Cour de justice de l’Union européenne, le 28 octobre 2021, n°C-650/19

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en date du 20 octobre 2022 vient préciser les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union. En l’espèce, une société de conseil avait introduit un recours en indemnité devant le Tribunal de l’Union européenne, cherchant à obtenir réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait des agissements d’une institution de l’Union. Par un arrêt du 26 juin 2019, le Tribunal avait rejeté ce recours en le jugeant non fondé. La juridiction de première instance avait notamment écarté l’argumentation de la société requérante relative à une violation de son droit d’être entendue au cours de la procédure administrative. Saisie d’un pourvoi par la société de conseil, la Cour de justice de l’Union européenne était ainsi conduite à examiner si le Tribunal avait commis une erreur de droit en appréciant la portée d’une telle irrégularité procédurale. Se posait alors la question de savoir si la violation avérée du droit d’être entendu constituait une illégalité suffisante pour engager la responsabilité de l’Union, ou si ses conséquences devaient être appréciées au regard des autres conditions de cette responsabilité. Par la décision commentée, la Cour de justice annule partiellement l’arrêt du Tribunal, considérant que le grief tiré de la violation du droit d’être entendu était fondé. Elle renvoie cependant l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci se prononce sur l’existence d’un lien de causalité entre cette illégalité et le dommage allégué, ainsi que sur la réalité de ce dernier. La solution retenue par la Cour permet ainsi de réaffirmer la place centrale du droit d’être entendu comme garantie procédurale (I), tout en soumettant l’octroi d’une réparation à la démonstration rigoureuse de l’ensemble des conditions de la responsabilité non contractuelle (II).

I. La consécration de la portée autonome du droit d’être entendu

La Cour de justice, en censurant l’analyse du Tribunal, rappelle que le respect du droit d’être entendu constitue une garantie fondamentale dont la violation représente une illégalité en soi (A). Cette sanction se matérialise par une annulation de la décision des premiers juges, démontrant que l’erreur de droit est constituée indépendamment de l’influence que cette garantie aurait pu exercer sur l’issue du litige (B).

A. L’affirmation du droit d’être entendu comme une garantie fondamentale

Le droit d’être entendu constitue un principe général du droit de l’Union, qui exige que toute personne susceptible de se voir imposer une décision faisant grief ait la possibilité de faire connaître utilement son point de vue. En annulant l’arrêt du Tribunal, la Cour de justice confirme que ce droit ne saurait être traité comme une simple formalité. L’arrêt est en effet annulé « en ce qu’il a écarté comme étant non fondé le grief soulevé […] relatif à la violation par la Commission européenne du droit d’être entendu ». La Cour consacre ainsi le caractère essentiel de cette garantie dans l’ordre juridique de l’Union.

Le raisonnement de la Cour souligne qu’une violation de cette nature est suffisamment grave pour vicier la procédure et, par conséquent, entacher d’illégalité la décision qui en découle. L’institution de l’Union ne peut donc s’exonérer de son obligation de permettre à l’administré de présenter ses observations avant l’adoption d’un acte qui l’affecte défavorablement. En jugeant que le Tribunal a commis une erreur en ne reconnaissant pas cette violation, la Cour réaffirme que le contrôle juridictionnel doit porter avec une attention particulière sur le respect des garanties procédurales accordées aux justiciables.

B. L’annulation de l’arrêt du Tribunal pour erreur de droit

La décision de la Cour de justice ne se limite pas à une simple reconnaissance théorique du principe ; elle lui attache des conséquences procédurales directes et significatives. En choisissant d’annuler l’arrêt du Tribunal sur ce point précis, la Cour établit que l’appréciation erronée de la portée du droit d’être entendu constitue une erreur de droit justifiant la censure. Le Tribunal ne pouvait donc valablement écarter ce grief sans en examiner la pleine portée et les conséquences.

Cette annulation partielle démontre que la violation d’un droit procédural fondamental n’est pas subordonnée à la preuve que la décision finale aurait été différente en son absence. L’illégalité est constituée par le seul manquement à l’obligation procédurale. La Cour isole ainsi la question de la légalité de la procédure de celle de la responsabilité finale. La reconnaissance de l’illégalité fautive de l’institution est une étape distincte et préalable à l’examen des autres conditions nécessaires à l’indemnisation du préjudice qui en résulterait.

La censure de la décision des premiers juges ouvre la voie à une nouvelle phase du litige, mais la Cour de justice en définit précisément le périmètre. Si la faute de l’institution est désormais établie, la question de la réparation du dommage qui en découle demeure entièrement posée.

II. La subordination de la réparation à la preuve d’un lien de causalité

La Cour, tout en reconnaissant l’illégalité commise, prend soin de ne pas statuer elle-même sur l’engagement de la responsabilité de l’Union. Elle renvoie l’affaire au Tribunal en circonscrivant sa mission à l’examen du lien de causalité et du préjudice (A), opérant ainsi une distinction méthodologique claire entre l’illégalité fautive et le préjudice effectivement réparable (B).

A. Le renvoi circonscrit à l’examen du lien de causalité et du préjudice

La Cour de justice, après avoir annulé l’arrêt, rejette le pourvoi pour le surplus et renvoie l’affaire devant le Tribunal. La mission de ce dernier est explicitement délimitée. Il devra statuer « sur les conditions de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne relatives à l’existence d’un lien de causalité entre la violation par la Commission européenne du droit d’être entendu et le préjudice invoqué ainsi qu’à la réalité du dommage ». Cette formulation est essentielle, car elle confirme que la reconnaissance d’une faute ne suffit pas à elle seule pour déclencher le droit à réparation.

Il appartiendra donc à la société requérante de démontrer, devant le Tribunal de renvoi, que c’est bien la privation de son droit d’être entendue qui est la cause directe du préjudice qu’elle allègue. Elle devra également prouver la réalité et l’étendue de ce dommage. Le renvoi n’est donc pas une simple formalité, mais bien le cœur de l’examen au fond des conditions matérielles de la responsabilité. La Cour s’assure ainsi que l’indemnisation ne sera accordée que si un lien de causalité direct et certain est établi entre la faute procédurale et le dommage.

B. La distinction entre l’illégalité fautive et le préjudice réparable

Cette décision illustre de manière particulièrement claire la décomposition du régime de la responsabilité non contractuelle en trois conditions cumulatives : une illégalité, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. En annulant pour violation du droit d’être entendu, la Cour tranche la première condition, celle de l’illégalité fautive. Toutefois, en renvoyant l’examen des deux autres conditions au Tribunal, elle refuse toute automaticité dans l’engagement de la responsabilité.

La portée de cet arrêt réside dans cet équilibre. D’une part, il sanctionne fermement le non-respect des droits de la défense, empêchant les institutions de considérer les garanties procédurales comme secondaires. D’autre part, il maintient l’exigence d’une charge de la preuve complète pour le demandeur en indemnité. Un requérant ne peut se contenter de prouver une faute procédurale pour obtenir réparation ; il doit encore établir que cette faute lui a causé un préjudice réel et quantifiable. La Cour préserve ainsi les deniers de l’Union contre des demandes indemnitaires qui ne reposeraient que sur des irrégularités formelles sans incidence dommageable avérée.

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Hassan KOHEN
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