Par un arrêt du 28 septembre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant du droit communautaire. La Commission des Communautés européennes a constaté qu’un État membre n’avait pas transposé dans son ordre juridique interne la directive 1999/37/CE du 29 avril 1999, relative aux documents d’immatriculation des véhicules, dans le délai imparti.
Conformément à la procédure prévue par l’article 226 du traité instituant la Communauté européenne, la Commission a d’abord mis en demeure l’État membre de présenter ses observations sur ce manquement. En l’absence de transposition de la directive à la suite de cette mise en demeure, la Commission a émis un avis motivé, fixant un nouveau délai pour que l’État concerné se conforme à ses obligations. L’État membre n’ayant toujours pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à l’expiration de ce délai, la Commission a décidé de saisir la Cour de justice. La question de droit soumise à la Cour était de déterminer si le fait pour un État membre de ne pas avoir adopté les mesures de transposition d’une directive à l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé constitue un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.
La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en jugeant que l’existence d’un manquement doit être appréciée « en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Par conséquent, elle a déclaré que l’État membre avait effectivement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.
Cette décision, bien que classique dans sa solution, illustre la mécanique du contentieux en manquement et la rigueur avec laquelle la Cour apprécie les obligations des États membres. Elle confirme le caractère objectif de l’infraction (I), tout en rappelant la portée d’un arrêt rendu sur le fondement de l’article 226 du traité CE (II).
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I. La consécration d’un manquement objectif à l’obligation de transposition
L’arrêt met en évidence que le manquement d’un État membre est apprécié de manière purement objective, en se fondant sur la simple constatation matérielle du non-respect de l’échéance (A), ce qui découle de la nature même de l’obligation de transposition des directives (B).
A. La constatation matérielle du non-respect du délai
La Cour de justice, dans sa décision, se limite à un raisonnement factuel et temporel. Elle rappelle de manière constante que le moment pertinent pour évaluer l’existence d’un manquement est celui de l’expiration du délai fixé par la Commission dans son avis motivé. Toute régularisation ultérieure par l’État membre, même si elle intervenait avant le prononcé de l’arrêt, serait sans incidence sur la constatation du manquement passé.
Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et l’application uniforme du droit communautaire. Elle empêche un État membre de retarder indéfiniment la transposition d’une directive en ne régularisant sa situation qu’au dernier stade de la procédure contentieuse. Le manquement est donc constitué par le seul fait de ne pas avoir agi dans les temps, indépendamment des raisons ou des difficultés internes invoquées par l’État défaillant. La Cour n’examine pas les justifications de ce retard, mais se borne à vérifier si, à une date précise, l’obligation était remplie ou non.
B. Le rappel de la force contraignante des directives
Le manquement sanctionné trouve sa source dans l’article 249 du traité CE, qui dispose que la directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». L’obligation de transposer une directive dans le délai prescrit est une obligation de résultat fondamentale pour l’effectivité du droit communautaire.
En l’espèce, le défaut de transposition de la directive relative aux documents d’immatriculation des véhicules prive les citoyens et les entreprises des droits et des garanties que ce texte visait à harmoniser au sein du marché intérieur. La décision de la Cour réaffirme ainsi que la coopération loyale, principe cardinal des relations entre les institutions et les États membres, impose à ces derniers de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de leurs obligations. L’arrêt, bien que rendu dans une affaire sans complexité juridique particulière, sert de rappel pédagogique de cette exigence fondamentale.
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Le manquement étant ainsi caractérisé de manière objective, la décision de la Cour s’inscrit dans un cadre procédural strict dont il convient de préciser la portée.
II. La portée du contrôle juridictionnel dans le recours en manquement
L’arrêt illustre le rôle central de la phase administrative qui précède la saisine de la Cour (A) et met en lumière la nature essentiellement déclaratoire du jugement prononcé à l’issue de la procédure (B).
A. La fonction déterminante de la procédure précontentieuse
La procédure en manquement est structurée en deux phases. La phase précontentieuse, initiée et menée par la Commission en sa qualité de gardienne des traités, est une étape obligatoire. Elle commence par une lettre de mise en demeure et se poursuit par un avis motivé. Cette étape a une double fonction : d’une part, elle permet à l’État membre de se défendre et, le cas échéant, de régulariser sa situation, évitant ainsi le contentieux.
D’autre part, elle délimite l’objet du litige. La Cour de justice ne peut être saisie que des griefs qui ont été préalablement énoncés dans l’avis motivé. L’arrêt commenté le démontre implicitement, en se fondant exclusivement sur la situation à l’expiration du délai fixé par cet avis. Cette formalisation de la procédure protège les droits de la défense de l’État membre et assure que le débat juridictionnel soit clairement défini avant d’être porté devant le juge.
B. La nature déclaratoire de l’arrêt en manquement
L’arrêt se conclut par le simple constat que, « en ne prenant pas, dans le délai prescrit, toutes les dispositions […] nécessaires pour se conformer à la directive […], le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent ». Un tel arrêt a une nature déclaratoire : il se borne à constater officiellement l’existence de la violation du droit communautaire. Il n’annule pas une mesure nationale et, à ce stade, n’inflige pas de sanction pécuniaire.
La portée de cet arrêt réside dans l’obligation pour l’État membre, en vertu de l’article 228 du traité CE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. Si l’État persiste dans son manquement, la Commission peut engager une seconde procédure, dite de « manquement sur manquement », qui peut, elle, aboutir à la condamnation de l’État au paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte. La décision du 28 septembre 2006 constitue donc la première étape d’un mécanisme de contrainte graduée, visant à assurer l’exécution effective du droit communautaire dans tous les États membres.