La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 28 novembre 2018, dans l’affaire C-328/17, une décision précisant les conditions d’accès aux recours. Cette demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des directives relatives aux procédures de recours contre les décisions illégales prises par les divers pouvoirs adjudicateurs.
Plusieurs entreprises de transport, assurant précédemment des services à l’échelle provinciale, ont contesté la décision d’un organisme public de lancer un appel d’offres pour un lot unique. Ce marché portait sur l’intégralité du territoire d’une région italienne, rendant l’adjudication en leur faveur très improbable selon leurs prétentions devant le juge compétent.
Le tribunal administratif régional de Ligurie a, par sa décision du 8 février 2017, interrogé la Cour constitutionnelle italienne sur la conformité de la législation régionale. Cette dernière juridiction a déclaré les questions irrecevables en rappelant qu’une entreprise ne participant pas à un appel d’offres ne peut généralement pas en contester les modalités.
La juridiction de renvoi a donc demandé si le droit de l’Union s’oppose à une règle nationale subordonnant le recours à la présentation préalable d’une offre de participation. Elle s’interroge sur la validité d’une telle restriction lorsque l’action en justice conteste le principe même de la procédure rendant l’obtention du marché incertaine.
Le juge européen affirme que le droit de l’Union n’interdit pas de conditionner le recours à la participation effective, sauf si les clauses rendent toute soumission impossible. L’analyse des conditions de l’intérêt à agir précédera l’examen de l’exigence de protection juridictionnelle effective laissée à l’appréciation souveraine des juridictions nationales compétentes.
I. La consécration de la participation à l’appel d’offres comme condition de l’intérêt à agir
A. Le principe de l’exigence impérative d’un dépôt d’offre pour justifier de l’existence d’une lésion réelle
La Cour rappelle que les États membres doivent assurer l’accès aux recours à toute personne ayant un intérêt et risquant d’être lésée par une violation alléguée. Elle précise que « la participation à une procédure de passation d’un marché peut, en principe, valablement constituer une condition dont la satisfaction est requise » pour agir.
Cette exigence permet de démontrer que l’opérateur dispose d’un intérêt réel à s’opposer à la décision d’attribution ou qu’il subit un préjudice du fait de l’illégalité. Sans offre, une entreprise peut difficilement prouver qu’elle est lésée par une procédure à laquelle elle a choisi de rester étrangère malgré sa capacité technique.
B. L’exception nécessaire liée à l’impossibilité matérielle de soumissionner en raison de spécifications techniques ou économiques discriminatoires
Il existe toutefois une dérogation lorsque des spécifications discriminatoires empêchent précisément l’entreprise de fournir les prestations demandées par le pouvoir adjudicateur dans le cahier des charges. Le juge affirme qu’il serait « excessif d’exiger d’elle qu’elle présente une offre » si ses chances de succès sont nulles à cause de ces clauses restrictives.
Le droit au recours est ainsi préservé lorsque l’opérateur démontre que les modalités de l’appel d’offres rendent impossible la formulation même d’une proposition sérieuse et économiquement viable. Cette exception garantit que les barrières injustifiées à la concurrence puissent être contestées sans imposer des démarches inutiles et coûteuses à des candidats évincés d’office.
II. La recherche d’une conciliation entre l’autonomie procédurale nationale et l’exigence fondamentale d’une protection juridictionnelle effective des candidats
A. L’appréciation de la légitimité des choix d’organisation du pouvoir adjudicateur au regard des besoins spécifiques de la collectivité publique
Le juge européen souligne la liberté du pouvoir adjudicateur dans l’évaluation de ses besoins, notamment pour organiser les services de transport au niveau régional plutôt que provincial. Ce choix peut répondre à des « considérations économiques » légitimes comme la volonté de réaliser des économies d’échelle ou d’améliorer la cohérence du réseau de transport.
La législation nationale ne contrevient pas au droit de l’Union si elle permet d’écarter les recours fondés sur une simple improbabilité d’obtenir le marché sans preuve d’impossibilité. L’intérêt à agir ne saurait se déduire d’une simple perte de chances consécutive à une modification légale de l’échelle territoriale de gestion d’un service public.
B. Le contrôle rigoureux de l’effectivité du recours par la juridiction nationale compétente à la lumière des circonstances particulières de l’espèce
Il appartient finalement au juge national d’apprécier si l’application concrète des règles de procédure ne porte pas atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective des requérants. Le tribunal doit tenir compte de l’ensemble des éléments pertinents caractérisant le contexte juridique et factuel de l’affaire pour vérifier si le recours demeure accessible.
Le magistrat vérifie si les clauses imposent des obligations manifestement irrationnelles ou totalement disproportionnées empêchant l’accès au juge administratif au mépris des objectifs de la directive. Cette mission assure l’équilibre entre la rapidité des procédures de passation et le respect du droit fondamental à un recours effectif contre les décisions illégales.