Cour de justice de l’Union européenne, le 29 avril 2015, n°C-148/14

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime des sanctions applicable en cas de restitution insuffisante de quotas d’émission de gaz à effet de serre. En l’espèce, une société exploitant une fabrique de sucre avait, pour l’année 2005, déclaré ses émissions de dioxyde de carbone tout en omettant une partie de celles-ci, considérant qu’elles n’étaient pas soumises au système d’échange. Cette déclaration, bien qu’incomplète, fut validée par un vérificateur indépendant et la société restitua le nombre de quotas correspondant avant l’échéance du 30 avril de l’année suivante. Postérieurement, l’autorité nationale compétente, ayant décelé l’irrégularité, obtint de la société une déclaration corrigée et la restitution des quotas manquants. L’autorité infligea néanmoins une amende forfaitaire pour non-respect de l’obligation de restitution dans les délais. La société contesta cette sanction devant les juridictions administratives allemandes. Le tribunal administratif de Berlin annula la décision, une solution confirmée en appel par le tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg au motif que l’obligation de restitution était satisfaite dès lors que le nombre de quotas déclarés et vérifiés avait été restitué. Saisie d’un pourvoi par l’autorité compétente, la Cour administrative fédérale, estimant que l’application d’une telle amende pourrait être contraire au principe de proportionnalité, décida de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de savoir si la sanction pécuniaire automatique prévue par l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87/CE doit être infligée à un exploitant qui a restitué en temps voulu un nombre de quotas correspondant à sa déclaration vérifiée, lorsque les autorités nationales constatent après coup que cette déclaration était sous-évaluée. La Cour y répond par la négative, considérant que la sanction applicable relève du régime général de l’article 16, paragraphe 1, de la même directive. La solution retenue par la Cour distingue clairement l’obligation de restitution, dont le périmètre est défini par la déclaration vérifiée (I), de l’obligation de sincérité de la déclaration, dont la sanction est laissée à l’appréciation des États membres (II).

I. La définition de l’obligation de restitution à l’aune de la déclaration vérifiée

L’arrêt clarifie la portée de l’obligation de restitution des quotas en la liant étroitement à la procédure de vérification (A), ce qui a pour conséquence directe de limiter le champ d’application de la sanction pécuniaire automatique (B).

A. Le rôle central du processus de vérification

La Cour de justice souligne que le système d’échange de quotas repose sur une comptabilité rigoureuse, laquelle dépend d’un mécanisme de déclaration et de vérification précisément encadré. Le raisonnement des juges s’appuie sur le fait que la restitution des quotas est conditionnée par l’approbation de la déclaration d’émissions par un vérificateur indépendant. Comme le rappelle l’arrêt, « la vérification des déclarations d’émissions constitue une condition indispensable à la restitution des quotas ». Cette étape n’est pas une simple formalité mais un pilier du dispositif, car elle confère à l’exploitant une sécurité juridique quant à l’étendue de son obligation à un instant donné. En validant la déclaration comme étant « satisfaisante », le vérificateur atteste que celle-ci ne contient pas d’« inexactitude significative », permettant ainsi à l’exploitant de procéder à la restitution sur une base considérée comme fiable au regard du droit de l’Union.

B. L’exclusion de la sanction automatique en cas de déclaration incorrecte mais vérifiée

Découlant logiquement de cette primauté accordée à la déclaration vérifiée, la Cour en déduit que la sanction sévère de l’article 16, paragraphe 3, ne peut être appliquée lorsque l’exploitant a restitué le nombre de quotas figurant dans ladite déclaration. Cette sanction, d’un montant forfaitaire élevé, est conçue pour punir le manquement à l’obligation de restituer un nombre suffisant de quotas avant la date butoir du 30 avril. Or, si l’exploitant s’est conformé au chiffre validé par le vérificateur, il a, du point de vue de la procédure, rempli son obligation telle qu’elle était définie à ce moment. La Cour affirme ainsi que « ladite directive ne saurait être interprétée comme exigeant automatiquement une sanction pour un manquement à une obligation qu’elle ne spécifie pas clairement ». Appliquer une telle amende serait sanctionner une faute qui n’est pas le non-respect du délai de restitution, mais bien l’inexactitude de la déclaration initiale, ce qui relève d’un autre fondement juridique.

Cette interprétation restrictive du champ de la sanction automatique ne signifie pas pour autant que l’inexactitude de la déclaration reste impunie. La Cour veille à préserver l’effectivité du système en renvoyant à un autre mécanisme de sanction, plus souple et mieux adapté aux circonstances de l’espèce.

II. La préservation de l’intégrité du système par le recours aux sanctions nationales

L’arrêt, tout en protégeant l’exploitant de bonne foi contre une sanction disproportionnée, maintient la capacité des autorités à contrôler les déclarations (A) et à sanctionner les irrégularités sur un fondement distinct et plus flexible (B).

A. Le maintien du pouvoir de contrôle a posteriori des autorités nationales

La Cour prend soin de préciser que sa solution ne remet nullement en cause le droit des autorités compétentes des États membres de procéder à des contrôles supplémentaires, y compris après l’échéance du délai de restitution. Ces vérifications a posteriori sont même jugées bénéfiques au bon fonctionnement du système, car elles permettent de déceler les erreurs ou les fraudes qui auraient échappé au vérificateur initial. L’arrêt valide donc l’intervention de l’autorité allemande qui a identifié la sous-évaluation des émissions. Ce pouvoir de contrôle est essentiel pour garantir l’intégrité environnementale du marché du carbone. La confiance accordée à la déclaration vérifiée pour l’acte de restitution n’emporte donc pas une présomption irréfragable de son exactitude et ne fait pas obstacle à des corrections ultérieures.

B. Le renvoi au régime de sanctions proportionnées de l’article 16, paragraphe 1

Face à une irrégularité constatée a posteriori, la Cour juge que la sanction adéquate ne peut être l’amende forfaitaire, mais doit relever du régime général prévu à l’article 16, paragraphe 1. Cette disposition impose aux États membres de prévoir des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » pour les autres violations de la directive. Cette approche est conforme au principe de proportionnalité, car elle permet d’adapter la sanction à la gravité du manquement, à la diligence de l’exploitant et à sa bonne ou mauvaise foi. L’arrêt souligne qu’il incombe aux autorités nationales de « considérer l’ensemble des circonstances de fait ou de droit spécifiques à chaque cas d’espèce afin de déterminer si une sanction doit être infligée ». Une telle analyse permet de distinguer l’erreur commise de bonne foi de la manœuvre frauduleuse, et d’appliquer une sanction qui soit juste et conserve son caractère dissuasif sans être excessive.

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Hassan KOHEN
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