Cour de justice de l’Union européenne, le 28 novembre 2013, n°C-576/11

Par un arrêt rendu sur le fondement de l’article 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les sanctions pécuniaires applicables à un État membre n’ayant pas exécuté une de ses précédentes décisions. En l’espèce, un État membre avait fait l’objet d’un premier arrêt en manquement, daté du 23 novembre 2006, constatant une violation de ses obligations découlant du droit de l’Union. Estimant que cet État n’avait, plusieurs années après, toujours pas adopté les dispositions nécessaires pour se conformer à cet arrêt, la Commission européenne a introduit un nouveau recours. Cette nouvelle procédure visait à faire constater la persistance du manquement et à obtenir l’imposition de sanctions financières à l’encontre de l’État concerné. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si et dans quelles conditions un État membre, qui ne se conforme pas à un arrêt en manquement, peut se voir infliger cumulativement une sanction forfaitaire et une astreinte journalière. La Cour de justice y répond positivement en condamnant l’État membre au paiement d’une somme forfaitaire pour sanctionner la persistance du manquement depuis le premier arrêt, et en y ajoutant une astreinte journalière destinée à l’inciter à mettre fin au plus vite à son manquement.

Cette décision illustre la rigueur avec laquelle la Cour entend faire respecter l’autorité de ses arrêts, en appliquant de manière stricte le mécanisme de sanction prévu par les traités (I). Elle confirme par là même le rôle essentiel de cet instrument coercitif dans la sauvegarde de l’ordre juridique de l’Union et de son effectivité (II).

I. L’application rigoureuse du mécanisme de sanction pour manquement sur manquement

La Cour de justice met en œuvre la procédure de l’article 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en deux temps. Elle constate d’abord la persistance de l’inexécution de son premier arrêt (A), avant de prononcer des sanctions pécuniaires combinant deux instruments aux fonctions distinctes (B).

A. La constatation préalable d’une inexécution persistante

L’application de sanctions financières est conditionnée par la démonstration d’un manquement continu. La Cour doit vérifier que l’État membre n’a pas pris « l’ensemble des mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt ». En l’espèce, elle constate que « le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE ». Ce faisant, elle ne réexamine pas le fond de l’infraction initiale, mais se concentre exclusivement sur l’absence d’exécution de la première décision. L’objet du litige est bien le non-respect de l’autorité de la chose jugée, qui constitue une violation distincte du droit de l’Union. Cette étape déclaratoire est un prérequis indispensable au prononcé de toute sanction, marquant la transition d’une phase déclaratoire vers une phase coercitive. La charge de la preuve de l’exécution complète et correcte pèse sur l’État membre, la Commission devant quant à elle établir la persistance de l’infraction.

B. Le prononcé de sanctions pécuniaires à double finalité

Une fois le manquement persistant établi, la Cour déploie les outils à sa disposition pour y mettre un terme. Elle condamne l’État membre à verser une somme forfaitaire et une astreinte, chacune ayant un objectif propre. D’une part, « le Grand-Duché de Luxembourg est condamné à payer à la Commission européenne […] la somme forfaitaire de 2 000 000 d’euros ». Cette sanction a une vocation rétrospective et punitive ; elle vise à pénaliser la durée de l’infraction depuis le prononcé du premier arrêt jusqu’à la décision actuelle. D’autre part, la Cour impose « une astreinte de 2 800 euros par jour de retard » si le manquement n’a pas cessé au jour du présent arrêt. Cette seconde sanction est prospective et coercitive : elle a pour but d’exercer une pression financière continue sur l’État pour l’inciter à se conformer dans les plus brefs délais. Le cumul de ces deux instruments témoigne de la volonté de la Cour de moduler sa réponse en fonction de la gravité et de la durée de la défaillance de l’État.

Cette double sanction n’est pas seulement une mesure punitive ; elle constitue une garantie fondamentale pour l’effectivité de l’ordre juridique européen.

II. Un instrument de sanction au service de l’effectivité de l’ordre juridique de l’Union

La décision commentée dépasse le cas d’espèce pour réaffirmer le rôle de la Cour en tant que gardienne de la primauté et de l’application uniforme du droit de l’Union (A), conférant à sa jurisprudence une portée dissuasive significative (B).

A. La garantie de l’autorité des arrêts de la Cour

En sanctionnant financièrement un État membre récalcitrant, la Cour de justice assure l’exécution de ses propres décisions, qui est une composante essentielle de l’État de droit. L’ordre juridique de l’Union repose sur le principe de coopération loyale entre les institutions et les États membres. Le refus persistant d’un État d’exécuter un arrêt rompt ce pacte de confiance et menace les fondements mêmes de l’Union. Le recours aux sanctions pécuniaires, bien qu’ultime, est donc indispensable pour éviter que les arrêts de la Cour ne deviennent lettre morte. La fixation des montants, qui relève de l’appréciation souveraine de la Cour, prend en compte la gravité de l’infraction, sa durée et la capacité de paiement de l’État, afin d’assurer que la sanction soit à la fois proportionnée et suffisamment dissuasive.

B. La portée dissuasive de la double sanction pécuniaire

Au-delà de son effet coercitif sur l’État membre condamné, cette décision a une portée générale. Elle envoie un signal clair à l’ensemble des États membres sur les conséquences d’un mépris prolongé envers leurs obligations européennes. En confirmant sa capacité à imposer des sanctions lourdes et cumulatives, la Cour renforce l’effet préventif du mécanisme de l’article 260 du Traité. Cette jurisprudence constitue une arme de dissuasion massive, incitant les États à prendre au sérieux leurs obligations dès la première phase de la procédure en manquement, sans attendre qu’une procédure de sanction soit enclenchée. Elle réaffirme que l’appartenance à l’Union européenne implique une soumission effective à un ordre juridique commun, dont la Cour de justice est l’arbitre suprême et le garant ultime.

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Hassan KOHEN
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