pas protégés contre des révocations arbitraires et que les procédures ne garantissaient pas pleinement le principe du contradictoire. Cette approche factuelle et rigoureuse montre que la Cour ne se satisfait pas d’une justice interne d’apparence, mais exige une réalité tangible et vérifiable, même pour des entités aux missions spécifiques.

B. Le refus d’une conception extensive de l’autonomie institutionnelle

L’agence appelante invoquait son autonomie institutionnelle, nécessaire à l’accomplissement de ses missions sensibles dans le domaine de la sécurité, pour justifier la spécificité de son système de règlement des litiges. Elle soutenait que cette autonomie lui permettait de mettre en place un mécanisme interne adapté, qui devait être considéré comme suffisant. Toutefois, la Cour de justice, en rejetant cet argument, établit une hiérarchie claire des normes.

Le principe d’autonomie institutionnelle, bien que reconnu, doit céder le pas devant le respect d’un droit fondamental tel que le droit à un recours effectif. La Cour signifie ainsi que l’autonomie organisationnelle ne saurait servir de prétexte à la création de zones de non-droit, y compris au sein de l’administration de l’Union. La solution retenue empêche que le personnel de ces agences soit placé dans une situation juridique moins favorable que celle des autres agents de l’Union, réaffirmant l’universalité des droits garantis par la Charte.

II. La portée de la solution : une protection renforcée des agents des entités de la PESC

La valeur de cet arrêt réside dans la consolidation qu’il opère du droit au juge pour le personnel des agences de l’Union (A). Sa portée pratique se manifeste par une incitation forte à la réforme des mécanismes de justice interne au sein de ces structures (B).

A. La consolidation du droit à un tribunal pour le personnel des agences de l’Union

En jugeant que les garanties d’un tribunal doivent être pleinement respectées, même dans le cadre d’un recours administratif préalable, la Cour de justice renforce de manière significative la protection des agents. Cet arrêt a une valeur de principe, car il étend une jurisprudence exigeante à des entités qui, en raison de la nature de leurs activités, pourraient être tentées de s’en affranchir. La décision réaffirme que le modèle de l’État de droit, dont l’Union se veut le promoteur, doit s’appliquer avec la même rigueur en son sein.

La solution est d’autant plus importante qu’elle concerne le domaine de la Politique étrangère et de sécurité commune, longtemps considéré comme relevant d’une logique intergouvernementale plus que d’une logique d’intégration juridique. La Cour confirme que « l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif constitue l’une des expressions spécifiques d’un État de droit », et que cette exigence s’impose à l’ensemble des organes et agences de l’Union. La protection des individus prime ainsi sur les considérations fonctionnelles liées à la nature de l’employeur.

B. L’incitation à une réforme des mécanismes de justice interne

Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt est considérable. Il envoie un message clair à toutes les agences et entités de l’Union dotées de systèmes de recours internes. Celles-ci sont désormais contraintes d’examiner leurs procédures à l’aune des critères stricts rappelés par la Cour. Pour éviter que leurs décisions ne soient systématiquement annulées par le juge de l’Union, elles devront mettre en place des organes offrant de réelles garanties d’indépendance et d’impartialité.

Cette décision pourrait ainsi provoquer une vague de réformes, visant à transformer des commissions de recours purement administratives en de véritables tribunaux internes. Une telle évolution serait bénéfique à double titre. D’une part, elle assurerait une meilleure protection des droits des agents dès le premier stade du litige. D’autre part, en garantissant l’effectivité des recours préalables, elle pourrait, à terme, alléger la charge du Tribunal de l’Union, celui-ci n’étant saisi qu’après une première décision rendue par un organe offrant des garanties juridictionnelles satisfaisantes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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