Cour de justice de l’Union européenne, le 29 avril 2004, n°C-77/01

Par un arrêt du 29 avril 2004, la Cour de justice a apporté des clarifications essentielles sur la détermination du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour les entreprises exerçant des activités financières parallèlement à leur objet social principal. En l’espèce, une société holding du secteur minier, qui réalisait des opérations taxées, a fait l’objet d’un redressement fiscal. L’administration fiscale lui reprochait d’avoir déduit l’intégralité de la TVA d’amont alors qu’elle exerçait également des activités considérées comme exonérées, telles que l’octroi de prêts à ses filiales, la vente de titres et des opérations de trésorerie. De plus, la société participait à des consortiums pour lesquels elle réalisait des travaux de recherche. L’administration considérait que ces activités financières et ces travaux devaient être inclus dans le calcul du prorata de déduction, ce qui diminuait le montant de la TVA déductible. Saisie par la société, la juridiction de première instance n’a que partiellement fait droit à sa demande. La société a interjeté appel devant le Tribunal Central Administrativo du Portugal. Cette juridiction a alors décidé de surseoir à statuer pour poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était demandé à la Cour de déterminer si certaines opérations financières d’une holding, comme l’octroi de prêts rémunérés à ses filiales ou la vente de titres, constituent des activités économiques au sens de la sixième directive TVA. La question se posait également de savoir si, en cas de qualification d’activités économiques exonérées, ces opérations pouvaient être qualifiées d’accessoires et ainsi être exclues du calcul du prorata de déduction, notamment lorsqu’elles génèrent des revenus importants. Enfin, la Cour était interrogée sur le point de savoir si les travaux réalisés par une société membre d’un consortium pour le compte de celui-ci constituaient une opération taxable. La Cour de justice a jugé que si l’octroi de prêts rémunérés constitue bien une activité économique exonérée, la simple vente de titres se situe en dehors du champ d’application de la TVA. Elle a précisé que des opérations financières exonérées peuvent être considérées comme accessoires si elles n’impliquent qu’une utilisation très limitée de biens ou services soumis à la TVA, quel que soit le montant des revenus qu’elles génèrent. Concernant les consortiums, les travaux correspondant à la part de chaque membre ne sont pas des opérations à titre onéreux, contrairement aux travaux excédentaires qui font l’objet d’une contrepartie.

La solution de la Cour précise ainsi la frontière entre les opérations comprises dans le champ de la TVA et celles qui en sont exclues (I), avant de statuer sur le traitement spécifique des opérations réalisées dans une structure de coopération comme le consortium (II).

I. La délimitation du régime de TVA applicable aux opérations financières d’une société holding

La Cour de justice clarifie le statut des diverses opérations financières d’une holding, en distinguant d’abord celles qui relèvent d’une activité économique de celles qui se situent en dehors du champ de la TVA (A). Elle précise ensuite le critère permettant de qualifier une activité économique exonérée d’opération accessoire, afin de préserver la neutralité du droit à déduction (B).

A. La distinction entre les activités économiques et les opérations hors du champ d’application de la TVA

La Cour rappelle que le champ d’application de la TVA, bien que très large, ne vise que les activités à caractère économique. Elle réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle la simple détention ou cession de participations sociales ne constitue pas une telle activité. En effet, « la simple prise de participations financières dans d’autres entreprises ne constitue pas une exploitation d’un bien visant à produire des recettes ayant un caractère de permanence parce que l’éventuel dividende, fruit de cette participation, résulte de la simple propriété du bien et n’est la contrepartie d’aucune activité économique ». Il en va de même pour la cession de ces participations. Ainsi, les opérations de vente d’actions et d’autres titres négociables, se limitant à la gestion d’un portefeuille d’investissements, sont placées hors du champ de la TVA.

À l’inverse, l’octroi de prêts rémunérés, même à des filiales, constitue une activité économique. Contrairement aux dividendes, les intérêts perçus ne résultent pas de la simple propriété d’un bien, mais « constitue[nt] la contrepartie d’une mise à disposition d’un capital au profit d’un tiers ». Cette prestation de services, effectuée à titre onéreux, entre dans le champ de la TVA. La Cour considère qu’une entreprise agit en tant qu’assujetti lorsqu’elle effectue de telles opérations, que ce soit pour soutenir ses filiales, placer des excédents de trésorerie ou pour tout autre motif relevant d’un objectif d’entreprise. Ces opérations, bien qu’étant des activités économiques, sont toutefois exonérées en vertu de l’article 13, B, sous d), de la sixième directive.

