Par un arrêt rendu dans une affaire dont la langue de procédure était le finnois, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les modalités de protection des travailleurs détachés au sein de l’Union. En l’espèce, des travailleurs employés par une société établie dans un État membre avaient été détachés sur le territoire d’un autre État membre. Un syndicat de ce dernier État, auquel les travailleurs concernés avaient cédé leurs créances salariales conformément au droit local, a saisi une juridiction nationale afin de réclamer le paiement d’arriérés de salaires correspondant au salaire minimal applicable dans l’État d’accueil. La société employeuse s’est opposée à cette action en invoquant le droit de son propre État de siège, lequel prohibait la cession de créances issues d’une relation de travail. Face à cette situation, la juridiction de renvoi a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Elle cherchait à savoir, d’une part, si la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs, lue à la lumière du droit à un recours effectif, permettait d’écarter la loi de l’État d’origine de l’entreprise qui faisait obstacle à l’action du syndicat. D’autre part, la juridiction nationale interrogeait la Cour sur les éléments constitutifs du « salaire minimal » au sens de cette même directive, notamment sur la possibilité d’y inclure diverses indemnités et avantages en nature. La Cour de justice a répondu que la directive 96/71, combinée à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, s’opposait à ce qu’une interdiction de cession de créances prévue par la loi de l’État du siège de l’entreprise puisse paralyser l’action en justice d’un syndicat dans l’État d’accueil. Elle a ensuite détaillé les conditions d’inclusion ou d’exclusion de plusieurs composantes dans le calcul du salaire minimal. Cette décision, qui articule le droit d’action en justice et la substance du droit au salaire minimal, justifie une analyse en deux temps. Il conviendra d’examiner d’abord la consécration du droit du syndicat d’agir en recouvrement des créances salariales (I), avant de se pencher sur la délimitation matérielle des composantes du salaire minimal (II).
I. La consolidation du droit d’action syndical pour les travailleurs détachés
La Cour de justice renforce l’accès à la justice des travailleurs détachés en validant la saisine d’une juridiction par un syndicat subrogé dans leurs droits. Cette solution écarte la loi de l’État d’origine de l’entreprise au nom de l’effectivité de la protection voulue par le droit de l’Union (A), garantissant ainsi un recours concret pour les travailleurs (B).
A. La primauté de l’effet utile de la directive sur la loi de l’État d’origine
Le raisonnement de la Cour repose sur la nécessité d’assurer la pleine efficacité de la directive 96/71. En effet, permettre à la loi de l’État du siège de l’entreprise de faire échec à une action en justice dans l’État d’accueil viderait de sa substance le système de protection mis en place par le législateur de l’Union. La Cour juge que la directive « s’oppose à ce qu’une réglementation de l’État membre du siège de l’entreprise […] puisse faire obstacle à ce qu’un syndicat […] introduise un recours ». Cette affirmation est fondamentale, car elle tranche un conflit de lois en faveur de la norme qui favorise la réalisation des objectifs de la directive. La finalité de cette dernière est de garantir l’application d’un noyau de règles impératives de l’État d’accueil aux travailleurs qui y sont détachés, au premier rang desquelles figure le taux de salaire minimal. En neutralisant la règle de droit interne qui aurait pour effet d’empêcher le contrôle juridictionnel du respect de cette obligation, la Cour fait prévaloir une interprétation téléologique. Elle prévient ainsi une forme de contournement où une entreprise pourrait se prévaloir de sa loi nationale pour se soustraire aux obligations que lui impose le droit de l’Union sur le territoire d’un autre État membre.
B. La garantie d’un accès effectif au juge pour la défense des droits salariaux
Au-delà de l’interprétation de la directive, la Cour ancre sa solution dans le droit fondamental à un recours effectif, consacré par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La cession de créance à un syndicat est présentée comme un mécanisme procédural essentiel pour que les droits des travailleurs détachés ne restent pas théoriques. Ces travailleurs, souvent dans une position de vulnérabilité en raison de leur méconnaissance du système juridique local, de la barrière de la langue ou de la nature temporaire de leur mission, peuvent hésiter à agir individuellement en justice. L’intervention d’un syndicat, acteur structuré et expérimenté, facilite considérablement la défense de leurs droits. En considérant que la prohibition de la cession de créances constitue une entrave inacceptable, la Cour adopte une approche pragmatique qui donne toute sa portée au droit au juge. La solution retenue n’est donc pas seulement une question de hiérarchie des normes, mais bien une condition de l’effectivité de la justice pour des justiciables particulièrement exposés. Elle assure que les garanties matérielles prévues par le droit du travail de l’Union soient assorties de garanties procédurales robustes.
II. La délimitation matérielle du salaire minimal des travailleurs détachés
Après avoir affirmé le droit d’agir du syndicat, la Cour de justice se livre à une clarification bienvenue des éléments composant le salaire minimal. Elle admet l’inclusion de certaines indemnités sous des conditions strictes (A), tout en excluant clairement les avantages en nature destinés à compenser les frais liés au détachement (B).
A. L’intégration conditionnelle des indemnités et des modes de calcul conventionnels
La Cour de justice adopte une approche nuancée concernant les composantes variables de la rémunération. Elle valide le principe d’un calcul du salaire fondé sur un classement en groupes de rémunération, tel que prévu par des conventions collectives, à la condition que ce mécanisme repose sur « des règles contraignantes et transparentes ». Cette exigence de prévisibilité et de clarté est essentielle pour garantir que le classement ne devienne pas un outil de minoration arbitraire du salaire. La Cour encadre également l’inclusion des indemnités. Une indemnité journalière ou une indemnité de trajet quotidien peut être considérée comme partie intégrante du salaire minimal, mais seulement dans des circonstances très précises. Pour l’indemnité journalière, la Cour impose un test de symétrie : elle ne peut être incluse que si elle l’est également « dans le salaire minimal versé aux travailleurs locaux à l’occasion d’un détachement de ceux-ci à l’intérieur de l’État membre concerné ». De même, l’indemnité de trajet n’est intégrée que si la condition de durée minimale du trajet, qui la déclenche, est effectivement remplie. Ce faisant, la Cour veille à ce que ces sommes ne servent pas à déguiser un remboursement de frais en élément de salaire, ce qui fausserait la comparaison et léserait le travailleur détaché.
B. L’exclusion des avantages compensant les charges inhérentes au détachement
La position de la Cour est en revanche sans équivoque s’agissant des avantages qui ne rémunèrent pas la prestation de travail mais compensent les charges qu’elle engendre. Ainsi, « la prise en charge du logement de ces travailleurs ne doit pas être considérée comme constituant un élément du salaire minimal ». Il en va de même pour « une allocation prenant la forme de bons d’alimentation ». La logique sous-jacente est claire : ces avantages en nature ne sont pas la contrepartie du travail fourni, mais une compensation des dépenses supplémentaires (logement, nourriture) engagées par le travailleur du fait de son éloignement de sa résidence habituelle. Les intégrer dans le calcul du salaire minimal reviendrait à faire supporter au travailleur une partie des frais professionnels inhérents à sa mission et à permettre à l’employeur de verser un salaire en numéraire inférieur au minimum légal. Enfin, la Cour précise que « le pécule de vacances […] correspond au salaire minimal auquel ceux-ci ont droit durant la période de référence », ce qui est une application cohérente du principe selon lequel le droit aux congés payés doit être garanti sur la base de la rémunération normale. La Cour trace ainsi une ligne de partage nette entre ce qui constitue une véritable rémunération et ce qui relève du remboursement de frais, consolidant la protection des travailleurs contre le dumping social.