La Cour de justice de l’Union européenne rend le 29 février 2024 un arrêt portant sur l’interprétation du régime d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée. Le litige concerne une société de droit tchèque ayant procédé à des livraisons d’huile de colza vers la Pologne sans identifier précisément les destinataires des marchandises. L’administration fiscale rejette le bénéfice de l’exonération car les documents produits ne démontrent pas le transfert effectif du droit de disposer des biens à l’acquéreur. Saisie d’un recours, la Cour municipale de Prague confirme cette décision le 18 août 2021 en soulignant l’impossibilité d’identifier la personne habilitée à exercer ce droit. La Cour administrative suprême de la République tchèque décide alors le 26 octobre 2022 de surseoir à statuer afin d’interroger la juridiction européenne sur cette question. Le problème juridique porte sur la possibilité de refuser l’exonération quand le destinataire réel possède la qualité d’assujetti mais n’est pas celui indiqué sur les factures. Le juge européen répond que l’exonération doit être refusée si les données nécessaires pour vérifier la qualité d’assujetti du destinataire effectif font défaut au moment du contrôle. Cette solution impose d’analyser d’abord l’affirmation des conditions de fond de l’exonération intracommunautaire avant d’envisager l’encadrement probatoire strict de la qualité d’assujetti de l’acquéreur.
I. L’affirmation des conditions de fond de l’exonération intracommunautaire
A. Les critères objectifs de la livraison intracommunautaire
La Cour rappelle que « la notion de livraison intracommunautaire a un caractère objectif et s’applique indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées » par l’assujetti. L’exonération est subordonnée au transfert du pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire et au départ physique de la marchandise vers un autre État membre. Les juges soulignent qu’en dehors de ces exigences relatives à la qualité d’assujetti et au déplacement des biens, aucune autre condition ne peut être valablement exigée. Cette interprétation stricte de la directive fiscale assure une application uniforme du droit de l’Union européenne sur l’ensemble du territoire des différents États membres de l’Union.
B. Le rôle supplétif des exigences formelles
Cette rigueur matérielle s’accompagne toutefois d’une souplesse formelle dictée par le principe de neutralité fiscale afin de ne pas léser l’assujetti de bonne foi. « Le principe de neutralité fiscale exige que l’exonération de la TVA soit accordée si ces conditions de fond sont satisfaites » même en cas de manquement aux obligations formelles. Les États membres fixent les conditions de preuve en respectant impérativement les principes de proportionnalité et de sécurité juridique dans l’exercice de ce pouvoir souverain. Une violation formelle ne justifie le refus de l’exonération que si elle empêche d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond sont réellement satisfaites par l’opérateur. La reconnaissance de la primauté du fond sur la forme protège ainsi l’assujetti de bonne foi contre des exigences administratives qui seraient excessives ou manifestement disproportionnées.
II. L’encadrement probatoire de la qualité d’assujetti de l’acquéreur
A. La charge de la preuve incombant au fournisseur diligent
L’exigence de neutralité fiscale ne saurait occulter l’impératif de preuve qui incombe au fournisseur quant à la qualité d’assujetti du destinataire effectif des marchandises livrées. Il appartient à l’assujetti de produire les éléments nécessaires pour établir que la livraison a été effectuée pour un autre opérateur économique agissant en tant que tel. La Cour précise que les obligations probatoires sont déterminées selon le droit national et la pratique habituelle établie pour des transactions commerciales de nature parfaitement similaire. Les autorités fiscales doivent examiner l’ensemble des documents produits pour vérifier si les conditions matérielles du bénéfice de l’avantage fiscal sont effectivement réunies par le contribuable.
B. Les conséquences de l’incertitude sur l’identité du destinataire
L’absence de preuves concluantes emporte cependant des conséquences radicales pour le fournisseur qui ne parvient pas à identifier avec certitude la qualité fiscale de son co-contractant. Le bénéfice de l’exonération est refusé si les données manquent pour vérifier que le destinataire physique des biens avait nécessairement la qualité d’assujetti à la taxe. L’administration fiscale n’est pas tenue de prouver l’implication dans une fraude pour écarter le droit à l’exonération en cas d’incapacité de l’assujetti à identifier l’acquéreur. La juridiction européenne confirme que « le bénéfice de l’exonération de la TVA doit être refusé » dès lors que les données nécessaires au contrôle font totalement défaut à l’administration. Cette décision renforce la sécurité du système commun de taxe sur la valeur ajoutée en imposant une transparence minimale sur l’identité des partenaires commerciaux au sein de l’Union.