Cour de justice de l’Union européenne, le 29 février 2024, n°C-688/22

Par un arrêt rendu le trente décembre deux mille vingt-cinq, la Cour de justice de l’Union européenne précise les modalités de calcul du préjudice. Une société établie dans un État tiers exportait des mélanges azotés vers le marché européen par l’intermédiaire d’un acheteur lié par des liens capitalistiques. L’institution compétente a institué un droit antidumping définitif après avoir construit le prix à l’exportation en déduisant les frais et les bénéfices de l’importateur. Le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le recours en annulation formé contre ce règlement d’exécution par la société productrice concernée par la mesure. La requérante a formé un pourvoi devant la Cour de justice en invoquant une erreur de droit relative à la définition du stade commercial pertinent. Elle critique également l’irrecevabilité prononcée par les premiers juges concernant des arguments relatifs à la dépression des prix invoqués tardivement durant la procédure. Le litige porte sur la faculté pour l’autorité de défense commerciale d’appliquer par analogie les règles de construction du prix prévues pour le dumping. La Cour de justice doit déterminer si cette méthode garantit une comparaison objective et si la simple mention de termes légaux suffit à structurer un moyen. Elle rejette le pourvoi en validant le choix du stade frontalier et en rappelant les exigences de précision qui incombent aux parties lors de l’instance.

**I. La licéité de la méthode de construction du prix à l’exportation par analogie**

**A. La détermination du stade commercial pertinent pour la comparaison**

L’analyse de l’existence d’un préjudice repose sur un examen objectif de l’effet des importations faisant l’objet d’un dumping sur les prix du marché intérieur. La Cour de justice souligne que « l’examen de l’existence d’une sous-cotation des prix étant une question économiquement complexe », l’institution compétente jouit d’un large pouvoir d’appréciation. Cette liberté méthodologique permet d’assurer que les ventes de l’industrie européenne et celles des producteurs étrangers disposent d’un point de référence commun pour l’analyse. L’exigence de comparaison au même stade commercial implique que les prix incluent des frais et des bénéfices identiques afin de refléter la réalité de la concurrence. En l’espèce, le prix de revente pratiqué par une entité liée à l’exportateur ne correspond pas au stade initial de la commercialisation du produit considéré. La Cour valide ainsi le raisonnement ramenant les prix au stade départ usine pour les producteurs européens et au stade frontière pour les importateurs tiers.

Cette approche garantit que l’effet réel des importations sur les prix d’un produit similaire de l’industrie de l’Union soit correctement pris en compte par l’autorité. La comparaison effectuée au niveau de la première mise en libre pratique permet de neutraliser les distorsions résultant des relations structurelles entre l’exportateur et son distributeur. « La comparaison de ces prix au même stade commercial constituait une condition de licéité du calcul de la marge de sous-cotation » selon les termes de l’arrêt. L’ajustement du prix à l’exportation par la déduction des frais de vente et d’une marge bénéficiaire théorique apparaît donc comme un outil de correction nécessaire. L’analogie avec les règles de détermination de l’existence d’un dumping assure la cohérence globale du dispositif de défense commerciale prévu par le règlement de base. La validité de cette méthode de construction du prix dépend toutefois de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits économiques par l’organe administratif.

**B. L’ajustement du prix à la frontière de l’Union par l’application de règles spécifiques**

L’application par analogie de la méthode de construction de prix peut être envisagée pour autant qu’elle ne conduise pas à un résultat manifestement erroné. Le juge européen considère que le calcul de la sous-cotation doit se faire, en principe, au niveau des importations lors de leur entrée sur le territoire. Cette règle permet d’isoler le prix fiable du produit avant que les coûts de commercialisation ultérieurs ne viennent modifier la perception de sa valeur réelle. « Il était loisible à l’institution, en vue de garantir une comparaison objective, de construire le prix à l’importation après dédouanement à la frontière » précise la Cour. La déduction des frais administratifs et généraux des entités de vente liées permet de rétablir un équilibre nécessaire entre les différents opérateurs économiques présents. Ce mécanisme évite que l’existence d’un réseau de distribution intégré ne dissimule l’impact réel des prix pratiqués par le producteur étranger sur l’industrie.

