Cour de justice de l’Union européenne, le 29 avril 2004, n°C-224/02

Par un arrêt en date du 29 avril 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée du droit de libre circulation et de séjour des citoyens de l’Union au regard d’une législation nationale en matière de saisie des pensions. En l’espèce, un ressortissant finlandais, retraité et résidant en Espagne, percevait une pension d’invalidité de Finlande. Cette pension fit l’objet d’une saisie sur le territoire finlandais pour le recouvrement d’une dette. La quotité saisissable fut calculée sur le montant brut de la pension, car l’impôt sur le revenu était dû en Espagne et non prélevé à la source en Finlande. Le débiteur soutenait que ce mode de calcul le plaçait dans une situation plus défavorable que s’il avait continué de résider en Finlande, où la saisie aurait été calculée sur la pension nette après impôt. Saisie d’un recours, la juridiction finlandaise a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de cette réglementation nationale avec l’article 18 du traité CE (devenu l’article 21 TFUE). Le problème de droit soulevé était de savoir si le droit de l’Union s’oppose à une législation d’un État membre qui, pour déterminer la partie saisissable d’une pension, ne prend en compte que l’impôt retenu à la source dans cet État, au détriment de l’impôt acquitté ultérieurement dans l’État de résidence du débiteur. La Cour a jugé qu’une telle législation est en principe contraire au droit de l’Union, car elle désavantage le citoyen ayant exercé sa liberté de circulation. Elle a toutefois tempéré sa position en admettant la conformité d’une telle législation si elle prévoit des mécanismes permettant une prise en compte effective de l’impôt payé dans l’autre État membre, sans que l’exercice de ce droit soit excessivement difficile pour le débiteur.

***

**I. L’entrave à la libre circulation caractérisée par un traitement défavorable**

La Cour de justice établit une connexion directe entre la différence de traitement subie par le débiteur et l’exercice de son droit de circuler, une approche que les objectifs légitimes de la loi nationale ne suffisent pas à justifier.

A. L’identification d’une inégalité de traitement liée à l’exercice d’une liberté fondamentale

La Cour rappelle que le statut de citoyen de l’Union est le statut fondamental des ressortissants des États membres. Il implique, dans le champ d’application du traité, l’obtention du même traitement juridique pour ceux se trouvant dans une même situation. Or, la situation d’un citoyen qui a exercé sa liberté de circulation relève du domaine du droit communautaire. Il serait dès lors « incompatible avec le droit de la libre circulation qu’il puisse se voir appliquer dans l’État membre dont il est ressortissant un traitement moins favorable que celui dont il bénéficierait s’il n’avait pas fait usage des facilités ouvertes par le traité en matière de circulation ». La Cour constate que la législation finlandaise, en ne permettant de déduire que l’impôt retenu à la source, désavantage les ressortissants qui ont établi leur résidence dans un autre État membre.

Ce faisant, la réglementation nationale pénalise le fait même d’avoir exercé la liberté de séjourner dans un autre État membre. En l’occurrence, en transférant sa résidence en Espagne, le débiteur perdait l’avantage de la prise en compte de sa charge fiscale pour le calcul de la part saisissable de sa pension. La Cour considère qu’une telle situation engendre une inégalité de traitement contraire aux principes du statut de citoyen de l’Union. Le préjudice n’est pas hypothétique mais résulte de manière « certaine et inévitable » de l’application de la loi nationale. L’obstacle à la libre circulation est donc clairement constitué par cette conséquence pécuniaire négative directement liée au changement de résidence au sein de l’Union.

B. L’inefficacité de la justification tirée des objectifs de la législation nationale

Le gouvernement finlandais avançait que sa législation poursuivait un double objectif légitime : assurer le recouvrement des créances et garantir au débiteur un revenu minimal pour subvenir à ses besoins. La Cour reconnaît la légitimité de ces objectifs. Elle admet ainsi qu’un État membre puisse déterminer la part saisissable d’une pension au regard du montant qui serait effectivement versé en l’absence de saisie, en excluant une dette fiscale qui n’est pas encore échue. Cette approche protège les droits des créanciers, qui ne sauraient être primés par une charge fiscale future et incertaine. Cependant, le raisonnement de la Cour bascule lorsqu’elle examine la situation une fois l’impôt devenu exigible dans l’État de résidence.

