L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne s’inscrit dans le cadre d’un litige relatif au contrôle des aides d’État et plus particulièrement à l’étendue des obligations qui incombent à la Commission européenne durant la phase d’examen préliminaire. En l’espèce, un État membre avait notifié à la Commission une série de mesures destinées à soutenir la construction et l’exploitation d’un terminal de gaz naturel liquéfié, justifiées par des impératifs de sécurité d’approvisionnement énergétique. Ces mesures comprenaient notamment une garantie d’État, un prélèvement spécifique sur les utilisateurs du réseau de transport de gaz, et une obligation pour certains producteurs d’acheter une quantité minimale de gaz transitant par le terminal. Après un examen préliminaire, la Commission a adopté une décision déclarant les aides compatibles avec le marché intérieur, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, estimant n’avoir aucun doute sérieux quant à leur compatibilité.
Deux entreprises concurrentes, qui portaient un projet alternatif de terminal, ont alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de cette décision. Elles soutenaient que la Commission aurait dû nourrir des doutes sérieux, notamment en raison de l’existence de leur propre projet, qui constituait une alternative moins attentatoire à la concurrence. Le Tribunal a rejeté leur recours au fond, sans statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la Commission. Saisie d’un pourvoi par les entreprises requérantes, la Cour de justice a été amenée à se prononcer sur l’étendue du devoir de diligence de la Commission lors de l’appréciation des informations dont elle dispose ou pourrait disposer. La question de droit qui se posait était de savoir si la Commission, dans le cadre de son examen préliminaire, est tenue de rechercher d’office toutes les informations potentiellement pertinentes qui sont dans le domaine public, ou si son obligation se limite aux éléments portés à sa connaissance par l’État notifiant et les parties intéressées qui se manifestent spontanément.
La Cour de justice rejette le pourvoi, considérant que le devoir de diligence de la Commission ne lui impose pas de mener des investigations généralisées en l’absence d’indices spécifiques. Elle estime que la Commission pouvait légitimement considérer avoir disposé des éléments les plus complets et fiables possibles dans les circonstances de l’espèce, notamment parce que les requérantes elles-mêmes, bien qu’en contact avec ses services, n’avaient pas jugé utile de l’informer de leur projet concurrent. Cette solution apporte une clarification importante sur la répartition des rôles entre la Commission et les parties intéressées durant la phase préliminaire d’examen d’une aide d’État. L’arrêt délimite ainsi le périmètre de l’obligation de diligence de la Commission (I), tout en confirmant une approche pragmatique du contrôle juridictionnel exercé sur les appréciations complexes de l’institution (II).
I. Une conception délimitée de l’obligation de diligence de la Commission
L’apport principal de la décision réside dans la définition qu’elle donne de l’obligation d’information qui pèse sur la Commission durant la phase d’examen préliminaire. La Cour de justice refuse d’imposer à l’institution une charge d’investigation quasi illimitée (A), ce qui a pour corollaire de responsabiliser les parties intéressées quant à la transmission des informations qu’elles jugent pertinentes (B).
A. Le rejet d’une obligation de recherche ex officio généralisée
La Cour de justice énonce clairement que la légalité d’une décision de ne pas soulever d’objections s’apprécie au regard des informations dont la Commission disposait ou « pouvait disposer ». Toutefois, elle interprète cette seconde catégorie de manière restrictive. Les informations dont la Commission « pouvait disposer » ne sont pas toutes celles existantes et publiquement accessibles, mais celles qu’elle aurait pu raisonnablement obtenir, notamment sur sa demande. La Cour précise à ce titre qu’« il n’incombe pas à la Commission, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, de procéder à des recherches de toutes les informations se trouvant dans le domaine public qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie ».
Ce faisant, la Cour pose une limite pragmatique à l’obligation de diligence de la Commission, qui, sans cette borne, pourrait se transformer en une obligation de moyen excessivement lourde, voire une obligation de résultat. Une telle exigence paralyserait l’action de la Commission et irait à l’encontre de l’objectif d’efficacité qui sous-tend la procédure d’examen des aides d’État. La distinction entre la phase préliminaire, qui doit être rapide, et la phase formelle d’examen, plus approfondie, perdrait de sa pertinence si la Commission était tenue, dès le premier stade, de mener des investigations exhaustives. La solution retenue est donc conforme au principe de bonne administration et à l’économie générale du système de contrôle des aides d’État.
