La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 28 octobre 2021, a précisé les conditions de protection d’une partie de produit au titre du dessin ou modèle communautaire non enregistré. En l’espèce, un constructeur automobile avait commercialisé un véhicule de sport en série très limitée, dont l’apparence avait été révélée au public par la diffusion de photographies. Par la suite, une société spécialisée dans la personnalisation de véhicules a proposé à la vente des kits d’accessoires permettant de modifier l’apparence d’un modèle de grande série du même constructeur pour la faire ressembler au véhicule exclusif. Le constructeur, estimant que la commercialisation de ces kits portait atteinte à ses droits, a engagé une action en contrefaçon, invoquant la protection de plusieurs dessins ou modèles non enregistrés portant non pas sur le véhicule dans son ensemble, mais sur des parties spécifiques de sa carrosserie.
La demande du constructeur fut rejetée en première instance par le Landgericht Düsseldorf, puis en appel par l’Oberlandesgericht Düsseldorf. Les juges du fond ont considéré que les dessins ou modèles revendiqués sur les parties du véhicule n’existaient pas, au motif que l’apparence de ces parties ne présentait pas une autonomie et une complétude de forme suffisantes pour se distinguer de l’apparence globale du produit. Saisi d’un pourvoi en *Revision*, le Bundesgerichtshof a alors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si la divulgation au public de l’image d’un produit dans son intégralité pouvait donner naissance à un dessin ou modèle non enregistré sur une de ses parties et, dans l’affirmative, si la protection de cette partie était conditionnée à une certaine autonomie formelle lui conférant une impression esthétique globale indépendante par rapport à la forme d’ensemble.
La Cour de justice de l’Union européenne a répondu que la divulgation d’un produit dans son ensemble, par la publication de photographies, entraîne bien la divulgation d’un dessin ou modèle sur une partie de ce produit, « pourvu que l’apparence de cette partie ou pièce soit clairement identifiable lors de cette divulgation ». Pour apprécier le caractère individuel de cette apparence, la Cour ajoute qu’« il est nécessaire que la partie ou pièce en cause constitue une section visible du produit ou du produit complexe, bien délimitée par des lignes, des contours, des couleurs, des formes ou une texture particulière », écartant ainsi l’exigence d’une autonomie esthétique par rapport à l’ensemble.
Cette décision clarifie les conditions d’acquisition de la protection pour les éléments d’un produit complexe (I), consacrant une approche pragmatique dont la portée renforce la protection des créateurs dans les industries à cycle de vie court (II).
I. La clarification des conditions de protection d’une partie de produit
La Cour précise les modalités d’acquisition de la protection en consacrant une interprétation souple de l’acte de divulgation (A) et en substituant au critère de l’autonomie formelle celui, plus objectif, de l’identifiabilité visuelle (B).
A. La consécration du principe de divulgation unique pour le tout et ses parties
En répondant par l’affirmative à la première question, la Cour de justice valide qu’un seul acte de divulgation portant sur un produit suffit à rendre publiques les apparences de ses composantes. Cette solution est conforme à l’esprit du règlement n° 6/2002 qui, à travers le dessin ou modèle non enregistré, vise à offrir une protection « sans devoir supporter les formalités d’enregistrement ». Imposer une divulgation distincte pour chaque partie d’un produit pour laquelle une protection est souhaitée créerait une contrainte excessive et contraire à l’objectif de rapidité et de simplicité de ce régime. La Cour relève à juste titre qu’une telle obligation « serait contraire à l’objectif de simplicité et de rapidité qui a, comme la Cour l’a relevé, justifié l’instauration du dessin ou modèle communautaire non enregistré ».
La protection naît ainsi pour toute partie dont l’apparence est rendue accessible aux « milieux spécialisés du secteur concerné » lors de la divulgation initiale du produit complet. Le critère essentiel devient alors la perception de ces milieux professionnels, qui doivent pouvoir raisonnablement connaître le dessin ou modèle de la partie concernée. L’enjeu se déplace donc de la multiplicité des actes de divulgation vers la clarté d’un acte unique, à condition que l’apparence de la partie soit suffisamment visible pour être individualisée.
B. Le rejet du critère de l’autonomie au profit de la seule identifiabilité
Le principal apport de l’arrêt réside dans le rejet de l’exigence d’une « autonomie et d’une certaine complétude quant à sa forme » qui avait été retenue par les juridictions allemandes. Ces dernières exigeaient que la partie de produit produise une « impression esthétique globale indépendante par rapport à la forme d’ensemble ». La Cour de justice écarte cette condition, qui n’est pas prévue par le règlement. Elle lui substitue un critère plus concret et objectif : pour être protégeable, il suffit que la partie en cause constitue une « section visible du produit ou du produit complexe, bien délimitée par des lignes, des contours, des couleurs, des formes ou une texture particulière ».
Ce faisant, la Cour ancre l’analyse non pas dans une appréciation subjective de l’indépendance esthétique d’un élément, mais dans sa simple visibilité et sa délimitation matérielle. Un dessin ou modèle peut donc exister sur une partie de produit même si celle-ci est parfaitement intégrée à l’esthétique générale, pourvu que ses contours la rendent identifiable en tant que telle. Cette approche évite d’introduire une condition de protection supplémentaire non écrite et préserve l’effectivité du droit des dessins et modèles pour des industries, comme l’automobile, où le design repose précisément sur l’harmonie et l’intégration des différentes composantes.
En précisant les modalités d’acquisition de la protection pour les parties de produits, la Cour adopte une solution pragmatique qui renforce la position des créateurs, tout en posant les bases d’une analyse centrée sur la perception de l’utilisateur averti.
II. La portée d’une solution pragmatique au service des industries créatives
La décision étend de manière significative le champ de la protection offerte par le dessin ou modèle non enregistré, ce qui constitue un avantage certain pour les créateurs (A), non sans laisser subsister une part d’incertitude pour les concurrents (B).
A. Le renforcement de la protection accordée aux créateurs
Cet arrêt constitue une avancée majeure pour les secteurs économiques « qui produisent d’importantes quantités de dessins ou modèles destinés à des produits qui ont souvent un cycle de vie économique court », tels que la mode ou l’automobile. En n’exigeant pas une divulgation séparée pour chaque composant d’un produit, la Cour facilite grandement l’obtention d’une protection pour des éléments de design qui, bien qu’intégrés dans un ensemble, possèdent leur propre valeur créative et commerciale. Un constructeur automobile peut ainsi défendre non seulement l’apparence de son véhicule, mais aussi celle d’un pare-chocs, d’un capot ou d’un aileron spécifique, sans formalité supplémentaire.
Cette interprétation pragmatique permet de lutter plus efficacement contre la contrefaçon portant sur des pièces détachées ou des accessoires de personnalisation qui reproduisent des éléments stylistiques distinctifs. Elle assure que la protection conférée par le dessin ou modèle non enregistré ne soit pas vidée de sa substance par une interprétation trop restrictive des conditions de sa naissance. La valeur économique d’un design résidant souvent dans ses détails, la solution de la Cour permet de protéger ces détails en tant que tels, ce qui favorise « l’innovation et le développement de nouveaux produits ».
B. La persistance d’une insécurité juridique pour les concurrents
Si la décision est favorable aux titulaires de droits, elle crée inévitablement une zone d’incertitude pour les concurrents. Le critère de la « partie clairement identifiable » demeure sujet à interprétation. La question de savoir si une partie de produit est suffisamment délimitée pour constituer un dessin ou modèle distinct sera laissée à l’appréciation des juridictions nationales au cas par cas. Un fabricant de pièces de rechange ou d’accessoires devra désormais évaluer avec une prudence accrue si un élément d’un produit concurrent est susceptible d’être protégé de manière autonome, même en l’absence de tout enregistrement.
Le niveau de protection du dessin ou modèle non enregistré reste certes limité, puisqu’il ne protège que contre la copie et pour une durée de trois ans. Néanmoins, l’abaissement du seuil de protection pour les parties de produits complexes augmente le risque juridique pour les opérateurs du marché secondaire. L’équilibre entre la protection de l’innovation et la liberté du commerce, au cœur du règlement, est ici déplacé en faveur de la première. La Cour semble considérer que cette incertitude est le corollaire acceptable d’un système de protection souple et sans formalités, destiné à encourager la créativité dans les industries les plus dynamiques.