Par un arrêt du 21 mars 2012, le Tribunal de l’Union européenne a annulé des actes du Conseil de l’Union européenne inscrivant une société et son dirigeant sur une liste de personnes et d’entités soumises à des mesures restrictives dans le cadre de la lutte contre la prolifération nucléaire en Iran. Le Conseil reprochait à la société d’avoir « été impliquée dans l’installation d’équipements électriques sur le site de Qom/Fordoo à un moment où l’existence de ce site n’avait pas encore été révélée », le dirigeant étant sanctionné en sa qualité de directeur de ladite société. Le Tribunal avait estimé que le Conseil n’avait apporté aucun élément de preuve au soutien de ses allégations, commettant ainsi une erreur d’appréciation. Saisie d’un pourvoi par le Conseil, la Cour de justice de l’Union européenne devait déterminer si le juge de l’Union peut exiger de cette institution la production d’éléments probants, alors même que le Conseil invoque la nature confidentielle des informations ayant fondé sa décision et la confiance mutuelle qui prévaut entre les États membres. Dans son arrêt, la Cour de justice rejette le pourvoi et confirme l’analyse du Tribunal. Elle juge que l’effectivité du contrôle juridictionnel, garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, impose au juge de s’assurer que toute mesure restrictive repose sur « une base factuelle suffisamment solide », ce qui l’oblige à vérifier les faits allégués. Dès lors, lorsque le Conseil échoue à produire le moindre élément étayant ses motifs, le juge de l’Union ne peut que constater l’absence de bien-fondé de la mesure et procéder à son annulation.
Cet arrêt confirme avec fermeté que l’adoption de mesures restrictives, même justifiée par des objectifs de sécurité internationale, demeure soumise à des garanties juridictionnelles strictes (I), tout en rappelant les mécanismes d’équilibrage à la disposition du juge face aux impératifs de confidentialité (II).
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I. La soumission des mesures restrictives à des garanties juridictionnelles strictes
La Cour rappelle que la légalité d’une mesure restrictive est conditionnée par l’existence de faits avérés, dont la preuve incombe à l’autorité qui l’édicte (A), et dont la réalité doit faire l’objet d’un contrôle entier de la part du juge de l’Union (B).
A. Le fardeau de la preuve incombant au Conseil
La Cour de justice écarte l’argument du Conseil selon lequel le contrôle du juge devrait se limiter à l’appréciation de la vraisemblance des motifs invoqués. Elle réaffirme une solution de principe, en indiquant que la décision qui frappe une personne ou une entité « repose sur une base factuelle suffisamment solide ». Cette exigence implique que le bien-fondé des motifs retenus soit établi par l’autorité compétente de l’Union. Il n’appartient donc pas à la personne visée par les sanctions d’apporter la preuve négative de son absence d’implication dans les faits qui lui sont reprochés.
Le juge de l’Union rappelle que c’est « à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée ». Le Conseil ne peut se contenter d’allégations, aussi précises soient-elles, sans les étayer par des éléments concrets. L’argument tiré de la proposition d’inscription par un État membre est également jugé inopérant, le Conseil demeurant responsable de la légalité des actes qu’il adopte, quand bien même la procédure serait initiée par un État.
B. L’exercice d’un contrôle juridictionnel entier
La Cour souligne que les juridictions de l’Union doivent assurer « un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux ». Ce contrôle ne saurait être abstrait et doit porter sur la matérialité des faits qui justifient l’adoption de la mesure restrictive. Le juge est ainsi tenu de vérifier que les motifs de la décision sont étayés par des preuves et des informations concrètes.
En l’espèce, le Conseil n’a produit aucun document ni la moindre information au soutien de son allégation. Faute d’éléments probants, la Cour constate que la société et son dirigeant n’étaient pas en mesure de se défendre utilement contre les faits reprochés. Par conséquent, le juge lui-même se trouvait dans l’incapacité d’exercer son contrôle sur le bien-fondé de la décision. L’annulation prononcée par le Tribunal pour erreur d’appréciation est donc confirmée, l’absence totale de preuve rendant le motif invalide.
Cette position rigoureuse amène la Cour à préciser comment concilier le contrôle juridictionnel avec les contraintes de sécurité invoquées par le Conseil.
II. La conciliation du contrôle juridictionnel et des impératifs de confidentialité
L’arrêt rejette l’idée que la confidentialité puisse faire obstacle au contrôle du juge (A) mais rappelle les techniques prétoriennes permettant de ménager un équilibre entre les droits de la défense et la sécurité de l’Union (B).
A. Le rejet de la confidentialité comme obstacle au contrôle
La Cour de justice admet que « des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres » peuvent s’opposer à la communication de certaines informations à la personne concernée. Toutefois, elle affirme avec force que de telles considérations ne sauraient être opposées au juge de l’Union lui-même. Le secret ou la confidentialité des éléments de preuve ne paralyse pas l’office du juge, qui demeure le gardien des droits fondamentaux.
S’inspirant de sa jurisprudence antérieure, notamment de l’arrêt *Kadi II*, la Cour précise qu’il appartient au juge de mettre en œuvre des techniques de procédure pour concilier les impératifs de sécurité avec le respect des droits de la défense. L’invocation de la confidentialité par le Conseil n’a donc pas pour effet de créer une zone de non-droit soustraite au contrôle juridictionnel. Au contraire, elle confère au juge un rôle central dans l’arbitrage entre les différents intérêts en présence.
B. Les modalités de la conciliation en cas de non-communication des preuves
La Cour rappelle les outils à la disposition du juge lorsque des informations confidentielles lui sont présentées. Il lui appartient d’abord d’apprécier le bien-fondé des raisons invoquées par l’autorité pour s’opposer à la divulgation des pièces à la partie requérante. Si le secret est justifié, le juge peut recourir à des solutions alternatives, comme la communication d’un « résumé du contenu des informations ou des éléments de preuve en cause ».
En l’espèce, le Conseil n’a pas seulement refusé de communiquer les éléments aux requérants, il a également échoué à les produire devant le juge, même sous une forme adaptée. Confronté à une absence totale d’éléments, le juge n’a d’autre choix que de se fonder sur les seuls documents disponibles. La Cour en tire la conséquence logique : si les éléments communiqués ne permettent pas d’établir le bien-fondé d’un motif, le juge doit écarter ce dernier. La décision du Conseil, reposant sur une simple allégation non étayée, ne pouvait donc qu’être annulée.