Cour de justice de l’Union européenne, le 29 avril 2004, n°C-160/02

Par un arrêt du 29 avril 2004, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par l’Oberster Gerichtshof autrichien, s’est prononcée sur l’interprétation du règlement n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale. La Cour a clarifié les conditions dans lesquelles une prestation de sécurité sociale peut être qualifiée de « prestation spéciale à caractère non contributif », la soustrayant ainsi au principe fondamental de l’exportabilité des prestations au sein de la Communauté.

En l’espèce, un ressortissant autrichien résidant habituellement en Espagne s’est vu refuser par l’organisme social autrichien compétent le bénéfice d’un « supplément compensatoire » à sa pension de retraite. Ce refus était motivé par le fait que le demandeur ne résidait pas sur le territoire autrichien, condition exigée par la législation nationale pour l’octroi de ladite prestation. L’organisme social et les juridictions nationales de première instance et d’appel ont considéré que ce supplément constituait une prestation spéciale non contributive au sens de l’article 10 bis du règlement n° 1408/71, laquelle, par dérogation, n’est versée que dans l’État membre de résidence. Le demandeur a formé un pourvoi, soutenant que la nature de la prestation nécessitait une saisine de la Cour de justice, ce qui a conduit la juridiction suprême autrichienne à poser une question préjudicielle.

Il était donc demandé à la Cour de déterminer si un supplément compensatoire, bien que formellement inscrit par un État membre sur la liste des prestations spéciales non contributives de l’annexe II bis du règlement, devait pour autant être considéré comme tel et échapper au principe d’exportabilité. Plus précisément, la question était de savoir si cette inscription suffisait à elle seule ou si la prestation devait également satisfaire matériellement aux critères définis par le droit communautaire.

À cette question, la Cour de justice répond que l’inscription d’une prestation à l’annexe II bis ne constitue pas une condition suffisante. Elle affirme que pour déroger au principe d’exportabilité, une prestation doit impérativement présenter un caractère à la fois spécial et non contributif au sens de l’article 4, paragraphe 2 bis, du règlement. Procédant à l’analyse concrète du supplément compensatoire autrichien, la Cour conclut que celui-ci remplit effectivement ces deux conditions matérielles, justifiant ainsi que son versement soit limité aux seules personnes résidant en Autriche. Par cette décision, la Cour réaffirme la primauté de son contrôle sur la qualification des prestations sociales (I), avant d’appliquer rigoureusement cette méthode d’analyse au cas d’espèce (II).

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I. La réaffirmation du contrôle judiciaire sur la qualification des prestations

La Cour de justice rappelle avec fermeté que la qualification d’une prestation sociale ne saurait dépendre de la seule volonté des États membres. Elle confirme ainsi que l’inscription formelle d’une prestation à une annexe du règlement est insuffisante (A) et consacre la nécessité d’un double examen matériel mené par le juge communautaire (B).

A. L’insuffisance de l’inscription formelle à l’annexe II bis

La Cour écarte d’emblée une interprétation purement formaliste du règlement. Le simple fait qu’une prestation soit mentionnée à l’annexe II bis ne suffit pas à la qualifier de prestation spéciale à caractère non contributif. Elle rappelle que « les dispositions dérogatoires au caractère exportable des prestations de sécurité sociale, prévues à l’article 10 bis du règlement n° 1408/71, doivent être interprétées strictement ». Cette approche garantit l’effet utile du principe de libre circulation des travailleurs, lequel serait vidé de sa substance si les États membres pouvaient unilatéralement soustraire des prestations au principe d’exportabilité.

En exigeant que la prestation satisfasse cumulativement aux conditions de fond de l’article 4, paragraphe 2 bis, la Cour se positionne comme la gardienne de l’application uniforme du droit communautaire. L’annexe n’a qu’une valeur indicative et ne crée pas de présomption irréfragable. Le contrôle juridictionnel demeure donc entier, assurant que la dérogation au principe d’exportabilité reste une exception strictement encadrée et justifiée par la nature même de la prestation, et non par la seule qualification nationale.

B. La consécration d’un double critère matériel

Pour relever de l’exception de l’article 10 bis, une prestation doit donc être à la fois « spéciale » et « à caractère non contributif ». La Cour précise la portée de ces deux critères en se fondant sur sa jurisprudence antérieure. Le caractère spécial d’une prestation se définit par sa finalité, qui est de compléter ou de remplacer une prestation de sécurité sociale classique, tout en présentant les caractéristiques d’une aide sociale justifiée par la situation économique et sociale de l’État membre concerné. Elle vise à garantir un minimum de moyens d’existence et son montant est souvent lié au niveau de vie national.

Le caractère non contributif, quant à lui, est déterminé par le mode de financement de la prestation. La Cour se livre à une analyse concrète pour vérifier si « le financement est assuré directement ou indirectement par des cotisations sociales ou par des ressources publiques ». Seules les prestations financées exclusivement par la solidarité nationale, via l’impôt ou d’autres ressources publiques, peuvent être considérées comme non contributives. Cette double exigence matérielle forme un filtre rigoureux que le juge communautaire applique de manière systématique. Ayant ainsi posé son cadre d’analyse, la Cour l’applique ensuite avec méthode à la prestation autrichienne.

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II. L’application des critères de qualification au supplément compensatoire

La Cour de justice procède à un examen détaillé du supplément compensatoire autrichien au regard du double critère qu’elle a rappelé. Elle identifie en lui une prestation spéciale liée à l’assistance sociale (A), avant de confirmer son financement par la collectivité publique qui lui confère son caractère non contributif (B).

A. L’identification d’une prestation spéciale liée à l’assistance sociale

La Cour analyse la finalité du supplément compensatoire autrichien et constate qu’il s’agit bien d’une prestation spéciale. En effet, cette prestation « complète une pension de vieillesse ou d’invalidité » et « vise à assurer un minimum vital à son bénéficiaire, en cas de pension insuffisante ». Elle ne constitue pas une prestation de sécurité sociale classique, fondée sur une logique d’assurance, mais s’apparente à une aide sociale dont l’octroi est conditionné par un état de besoin objectivement défini par la loi.

Le caractère spécial est renforcé par le lien étroit de la prestation avec le contexte économique et social autrichien. Son objectif de garantir un revenu minimal adapté au niveau de vie national justifie qu’elle soit réservée aux résidents. La Cour estime que la finalité d’une telle prestation « se perdrait si elle devait être accordée en dehors de l’État de résidence ». La qualification de « prestation spéciale » est donc ici validée en raison de sa nature hybride, à mi-chemin entre la sécurité sociale et l’assistance sociale.

B. La caractérisation d’une prestation non contributive fondée sur son financement

La Cour se penche ensuite sur le critère du financement pour déterminer si la prestation a un caractère non contributif. L’arrêt décrit précisément le mécanisme financier : les sommes sont avancées par un organisme de sécurité sociale, mais celui-ci est intégralement remboursé par le Land, qui perçoit lui-même les fonds nécessaires du budget de l’État fédéral. La Cour relève que « les cotisations des assurés n’entrent à aucun moment dans ce financement ».

Le fait que le financement repose en dernier ressort sur les ressources publiques, et non sur les contributions des travailleurs ou des employeurs, est l’élément décisif. Cette absence de contrepartie contributive directe ou indirecte de la part des bénéficiaires achève de classer le supplément compensatoire dans la catégorie des prestations non contributives. Les deux conditions matérielles étant remplies, la Cour conclut logiquement que la prestation relève bien du champ d’application de l’article 10 bis du règlement, justifiant ainsi la clause de résidence imposée par la législation autrichienne.

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Hassan KOHEN
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