B. La qualification d’opération accessoire comme correctif à la neutralité de la déduction

L’enjeu principal pour l’entreprise était d’éviter que ses importantes recettes financières exonérées ne réduisent drastiquement son droit à déduction. L’article 19, paragraphe 2, de la directive permet d’exclure du calcul du prorata les opérations financières lorsqu’elles présentent un caractère accessoire. La Cour était donc invitée à définir ce caractère. Elle écarte le critère du montant des revenus générés comme seul facteur déterminant. Elle juge que « le fait que des revenus supérieurs à ceux produits par l’activité indiquée comme principale par l’entreprise concernée sont générés par de telles opérations ne saurait à lui seul exclure la qualification de celles-ci d’‘opérations accessoires’ ».

Le critère pertinent pour qualifier une opération d’accessoire est celui de la consommation de ressources. La Cour estime que de telles opérations doivent être regardées comme accessoires « dans la mesure où elles n’impliquent qu’une utilisation très limitée de biens ou de services pour lesquels la TVA est due ». Cette solution vise à garantir la neutralité de la TVA. L’inclusion de revenus financiers importants, qui ne mobilisent que très peu de moyens ayant supporté la TVA en amont, fausserait le calcul de la déduction et pénaliserait injustement l’activité taxable principale. Il appartient donc à la juridiction nationale d’apprécier si, en l’espèce, les opérations financières remplissent cette condition de faible consommation de ressources taxées.

II. La qualification des travaux réalisés au sein d’un consortium au regard de la TVA

La Cour examine ensuite la nature des prestations effectuées dans le cadre d’un consortium, en posant une distinction fondamentale. Elle établit que les travaux correspondant à la part contractuelle de chaque membre ne constituent pas une opération taxable (A), à la différence des travaux excédentaires qui font l’objet d’une rémunération (B).

A. L’absence de prestation à titre onéreux pour les travaux correspondant à la quote-part contractuelle

La Cour analyse la relation entre les membres d’un consortium. Lorsque chaque membre effectue des travaux qui correspondent à la part qui lui est assignée par contrat, sans être rémunéré par les autres pour cette contribution, il n’y a pas d’opération taxable. Le principe fondamental de l’article 2, point 1, de la sixième directive est que seules les livraisons de biens et les prestations de services « effectuées à titre onéreux » sont soumises à la TVA. Dans ce cadre, les travaux sont réalisés pour le compte du consortium dans un but commun, et non en contrepartie d’une prestation fournie par les autres membres.

La Cour considère que ces travaux « ne constituent pas une livraison de biens ou une prestation de services ‘effectuées à titre onéreux’ […] ni, par conséquent, une opération taxable ». La simple répartition des tâches et des coûts en vue d’un objectif partagé ne suffit pas à créer un lien synallagmatique entre les membres, qui caractérise une opération à titre onéreux. Le fait que l’un des membres soit désigné comme gérant du consortium est sans incidence sur cette analyse. L’activité est assimilable à une opération interne à une même entité plutôt qu’à un échange sur un marché.

B. L’assujettissement à la TVA des travaux excédant la quote-part contractuelle

La logique change radicalement lorsque l’un des membres du consortium va au-delà de sa contribution contractuelle et reçoit un paiement pour cet excédent. La Cour juge que dans cette situation, le lien direct entre le service fourni et la contre-valeur reçue est établi. Par conséquent, « lorsque le dépassement de la part des travaux fixée par ledit contrat pour un membre du consortium entraîne le paiement par les autres membres de celui-ci de la contrepartie des travaux excédant cette part, ces derniers constituent une livraison de biens ou une prestation de services ‘effectuées à titre onéreux’ ».

Cette solution confirme que la qualification d’une opération au regard de la TVA dépend de l’existence d’une véritable contrepartie individualisée. Le paiement versé par les autres membres n’est plus une simple participation aux frais communs, mais bien la rémunération d’un service distinct rendu par l’un des membres aux autres. Cette partie des travaux devient alors une opération économique taxable, dont la base d’imposition est constituée par le montant effectivement perçu en paiement de ces travaux excédentaires. La Cour applique ici avec rigueur la définition de l’opération taxable, fondée sur la réalité des flux économiques entre les parties.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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