Un importateur a introduit sur le territoire de l’Union européenne un véhicule électrique à quatre roues, le classant dans la catégorie des « fauteuils roulants et autres véhicules pour invalides » relevant de la position 8713 de la nomenclature combinée, et bénéficiant ainsi d’une exemption de droits de douane. Les autorités douanières nationales ont contesté ce classement, considérant que le produit relevait plutôt de la sous-position 8703 10 18, en tant que « véhicule automobile principalement conçu pour le transport de personnes », soumis à un droit de 10 %. Le litige a été porté devant les juridictions nationales, lesquelles ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne de plusieurs questions préjudicielles visant à déterminer le classement tarifaire adéquat pour un tel véhicule. Celui-ci présente en effet des caractéristiques spécifiques, notamment une vitesse maximale supérieure à 10 km/h, une colonne de direction distincte et des aménagements pouvant servir à des personnes à mobilité réduite sans leur être exclusivement réservés. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si un véhicule présentant de telles caractéristiques objectives pouvait être classé dans la position 8713 de la nomenclature combinée, dédiée aux véhicules pour invalides. Dans son arrêt, la Cour répond par la négative, jugeant que les propriétés objectives de la marchandise l’emportent sur son usage potentiel. Elle énonce que la position 8713 « ne couvre pas une marchandise telle qu’un véhicule à quatre roues doté d’un moteur électrique, qui comporte une seule place, dispose d’un siège réglable et pivotant avec accoudoirs, d’une colonne de direction distincte ainsi que d’un frein automatique électromagnétique agissant sur les roues arrière, lesquelles sont conçues pour empêcher le basculement, qui est commandé au moyen d’un guidon de forme ovale fermée, situé sur cette colonne de direction, et dont la vitesse maximale est supérieure à 10 km/h, sans toutefois dépasser 16 km/h ».
La solution de la Cour réaffirme une approche stricte du classement douanier, fondée sur des critères matériels précis, ce qui garantit l’uniformité de l’application du droit douanier (I). En conséquence, elle délimite clairement la portée des différentes sources d’interprétation et confirme l’autonomie du droit douanier par rapport à d’autres réglementations (II).
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**I. La réaffirmation du critère objectif pour le classement tarifaire**
La décision de la Cour repose sur une application rigoureuse des principes de classement de la nomenclature combinée, en privilégiant les caractéristiques physiques du produit plutôt que sa finalité supposée. Cette approche se manifeste par la primauté accordée aux aspects techniques du véhicule (A) et par la confirmation du caractère exclusif de la destination pour les véhicules destinés aux personnes invalides (B).
**A. La prévalence des caractéristiques techniques sur l’usage potentiel**
La Cour rappelle avec constance que « le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans les caractéristiques et les propriétés objectives de celles-ci ». En l’espèce, plusieurs éléments techniques éloignent le véhicule de la catégorie des fauteuils pour invalides au sens strict. La présence d’une colonne de direction distincte et une vitesse maximale supérieure à 10 km/h sont deux facteurs déterminants. Ces éléments sont explicitement mentionnés dans les notes explicatives de la nomenclature combinée comme des critères d’exclusion de la position 8713. La Cour entérine ainsi une lecture littérale de ces notes, considérant qu’elles fournissent des indications fiables pour distinguer les produits. Le fait que le véhicule puisse être utilisé par des personnes en situation de handicap ne suffit pas à déterminer son classement si ses propriétés intrinsèques le rendent apte à un usage plus général, similaire à celui d’une voiturette de golf ou d’un petit véhicule utilitaire pour des déplacements de courte distance.
**B. L’exigence d’une destination exclusive pour les personnes invalides**
Pour relever de la position 8713, un véhicule doit être conçu « pour invalides », une expression que la Cour interprète comme signifiant qu’il est destiné *uniquement* à ces personnes. Elle précise que « la circonstance qu’un tel véhicule peut être utilisé, le cas échéant, par des personnes non invalides est sans incidence sur le classement tarifaire de ce véhicule dans la position 8713 ». L’analyse se concentre donc sur la conception originelle du produit. Or, le véhicule en cause n’est pas conçu pour pallier une invalidité spécifique mais plutôt pour offrir une aide à la mobilité à un public plus large, incluant des personnes âgées ou des individus préférant ne pas marcher sur de courtes distances. La Cour estime qu’un tel véhicule « ne convient pas, du fait de sa destination initiale, à d’autres personnes qui ne souffrent pas d’invalidité ». La destination du produit n’est donc pas considérée comme inhérente, car ses caractéristiques objectives n’excluent pas un usage général. Ce faisant, la Cour évite une interprétation subjective qui dépendrait de l’utilisateur final et créerait une insécurité juridique pour les opérateurs économiques.
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**II. La clarification de la hiérarchie des normes interprétatives en droit douanier**
Au-delà de la solution d’espèce, l’arrêt précise l’articulation des différentes sources qui guident l’interprétation de la nomenclature combinée. Il confère une force particulière aux actes de la Commission (A) tout en réaffirmant l’autonomie du droit douanier par rapport aux qualifications juridiques nationales ou aux conventions internationales non directement applicables (B).
**A. La force contraignante des règlements de classement et la valeur des notes explicatives**
La Cour s’appuie fortement sur deux règlements de la Commission, le règlement n° 718/2009 et surtout le règlement d’exécution 2021/1367, qui a classé un produit identique au véhicule en litige dans la position 8703. Elle rappelle qu’un tel règlement « a une portée générale dès lors qu’il s’applique non pas à un opérateur particulier, mais à la généralité des produits identiques ». Ces actes, destinés à assurer une application uniforme de la nomenclature, lient les autorités douanières et les juridictions des États membres. Par ailleurs, si les notes explicatives n’ont pas la même force contraignante qu’un règlement, la Cour confirme leur rôle essentiel en tant qu’outils d’interprétation. En l’occurrence, les notes relatives à la sous-position 8713 90 00, qui excluent les véhicules avec une colonne de direction distincte ou une vitesse supérieure à 10 km/h, sont jugées décisives pour éclairer la portée de la position tarifaire.
**B. L’indifférence du droit douanier aux qualifications nationales et aux conventions connexes**
L’importateur faisait valoir que le véhicule était reconnu comme un dispositif médical par les autorités tchèques. La Cour écarte cet argument en rappelant un principe fondamental : « la manière dont une marchandise est traitée en vertu d’une réglementation nationale poursuivant des objectifs autres que la [nomenclature combinée] n’est pas déterminante aux fins du classement dans celle-ci ». Le classement douanier poursuit des objectifs propres, notamment la perception des droits et l’établissement de statistiques, et doit rester cohérent au niveau de l’Union. De même, l’invocation de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées est jugée inopérante. La Cour relève que cette convention « n’exige pas que les véhicules dont le but est d’aider à la mobilité soient exonérés de droits de douane ». Le classement dans la position 8703 n’est donc pas considéré comme une violation des droits des personnes invalides, dès lors que le véhicule n’a pas été conçu exclusivement pour elles.