B. La responsabilisation implicite des parties intéressées
En contrepartie de cette délimitation du devoir de la Commission, la Cour de justice met en lumière le rôle actif que peuvent, et devraient, jouer les parties intéressées. L’arrêt ne crée pas une obligation juridique pour les tiers d’informer la Commission durant la phase préliminaire, puisque le règlement n’accorde formellement ce droit que lors de l’ouverture de la procédure formelle. Néanmoins, en relevant que les requérantes, qui étaient pourtant à l’origine du projet concurrent et en contact avec la Commission, n’avaient « pas estimé nécessaire de le porter à la connaissance de la Commission », la Cour souligne une incohérence factuelle qui affaiblit leur grief.
Le raisonnement du Tribunal, validé par la Cour, n’impose donc pas une nouvelle obligation procédurale mais tire les conséquences du comportement des parties. Il s’agit d’une incitation pragmatique : une partie intéressée qui dispose d’informations susceptibles de fonder des doutes sur la compatibilité d’une aide a tout intérêt à les communiquer à la Commission le plus tôt possible, sans attendre l’ouverture éventuelle d’une procédure formelle. Attendre pour ensuite reprocher à la Commission son ignorance devient une stratégie procédurale risquée. Cette approche favorise un dialogue constructif et une instruction plus complète dès la phase préliminaire, au bénéfice d’une prise de décision plus éclairée.
II. La confirmation d’un contrôle juridictionnel pragmatique
Au-delà de la question de l’obligation de diligence de la Commission, l’arrêt est également révélateur de la manière dont le juge de l’Union exerce son contrôle sur les décisions prises en matière d’aides d’État. Ce contrôle se manifeste par une appréciation concrète des éléments dont disposait l’institution (A) et par une application rigoureuse de la distinction entre le contrôle de la motivation et celui du bien-fondé (B).
A. L’appréciation concrète des informations à disposition de la Commission
En validant le raisonnement du Tribunal, la Cour de justice confirme que le contrôle de légalité s’effectue in concreto. Pour juger si la Commission a manqué à son devoir de diligence, le juge ne se demande pas si des informations existaient de manière abstraite dans le domaine public, mais si, dans les circonstances de l’espèce, la Commission pouvait raisonnablement en ignorer l’existence. Le fait que les requérantes, les mieux placées pour informer la Commission de leur projet, soient restées silencieuses, devient un élément central de l’appréciation.
La Cour approuve ainsi la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission « pouvait valablement considérer disposer, lors de l’adoption de la décision litigieuse, des éléments les plus complets et fiables possibles ». Cette formule démontre que le contrôle n’est pas celui d’une vérité absolue et objective, mais celui du caractère raisonnable et diligent de la démarche de la Commission au vu du dossier dont elle était saisie. Une telle approche est nécessaire pour préserver la marge d’appréciation de la Commission dans des domaines économiques et techniques complexes, où elle doit statuer dans des délais contraints. Le contrôle juridictionnel reste entier, mais il s’exerce avec réalisme, en tenant compte des contraintes pratiques de l’instruction.
B. Le contrôle formel de l’obligation de motivation
Le troisième moyen du pourvoi, relatif à une violation de l’obligation de motivation, offre une autre illustration de la rigueur du contrôle exercé par la Cour. Les requérantes reprochaient au Tribunal de ne pas avoir suffisamment expliqué pourquoi des mesures moins restrictives que l’attribution directe du projet n’étaient pas envisageables pour protéger les intérêts essentiels de l’État membre. La Cour rejette ce moyen en opérant une distinction classique mais fondamentale entre l’existence de la motivation et son bien-fondé.
Elle constate que le Tribunal, bien que de manière « succincte », a bien exposé un raisonnement : les mesures alternatives ne permettaient pas de garantir que l’opérateur serait à l’abri de l’influence *future* du fournisseur unique de gaz. Ce motif, qu’il soit jugé convaincant ou non sur le fond, est présent et permet de comprendre la logique de la décision. La Cour rappelle ainsi que « l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux ». En se limitant à vérifier que le raisonnement du Tribunal était clair et non équivoque, la Cour exerce son contrôle de cassation dans les strictes limites de sa compétence, sans se substituer à l’appréciation des faits et des arguments de fond opérée par les juges de première instance.