Cour de justice de l’Union européenne, le 29 avril 2004, n°C-387/99

Par un arrêt en date du 29 avril 2004, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité avec le droit communautaire de la pratique d’un État membre consistant à classer systématiquement comme médicaments certaines préparations vitaminées. En l’espèce, des produits légalement commercialisés en tant que compléments alimentaires dans plusieurs États membres faisaient l’objet d’une requalification en médicaments par les autorités d’un autre État membre dès lors qu’ils contenaient une quantité de vitamines ou de sels minéraux trois fois supérieure à l’apport journalier recommandé par l’organisme scientifique national de référence. Saisie d’un recours en manquement par une institution de l’Union, la Cour était amenée à examiner si cette pratique administrative constituait une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si un État membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE en instaurant une présomption irréfragable de qualification médicamenteuse pour des préparations vitaminées sur la base d’un seuil quantitatif général, sans procéder à une évaluation au cas par cas de leurs propriétés pharmacologiques. La Cour de justice conclut à un manquement, jugeant que « en classant systématiquement comme médicaments les préparations vitaminées produites ou commercialisées légalement comme compléments alimentaires dans les autres États membres, dès lors qu’elles contiennent trois fois plus de vitamines, autres que les vitamines A et D, que l’apport journalier recommandé […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 30 du traité CE ».

La solution retenue par la Cour repose sur une analyse rigoureuse de la notion de médicament, dont la qualification ne saurait découler d’une règle générale et abstraite (I), et réaffirme l’exigence d’un contrôle de proportionnalité strict pour toute mesure nationale susceptible de restreindre la libre circulation des marchandises (II).

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I. La qualification de médicament subordonnée à une analyse au cas par cas

La Cour de justice rejette l’approche systématique de l’État membre mis en cause, qui se fondait sur un critère purement quantitatif pour qualifier un produit de médicament. Elle rappelle que la définition d’un médicament, notamment par fonction, impose une appréciation spécifique et individualisée.

A. Le rejet d’une qualification systématique et générale

La pratique nationale consistait à appliquer une règle, dite « du triple apport », de manière quasi automatique pour classer des compléments alimentaires en médicaments. Une telle méthode est directement censurée par la Cour, car elle ne permet pas de tenir compte des spécificités de chaque produit. La juridiction de l’Union relève que cette approche « ne distingue pas selon les différentes vitamines entrant dans la composition des préparations examinées, alors même qu’il est constant qu’aucune vitamine n’a les mêmes effets sur la santé en général et, notamment, qu’aucune ne présente le même degré de nocivité éventuelle ». En agissant de la sorte, les autorités nationales créent une présomption qui peut conduire à classer comme médicament une préparation qui ne répond pas aux critères de la directive 65/65/CEE.

Le caractère général et indifférencié de la règle est donc au cœur de la critique. Un seuil unique, même multiplié par un facteur, ne peut refléter la diversité des propriétés pharmacologiques des différentes vitamines. Le raisonnement de la Cour souligne qu’un tel automatisme méconnaît la complexité de l’évaluation scientifique requise pour déterminer si un produit est susceptible d’avoir un effet sur les fonctions organiques, ce qui est la clef de la qualification de médicament par fonction.

B. Le rappel des critères d’appréciation du médicament par fonction

Pour écarter la pratique litigieuse, la Cour s’appuie sur sa jurisprudence constante relative à la définition du médicament « par fonction » au sens de la directive 65/65/CEE. Elle réitère que la qualification d’un produit en médicament doit s’opérer « au cas par cas, compte tenu de l’ensemble de ses caractéristiques, dont, notamment, sa composition, ses propriétés pharmacologiques […], ses modalités d’emploi, l’ampleur de sa diffusion, la connaissance qu’en ont les consommateurs et les risques que peut entraîner son utilisation ». Ce faisant, elle rappelle que le risque pour la santé publique n’est qu’un des éléments d’appréciation et non le seul critère déterminant.

Une préparation peut en effet modifier des fonctions organiques sans être nécessairement nocive. L’essentiel est de déterminer si le produit est présenté comme ayant une finalité thérapeutique ou s’il est objectivement apte à restaurer, corriger ou modifier de telles fonctions de manière significative. Le simple dépassement d’un apport nutritionnel recommandé est insuffisant pour établir cette capacité. La Cour réaffirme ainsi que la frontière entre complément alimentaire et médicament est fonctionnelle et non purement quantitative, imposant aux autorités nationales une analyse fine et scientifiquement étayée pour chaque produit concerné.

II. Le contrôle de proportionnalité d’une mesure nationale de protection de la santé publique

Au-delà de la question de la qualification du produit, la Cour examine la pratique nationale sous l’angle de sa compatibilité avec la libre circulation des marchandises. Elle constate que la mesure constitue une entrave et procède à un contrôle de sa justification au regard de l’objectif de protection de la santé publique.

A. La reconnaissance d’une entrave à la libre circulation des marchandises

La Cour établit sans difficulté que la pratique de l’État membre constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative, prohibée par l’article 28 CE. En effet, soumettre des produits légalement commercialisés comme compléments alimentaires dans un État membre à une procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en tant que médicaments dans l’État d’importation crée une barrière significative à l’accès au marché. Cette procédure est, par nature, plus longue, plus coûteuse et plus contraignante que les règles applicables aux denrées alimentaires.

L’obligation d’obtenir une AMM, avec toutes les exigences documentaires et les essais cliniques qu’elle implique, a pour effet de dissuader ou de rendre plus difficile l’importation de ces produits. Il s’agit donc d’une entrave directe au commerce intracommunautaire. La mesure ne peut dès lors être admise que si elle est justifiée par l’une des raisons d’intérêt général mentionnées à l’article 30 CE, et si elle respecte le principe de proportionnalité.

B. La sanction du caractère disproportionné de la restriction

Bien que la protection de la santé publique constitue une justification légitime, la Cour juge que la mesure en cause est disproportionnée. Elle rappelle qu’il incombe aux autorités nationales qui invoquent une dérogation à la libre circulation de démontrer « dans chaque cas d’espèce » que leur réglementation est nécessaire et que le risque pour la santé publique est réel. Or, le caractère systématique de la pratique allemande empêche une telle évaluation individualisée. En appliquant une règle générale, l’État membre ne démontre pas en quoi chaque produit interdit présenterait un danger spécifique.

La Cour estime qu’une mesure moins restrictive aurait pu être envisagée. Par exemple, l’État membre aurait pu « fixer, pour chaque vitamine ou groupe de vitamines, en fonction de ses propriétés pharmacologiques, une valeur limite au-delà de laquelle les préparations […] seraient soumises […] au régime des médicaments ». Une telle approche graduée et différenciée aurait permis de mieux cibler les produits réellement à risque, sans imposer des contraintes excessives à des produits inoffensifs. En soumettant indistinctement toutes les préparations dépassant le seuil à la lourde procédure de l’AMM, la réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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