Cour de justice de l’Union européenne, le 29 avril 2010, n°C-102/09

L’arrêt commenté, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, offre une interprétation significative des clauses de « standstill » contenues dans les conventions d’association liant la Communauté à certains États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Dans cette affaire, une juridiction nationale italienne a interrogé la Cour sur la compatibilité d’un impôt national frappant les bananes importées avec les obligations découlant de la convention de Yaoundé puis de celle de Lomé. Les faits sous-jacents concernent la perception sur des bananes originaires de Somalie d’une taxe de consommation instaurée par une loi de 1964, dont le montant a par la suite fait l’objet de plusieurs augmentations. La société importatrice contestait la légalité de ces majorations au regard de l’interdiction d’introduire de nouvelles charges d’effet équivalant à des droits de douane. La question préjudicielle visait donc à déterminer si des augmentations successives d’un impôt existant, motivées par l’érosion monétaire, violent l’obligation de ne pas aggraver les restrictions commerciales. La Cour de justice répond par la négative, considérant que de telles adaptations ne sont pas contraires à la clause de « standstill », à la condition stricte qu’elles se bornent à compenser l’inflation. Cette solution dispense par ailleurs les juridictions nationales d’une analyse économique complexe des effets concrets de chaque augmentation. La décision établit ainsi une distinction claire entre la majoration d’une taxe existante et la création d’une nouvelle charge, tout en définissant les limites de cette tolérance.

Il convient d’examiner la portée de la validation par la Cour du maintien de la charge fiscale initiale (I), avant d’analyser l’interprétation pragmatique qui autorise son ajustement à l’inflation (II).

I. La consolidation d’une charge fiscale préexistante

La Cour de justice commence son raisonnement par la confirmation de la légalité de l’imposition originelle au regard du premier accord d’association (A), pour ensuite clarifier la portée du contrôle incombant au juge national dans l’application des accords ultérieurs (B).

A. La conformité de l’impôt initial à la Convention de Yaoundé

La décision écarte d’emblée toute incompatibilité de la taxe litigieuse avec le droit communautaire originaire. L’article 14 de la première convention de Yaoundé n’interdisait pas le maintien des impositions existantes, mais seulement l’introduction de nouvelles barrières tarifaires. La Cour constate que « l’article 14 de la convention d’association […], signée à Yaoundé le 20 juillet 1963, ne s’opposait pas à une imposition des bananes originaires de Somalie telle que celle instaurée par la loi n o 986/1964 ». Ce faisant, elle valide le fondement de la taxe, celle-ci étant antérieure à la cristallisation des obligations de « standstill ». Le point de départ du raisonnement est donc la reconnaissance d’un droit acquis pour l’État membre de percevoir une taxe dont le principe n’est pas remis en cause par les engagements internationaux successifs. L’enjeu du litige se déplace alors de l’existence même de la taxe vers la légalité de ses modifications ultérieures, intervenues sous l’empire d’un nouveau cadre juridique.

B. L’allègement de l’office du juge national dans l’appréciation des augmentations

En abordant les majorations de taxe au regard de la convention de Lomé, la Cour précise l’étendue du contrôle que doit exercer la juridiction de renvoi. Elle juge en effet que « la juridiction nationale n’est pas tenue d’examiner les effets concrets des augmentations d’un impôt sur les importations ». Cette approche a pour effet de simplifier considérablement la tâche du juge national, qui n’est plus contraint de se livrer à une analyse économique factuelle et complexe pour chaque augmentation de tarif. Une telle analyse aurait impliqué de comparer minutieusement les flux commerciaux et l’impact réel de la charge fiscale accrue par rapport à la situation antérieure. En dispensant les juridictions nationales de cet examen, la Cour favorise une application uniforme et prévisible du droit communautaire. Elle évite ainsi que la solution d’un litige dépende des subtilités d’une expertise économique, potentiellement variable d’un État à l’autre, pour se concentrer sur un critère juridique objectif.

Cette simplification du contrôle judiciaire prépare le terrain à la définition d’un critère matériel d’appréciation de la compatibilité des augmentations, fondé sur leur finalité économique.

II. La neutralisation des effets de l’inflation comme critère de validité

La Cour de justice admet qu’une augmentation de taxe puisse être compatible avec une clause de « standstill » si elle répond à un objectif précis (A), ce qui révèle une volonté de concilier les engagements internationaux avec la souveraineté fiscale des États (B).

A. L’admission d’un ajustement purement monétaire

Le cœur de la décision réside dans la tolérance accordée aux augmentations qui ne visent qu’à maintenir la valeur réelle de l’impôt. La Cour énonce clairement que « des augmentations d’un tel impôt qui se limitent à adapter celui-ci par rapport à l’inflation ne sont pas contraires à cette clause ». Cette formule consacre une exception pragmatique au principe d’immobilisme. Une taxe dont le montant nominal reste fixe dans un contexte d’inflation voit sa charge réelle diminuer progressivement, ce qui reviendrait à accorder un avantage non prévu par les traités à l’importateur. En autorisant l’ajustement, la Cour considère que le maintien de la valeur réelle de la taxe ne constitue pas une aggravation de l’entrave au commerce. La charge fiscale, en termes réels, demeure identique. L’augmentation n’est alors qu’une opération de réévaluation technique destinée à préserver le statu quo économique, et non une mesure protectionniste déguisée. La solution repose sur une dissociation entre l’augmentation nominale du prélèvement et son effet réel sur les échanges.

B. La recherche d’un équilibre entre obligations conventionnelles et nécessités étatiques

En définitive, cet arrêt illustre la méthode d’interprétation téléologique privilégiée par la Cour de justice. Elle ne s’en tient pas à une lecture littérale et rigide de la clause de « standstill », qui aurait pu conduire à interdire toute augmentation, même purement technique. Elle recherche plutôt l’objectif de la disposition, qui est d’empêcher l’introduction de nouvelles entraves au commerce et non de geler la valeur nominale des impositions existantes. Cette solution ménage un équilibre entre le respect de la parole donnée sur la scène internationale et la préservation de la capacité des États membres à maintenir leurs recettes fiscales face à l’érosion monétaire. Refuser l’ajustement pour inflation aurait conduit à une diminution progressive de la portée de l’impôt, affectant les finances publiques sans pour autant correspondre à l’intention des parties signataires. La décision témoigne ainsi d’un réalisme économique qui permet d’assurer la pérennité des engagements internationaux en les adaptant aux réalités monétaires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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