Le respect du principe d’égalité de traitement impose que les prix comparés ne soient pas artificiellement bas ou indûment gonflés par des structures de négoce complexes. En utilisant le coût de production des producteurs européens sans ajouter de frais de commercialisation supplémentaires, l’autorité a respecté l’identité des stades de vente. Les griefs de la requérante relatifs à la nature des clients finaux ne suffisent pas à remettre en cause la pertinence de ce point de référence frontalier. La Cour observe que les clients achetaient tous les produits en grandes quantités, rendant la distinction entre les types de distributeurs inopérante pour le calcul. La stabilité de cette jurisprudence renforce la sécurité juridique des entreprises engagées dans des procédures de défense commerciale au sein de l’espace économique européen. La validation de la méthode employée par l’institution conduit naturellement à l’examen de la régularité de la procédure suivie devant le Tribunal de l’Union européenne.

**II. La rigueur des règles procédurales encadrant l’invocation des moyens**

**A. L’obligation d’une argumentation structurée dès l’acte introductif d’instance**

La production de moyens nouveaux en cours d’instance est strictement interdite par le règlement de procédure afin de garantir la loyauté des débats judiciaires. La Cour rappelle qu’un argument ne peut être déclaré recevable au stade de la réplique que s’il constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement. Cette exigence impose à la partie requérante de développer une argumentation spécifique et motivée dès le dépôt de sa requête devant la juridiction de premier ressort. En l’espèce, l’invocation laconique des termes relatifs à la dépression des prix ne saurait être assimilée à une contestation sérieuse de la méthodologie administrative. « La requérante s’est, pour l’essentiel, limitée dans sa requête introductive d’instance à la simple invocation des termes sans argumentation spécifique » selon le constat souverain des juges. Le droit au procès équitable ne dispense pas les plaideurs de l’obligation de préciser la portée exacte de leurs critiques juridiques.

Le contrôle juridictionnel s’exerce sur la base des griefs formulés de manière claire, permettant ainsi à la partie défenderesse d’organiser efficacement sa défense technique. L’absence de discussion sur la méthodologie d’analyse du blocage des prix dans l’acte initial empêche toute extension ultérieure du débat sur ce point précis. La Cour souligne que la méthodologie appliquée par l’institution dans ses analyses relatives au préjudice ne faisait pas partie du moyen invoqué initialement. La rigueur de cette solution protège l’économie du procès et évite que des éléments nouveaux ne viennent modifier tardivement l’objet du litige soumis au juge. Cette discipline procédurale est indispensable au bon fonctionnement de la justice européenne, particulièrement dans des contentieux techniques où les preuves sont volumineuses. La sanction de l’irrecevabilité frappe ainsi les arguments qui ne sont que le prolongement artificiel d’une citation textuelle dépourvue de démonstration concrète.

**B. L’impossibilité de régulariser un grief par la simple mention de termes légaux**

La reproduction littérale de dispositions législatives ou conventionnelles ne constitue pas, en soi, l’énoncé d’un moyen susceptible d’être examiné au fond par la Cour. La circonstance que les termes légaux figurent dans la requête n’établit pas que le requérant a entendu soulever une question juridique précise sur leur application. « Ces termes font partie d’une citation ou d’une paraphrase » et ne sont accompagnés d’aucun développement permettant d’en comprendre la portée critique pour l’espèce. Le juge ne peut suppléer la carence des parties en déduisant d’une simple mention textuelle l’existence d’une argumentation juridique structurée et autonome. La clarté des écritures est une condition fondamentale pour que le Tribunal puisse exercer son contrôle sur la légalité des actes des institutions. Cette exigence de précision s’applique avec une force particulière lorsque le litige concerne des appréciations économiques complexes réalisées par les autorités.

L’irrecevabilité confirmée par la Cour de justice illustre la volonté de maintenir un cadre processuel strict où chaque étape de la procédure remplit une fonction déterminée. La réplique a vocation à répondre aux arguments de la défense et non à introduire de nouvelles critiques qui auraient dû figurer dans la requête. Le pourvoi est donc rejeté dans son intégralité puisque les erreurs de droit invoquées par la société productrice ne sont pas légalement établies. « La circonstance que lesdits termes figuraient dans la requête […] ne prouve pas que son moyen unique portait également sur le blocage » conclut l’arrêt. Cette décision renforce l’autorité des constatations de l’institution de défense commerciale tout en rappelant les devoirs de diligence qui pèsent sur les conseils des parties. La solution finale consacre ainsi la primauté de l’efficacité administrative et de la discipline judiciaire sur les tentatives de contestation tardive des mesures antidumping.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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