À ce stade, ignorer cette charge fiscale affecte le niveau de ressources réel du débiteur. La Cour estime qu’exclure toute prise en compte de l’impôt dû dans l’État de résidence, une fois celui-ci exigible, « ne saurait être justifié au regard des objectifs légitimes que poursuit la loi sur l’exécution forcée ». Au contraire, une telle exclusion entre en contradiction avec le but même de la loi, qui est de préserver un revenu minimal pour le débiteur. Le mécanisme national, en traitant différemment les résidents et les non-résidents, produit un effet qui va à l’encontre de l’un de ses propres objectifs de protection sociale, ce qui le prive de sa justification et de sa proportionnalité.

***

**II. La conciliation conditionnée du droit de l’Union avec les prérogatives procédurales nationales**

Après avoir posé le principe de l’interdiction, la Cour nuance sa solution en admettant, sous strictes conditions, la validité d’un système national qui aménage la prise en compte de l’impôt étranger, faisant ainsi peser une charge probatoire sur le débiteur.

A. L’encadrement des modalités de prise en compte de l’impôt étranger

La Cour ne condamne pas le système finlandais dans son intégralité mais ouvre une voie de compatibilité. Une législation nationale n’est pas contraire au droit de l’Union si elle prévoit une prise en compte de l’impôt acquitté dans l’autre État membre. Cette possibilité ne doit cependant pas être illusoire. La Cour pose trois conditions cumulatives strictes pour qu’un tel mécanisme soit jugé conforme. Premièrement, « le droit du débiteur concerné d’obtenir une telle prise en compte ressort clairement de ladite législation ». Cette exigence de clarté et de prévisibilité interdit que la prise en compte de l’impôt dépende d’une simple appréciation discrétionnaire de l’autorité nationale compétente, comme le soulignait l’avocat général.

Deuxièmement, les modalités d’ajustement doivent être effectives. Elles doivent garantir au débiteur le droit d’obtenir, sur une base annuelle, un ajustement des quotités saisissables dans la même mesure que si l’impôt avait été déduit à la source. L’équivalence de traitement doit être non seulement possible en théorie, mais réalisable en pratique. Troisièmement, ces modalités procédurales ne doivent pas avoir pour effet de « rendre l’exercice de ce droit impossible ou excessivement difficile ». Par cette dernière condition, la Cour applique son principe bien établi de l’effectivité des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, en veillant à ce que les règles nationales ne vident pas de sa substance la protection accordée au citoyen mobile.

B. La légitimité de la charge probatoire pesant sur le débiteur

La Cour admet que la prise en compte de l’impôt étranger soit soumise à la condition que le débiteur en rapporte la preuve. Elle considère qu’une exigence selon laquelle le débiteur doit établir qu’il s’est acquitté d’un montant précis d’impôt dans son État de résidence « n’apparaît pas disproportionnée ». Cette solution se justifie par des considérations pragmatiques. La Cour relève que « c’est le débiteur qui est en principe le mieux placé pour apporter une telle preuve d’une manière tout à la fois rapide et fiable ». Cette répartition de la charge de la preuve permet de concilier la protection du citoyen de l’Union avec la sécurité juridique et la protection des droits des créanciers, qui ne peuvent être suspendus indéfiniment dans l’attente de la liquidation d’une dette fiscale à l’étranger.

En validant ce principe, la Cour trace une ligne de partage entre ce qui constitue une contrainte procédurale acceptable et ce qui devient un obstacle excessif. La charge de la preuve est un tempérament légitime à la protection du débiteur, pourvu que les règles nationales relatives à son administration respectent le principe d’effectivité. Il appartiendra donc à la juridiction nationale de renvoi de vérifier si le droit finlandais, dans son interprétation et son application, permet effectivement au débiteur de prouver sa charge fiscale sans se heurter à des difficultés insurmontables, assurant ainsi le juste équilibre entre les intérêts en présence et le respect des libertés fondamentales garanties par le traité.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture