Par un arrêt en date du 29 avril 2004, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la portée de la notion d’« utilisation comme combustible » dans le cadre de l’harmonisation des droits d’accises sur les huiles minérales. La Commission des Communautés européennes avait engagé une procédure en manquement contre un État membre, lui reprochant de ne pas soumettre aux droits d’accises toutes les huiles minérales destinées à être utilisées comme combustible. La législation nationale en cause, interprétée par une circulaire administrative, prévoyait en effet une exonération pour certaines huiles minérales utilisées dans des processus industriels où la chaleur produite était directement appliquée à la matière à transformer, considérant que cela ne constituait pas une « utilisation comme combustible ».
La procédure précontentieuse a débuté par une lettre de mise en demeure, dans laquelle la Commission a exposé que l’interprétation nationale restrictive était incompatible avec la directive 92/81/CEE. L’État membre a répondu qu’en l’absence de définition communautaire expresse, il lui appartenait de préciser cette notion. Face au maintien de cette position, la Commission a émis un avis motivé, puis, en l’absence de mise en conformité de l’État membre dans le délai imparti, a saisi la Cour de justice. Les prétentions des parties mettaient donc en opposition deux conceptions : d’une part, la vision de la Commission prônant une interprétation large et autonome de la notion pour garantir l’uniformité du marché intérieur et, d’autre part, la position de l’État membre défendant sa compétence pour définir les contours d’une notion non explicitement définie par le législateur communautaire.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si la notion d’« utilisation comme combustible », au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 92/81, devait faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme en droit communautaire et, dans l’affirmative, si une législation nationale qui en exclut l’utilisation directe de l’énergie thermique dans des processus industriels était compatible avec ladite directive.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative sur le premier point et par la négative sur le second. Elle juge que l’expression « utilisées comme combustible » doit être interprétée de manière autonome. Elle en déduit que l’interprétation nationale restrictive, qui exonère de l’accise des cas où les huiles minérales sont brûlées pour produire de la chaleur utilisée dans un processus industriel, méconnaît les obligations découlant de la directive. La Cour fonde sa décision sur une interprétation à la fois systémique et téléologique de la directive (I), affirmant ainsi la primauté d’une définition communautaire harmonisée sur les approches nationales restrictives (II).
I. L’interprétation extensive de la notion d’« utilisation comme combustible »
La Cour de justice, pour constater le manquement, a d’abord affirmé la nécessité d’une interprétation autonome de la notion litigieuse, allant à l’encontre de la marge d’appréciation revendiquée par l’État membre défendeur. Cette interprétation autonome (A) s’est ensuite appuyée sur une analyse combinée de l’économie générale et de la finalité de la directive (B) pour asseoir une définition large de l’utilisation comme combustible.
A. La consécration d’une interprétation autonome contre la compétence étatique
L’État membre soutenait que l’absence de définition formelle de l’expression « utilisées comme combustible » dans la directive 92/81 lui laissait la liberté de la définir en droit interne. La Cour rejette fermement cette thèse en se fondant sur les objectifs des directives relatives aux droits d’accises. Elle rappelle que ces textes, fondés sur l’article 93 du traité CE, visent à assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, ce qui implique notamment d’éviter les distorsions de concurrence. Laisser à chaque État membre le soin de définir le fait générateur de l’accise irait à l’encontre de cet objectif fondamental.
La Cour souligne qu’en déterminant de manière uniforme les utilisations des huiles minérales donnant lieu à perception d’une accise, « le législateur a entendu exclure que les cas dans lesquels les huiles minérales sont soumises à une accise varient d’un État membre à l’autre en fonction de l’utilisation de celles-ci, ce qui serait de nature à provoquer des distorsions de concurrence ». Le fait que l’harmonisation ne soit que partielle ne saurait justifier que les notions portant sur un domaine déjà harmonisé, tel que le fait générateur de l’impôt, relèvent de la compétence des États. Ainsi, la Cour établit que l’expression « utilisées comme combustible » doit recevoir une définition unique au niveau communautaire pour garantir l’application uniforme du régime d’accise.
B. Une approche fondée sur l’économie générale et la finalité de la directive
Une fois le principe d’une interprétation autonome posé, la Cour s’attache à définir le contenu de la notion. Pour ce faire, elle recourt à une double analyse. D’une part, elle procède à une interprétation systémique en s’appuyant sur une autre disposition de la directive, l’article 8, paragraphe 1, sous d). Cette disposition prévoit une exonération obligatoire pour « les huiles minérales injectées dans les hauts fourneaux à des fins de réduction chimique, en adjonction du coke utilisé comme combustible principal ». La Cour en déduit que si le législateur a jugé nécessaire de créer une telle exonération, c’est que cette utilisation relevait en principe du champ d’application de la taxation.
Comme l’énonce l’arrêt, « il n’y aurait aucun besoin d’introduire cette exonération si le cas qu’elle vise échappait d’emblée à l’article 2, paragraphe 2, première phrase, de la directive 92/81, du fait même que l’huile minérale servant à la réduction chimique n’était pas utilisée comme combustible ». Cet argument démontre que la notion d’utilisation comme combustible ne se limite pas au seul chauffage, mais englobe également des usages industriels plus complexes. D’autre part, la Cour adopte une interprétation téléologique, rappelant que l’accise est une taxe sur la consommation. Dès lors, tous les cas où les huiles minérales sont brûlées et où l’énergie thermique produite est utilisée, quelle que soit la finalité, constituent une consommation et doivent être soumis à l’accise.
II. La portée de la décision : l’affirmation du champ d’application harmonisé de l’accise
En définissant de manière large le fait générateur de la taxe, la décision de la Cour entraîne logiquement la condamnation de la distinction opérée par le droit national (A). Plus largement, cet arrêt renforce l’effet utile de l’harmonisation fiscale en limitant les possibilités pour les États membres de créer des niches d’exonération non prévues par les textes communautaires (B).
A. La condamnation d’une distinction nationale artificielle
La législation nationale, telle qu’interprétée par la circulaire administrative, établissait une distinction entre l’utilisation indirecte de la chaleur via un fluide caloporteur, qui était taxée, et l’utilisation directe de la flamme ou de la chaleur sur un produit, qui était exonérée. La Cour juge cette distinction incompatible avec la directive. Selon elle, l’interprétation restrictive retenue par l’État membre « a pour effet d’exclure du droit d’accise les cas […] dans lesquels la combustion de l’huile minérale coïncide, dans le cadre d’un processus homogène, avec la transformation ou la destruction de la matière qui absorbe l’énergie thermique qui se dégage de la combustion ».
Or, ces cas relèvent bien de l’article 2, paragraphe 2, de la directive. En refusant de taxer ces utilisations, l’État membre a donc manqué à ses obligations. La Cour invalide ainsi une construction juridique nationale qui, bien que subtile, avait pour conséquence de réduire le champ d’application de l’impôt harmonisé. La décision sanctionne la tentative de l’État de vider de sa substance une partie du champ d’application de la taxe par une interprétation contraire aux objectifs de la directive. La solution retenue est claire : dès lors qu’il y a combustion d’huile minérale pour produire une chaleur utile, il y a utilisation comme combustible au sens de la directive et donc taxation, sauf exonération expresse.
B. Le renforcement de l’effet utile de l’harmonisation fiscale
Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt constitue une réaffirmation du principe de l’effet utile des directives d’harmonisation fiscale. En imposant une interprétation autonome et large d’une notion clé comme le fait générateur de l’impôt, la Cour empêche que l’harmonisation communautaire soit contournée par des interprétations nationales divergentes. La décision rappelle aux États membres que même dans un domaine d’harmonisation partielle, leur marge de manœuvre est encadrée par les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union.
La solution garantit que des produits et des usages similaires soient traités de manière équivalente sur l’ensemble du marché intérieur, prévenant ainsi les distorsions de concurrence qui pourraient découler de régimes fiscaux différents. En définitive, la Cour renforce la cohérence du système des accises en s’assurant que la base d’imposition soit comprise de manière uniforme. Cet arrêt illustre la vigilance de la Cour à l’égard des États membres qui, par le biais de l’interprétation de notions juridiques, tenteraient de préserver des spécificités nationales contraires à l’esprit et à la lettre du droit de l’Union.