Cour de justice de l’Union européenne, le 28 octobre 2021, n°C-636/19

Par un arrêt du 28 octobre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la notion de « personne assurée » dans le contexte des soins de santé transfrontaliers. La décision découle d’un litige opposant une ressortissante néerlandaise, titulaire d’une pension de vieillesse servie par les Pays-Bas mais résidant en Belgique, à l’organisme néerlandais compétent. En vertu du règlement (CE) n° 883/2004, cette personne bénéficiait des prestations de soins de santé dans son État de résidence, pour le compte de l’État néerlandais. À la suite d’un diagnostic de cancer, elle a reçu des soins médicaux en Allemagne, un État tiers, sans avoir obtenu d’autorisation préalable de l’organisme néerlandais.

L’organisme néerlandais refusa le remboursement des frais engagés, arguant que les soins, qualifiés de « programmés », nécessitaient une autorisation préalable au titre du règlement n° 883/2004. Saisie en première instance puis en appel, la justice néerlandaise confirma initialement cette position. La requérante soutint cependant devant la juridiction de renvoi, la Centrale Raad van Beroep, qu’elle pouvait prétendre au remboursement en application de la directive 2011/24/UE relative aux droits des patients, qui instaure un régime de remboursement distinct. Le débat se concentra alors sur le statut de la requérante, qui n’était pas affiliée au régime d’assurance maladie obligatoire néerlandais. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur le point de savoir si une personne dans une telle situation pouvait être qualifiée de « personne assurée » au sens de la directive 2011/24 et, par conséquent, invoquer les droits au remboursement que celle-ci prévoit.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que le titulaire d’une pension qui, en vertu de l’article 24 du règlement n° 883/2004, a droit aux prestations en nature servies par son État de résidence pour le compte de l’État débiteur de la pension, doit être considéré comme une « personne assurée » au sens de la directive 2011/24. Ce statut lui permet de solliciter le remboursement des coûts de soins reçus dans un troisième État membre, indépendamment de son affiliation à un régime d’assurance maladie obligatoire dans l’État débiteur.

La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation extensive de la notion de personne assurée (I), ce qui a pour effet de consacrer une double voie de prise en charge pour les titulaires de pension (II).

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I. L’interprétation extensive de la notion de personne assurée

La Cour de justice fonde son raisonnement sur une lecture finaliste et systémique des textes, rejetant une conception restrictive qui lierait le statut d’assuré à une affiliation nationale (A) et affirmant l’unité fonctionnelle des règles de coordination (B).

A. Le rejet d’une condition d’affiliation au régime national

L’argument principal de l’État membre débiteur consistait à soutenir qu’une personne non affiliée à son régime d’assurance maladie obligatoire ne pouvait être qualifiée de « personne assurée ». La Cour écarte cette analyse en se fondant sur la définition même donnée par les textes de l’Union. L’article 3, sous b), i), de la directive 2011/24 renvoie à la notion de « personne assurée » définie à l’article 1er, sous c), du règlement n° 883/2004. Or, cette disposition définit la personne assurée comme « toute personne qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État membre compétent […] pour avoir droit aux prestations, compte tenu des dispositions du présent règlement ».

La Cour souligne l’importance de l’incise « compte tenu des dispositions du présent règlement ». Elle en déduit que le droit aux prestations, et donc la qualité d’assuré, ne découle pas uniquement de la législation nationale interne, mais également des droits directement conférés par le règlement lui-même. En l’espèce, l’article 24 du règlement n° 883/2004 octroie un droit aux prestations en nature au titulaire de pension résidant dans un autre État membre. Ce droit, issu du règlement, suffit à lui seul à faire entrer l’intéressé dans le champ de la définition de la « personne assurée ». L’absence d’affiliation à un régime national obligatoire devient ainsi inopérante, car la Cour privilégie une approche fonctionnelle : ce qui importe est le droit aux prestations, non la modalité administrative de sa source.

B. L’affirmation de l’unité conceptuelle des bénéficiaires

Pour conforter son analyse, la Cour réfute l’idée que les catégories de « personne assurée » et de « titulaire de pension » seraient mutuellement exclusives au sein du règlement. Le gouvernement néerlandais tirait argument de la structure du titre III du règlement, qui consacre deux sections distinctes à ces groupes. Cependant, la Cour considère que cette distinction est purement organisationnelle et non conceptuelle. Elle rappelle que le règlement n° 883/2004 visait à simplifier et moderniser les règles de coordination, ce qui plaide en faveur d’une notion large et unifiée de « personne assurée ».

La Cour juge que la section 2, dédiée aux titulaires de pension, constitue une *lex specialis* qui adapte les règles à leur situation particulière, notamment lorsqu’ils ne résident pas dans l’État membre compétent. Elle ne crée pas pour autant une catégorie de bénéficiaires qui serait privée du statut fondamental de « personne assurée ». Selon la Cour, « il s’agit, compte tenu de “[l]a position spécifique des […] titulaires de pensions et des membres de leur famille”, de prévoir des “dispositions particulières en matière d’assurance maladie adaptées à cette situation”, plutôt que deux catégories de personnes distinctes et mutuellement exclusives ». Cette approche préserve la cohérence du système et assure que tous les bénéficiaires du règlement sont, en substance, des personnes assurées, même si des règles spécifiques s’appliquent à certains d’entre eux.

Cette interprétation large et unifiée de la qualité d’assuré ouvre pour les titulaires de pension l’accès à un second mécanisme de remboursement, celui prévu par la directive 2011/24.

II. La consécration d’une double voie de remboursement pour les titulaires de pension

En qualifiant le titulaire de pension de « personne assurée » au sens de la directive, l’arrêt confirme l’articulation entre les deux instruments juridiques (A) et renforce significativement la mobilité des patients au sein de l’Union (B).

A. L’articulation clarifiée entre le règlement et la directive

La décision illustre parfaitement la coexistence de deux systèmes de prise en charge des soins transfrontaliers. Le premier, organisé par le règlement n° 883/2004, est un système de coordination entre institutions de sécurité sociale, généralement fondé sur une autorisation préalable pour les soins programmés et permettant une prise en charge directe des frais. Le second, codifié par la directive 2011/24, consacre un droit pour le patient de se faire soigner dans un autre État membre et d’obtenir ensuite le remboursement de ses frais par son État d’affiliation, dans la limite des tarifs applicables dans ce dernier.

En ouvrant l’accès à la directive aux titulaires de pension relevant de l’article 24 du règlement, la Cour confirme qu’ils ne sont pas cantonnés au seul mécanisme du règlement. Ils disposent désormais d’une option. Ils peuvent soit solliciter une autorisation préalable auprès de leur institution compétente pour bénéficier d’une prise en charge directe au titre du règlement, soit se rendre dans un autre État membre, avancer les frais et en demander le remboursement au titre de la directive. Cette dualité offre une flexibilité considérable, en particulier dans les situations où l’obtention d’une autorisation préalable est complexe ou incertaine.

B. Le renforcement des garanties pour la mobilité des patients

La portée de cet arrêt est significative pour des milliers de titulaires de pension résidant hors de l’État membre qui verse leur pension. Il met fin à une insécurité juridique et élargit concrètement leur liberté de recevoir des soins de santé dans l’Union. En l’espèce, la requérante a pu obtenir le remboursement de soins reçus en Allemagne, un État qui n’était ni son État de résidence, ni l’État débiteur de sa pension. La solution garantit donc une mobilité étendue, qui n’est plus limitée aux seuls États avec lesquels le pensionné a un lien direct.

De plus, en accédant au régime de la directive, le patient peut, dans une certaine mesure, contourner l’exigence d’autorisation préalable. L’article 8 de la directive permet aux États membres de soumettre certains soins à autorisation, mais cette faculté est encadrée et, comme le relève la Cour, n’avait pas été mise en œuvre par les Pays-Bas pour les soins en question. En l’absence d’un tel régime d’autorisation préalable au titre de la directive, le remboursement est de droit, pour autant que les soins fassent partie des prestations couvertes par l’État d’affiliation. La décision de la Cour renforce ainsi l’autonomie du patient et place la liberté de choix au cœur du système, conformément à l’objectif de la directive et à la jurisprudence constante relative à la libre prestation de services.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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