Cour de justice de l’Union européenne, le 29 janvier 2008, n°C-275/06

Dans un contexte marqué par l’essor de la société de l’information, la protection des droits de propriété intellectuelle se heurte fréquemment à la sauvegarde d’autres libertés fondamentales, notamment le droit à la protection des données à caractère personnel. Un litige a été porté devant les juridictions nationales par des titulaires de droits d’auteur cherchant à obtenir d’un fournisseur de services de communication électronique la divulgation des données personnelles d’utilisateurs suspectés d’actes de contrefaçon. Face au refus du fournisseur, fondé sur la législation relative à la protection de la vie privée, la juridiction nationale a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si plusieurs directives européennes, notamment celles sur le commerce électronique, le droit d’auteur, le respect des droits de propriété intellectuelle et la vie privée, imposent aux États membres de prévoir une obligation de communication de ces données dans le cadre d’une procédure civile. La Cour de justice, statuant en grande chambre, a répondu par la négative, tout en précisant le cadre d’interprétation qui s’impose aux autorités nationales. Elle juge que si les directives n’imposent pas une telle obligation, le droit de l’Union exige cependant que les États membres, lors de la transposition et de la mise en œuvre de ces textes, assurent un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union, en particulier le droit de propriété et le droit à la protection de la vie privée.

La solution dégagée par la Cour met en lumière une tension inhérente au droit de l’Union, refusant d’imposer une solution unique au profit d’une approche plus souple. Il convient ainsi d’analyser le refus de la Cour d’établir une obligation communautaire de communication des données (I), avant d’étudier la consécration d’une marge d’appréciation nationale encadrée par les droits fondamentaux (II).

I. Le refus d’imposer une obligation communautaire de communication

La Cour de justice adopte une position prudente en se gardant de créer une obligation qui ne ressort pas explicitement des textes. Elle constate d’abord le silence des directives sur une telle mesure de communication (A), ce qui la conduit à rejeter une interprétation qui privilégierait de manière absolue la protection du droit d’auteur (B).

A. La portée limitée des directives en matière de procédure civile

La Cour examine les différentes directives pertinentes et constate qu’aucune d’entre elles ne contient de disposition contraignant explicitement les États membres à mettre en place un mécanisme de divulgation des données personnelles pour les besoins d’une action civile en contrefaçon. Les directives sur le droit d’auteur et sur le respect des droits de propriété intellectuelle visent à assurer un niveau de protection élevé et effectif, mais elles n’harmonisent pas l’ensemble des procédures et des recours. La Cour souligne ainsi que le droit de l’Union, en l’état actuel, n’a pas entendu définir de manière exhaustive tous les instruments procéduraux à la disposition des titulaires de droits. En se prononçant de la sorte, elle reconnaît que les États membres conservent une autonomie procédurale significative pour l’organisation de la défense des droits que le droit de l’Union leur impose de protéger, pourvu que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés.

B. L’impossible conciliation par une interprétation extensive

Face à ce silence des textes, la Cour refuse de procéder à une interprétation téléologique qui aboutirait à la création d’une obligation non écrite. Elle juge en effet que les directives « n’imposent pas aux États membres de prévoir […] l’obligation de communiquer des données à caractère personnel en vue d’assurer la protection effective du droit d’auteur dans le cadre d’une procédure civile ». Une telle démarche reviendrait à faire prévaloir le droit de propriété intellectuelle, qui est certes un droit fondamental, sur le droit à la protection des données personnelles, qui jouit d’une protection tout aussi fondamentale dans l’ordre juridique de l’Union. La Cour se refuse à opérer une telle hiérarchisation abstraite. Elle signale par là que la protection du droit d’auteur, aussi légitime soit-elle, ne saurait être absolue et doit être mise en balance avec d’autres impératifs de même valeur, une tâche délicate que les institutions de l’Union n’ont pas entendu trancher de manière uniforme pour toutes les situations.

La Cour, en rejetant l’existence d’une obligation positive de communication, ne laisse pas pour autant les États membres sans guide. Elle leur renvoie la responsabilité de trouver une solution équilibrée, en leur fournissant les principes directeurs pour ce faire.

II. La consécration d’une marge d’appréciation nationale encadrée

L’arrêt confie aux États membres le soin de résoudre la tension entre les droits fondamentaux en jeu. Cette solution se manifeste par l’affirmation d’une obligation de rechercher un juste équilibre (A) et par le rappel du principe de proportionnalité comme instrument de contrôle de la mise en œuvre (B).

A. L’obligation d’assurer un juste équilibre entre les droits fondamentaux

La Cour de justice affirme avec force que le droit de l’Union « exige desdits États que, lors de la transposition de ces directives, ils veillent à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire ». Cette formule consacre une méthode de conciliation plutôt qu’une solution de fond. La Cour ne dit pas *comment* cet équilibre doit être atteint, mais elle impose l’obligation de le rechercher. Cela signifie que les États membres ne peuvent ni ignorer la nécessité de protéger efficacement le droit d’auteur, ni autoriser une communication systématique et indifférenciée des données personnelles qui porterait une atteinte disproportionnée à la vie privée. Ils doivent donc légiférer et interpréter leur droit national de manière à ménager les deux exigences, ce qui peut les conduire à adopter des solutions variées en fonction de leurs traditions juridiques respectives.

B. Le principe de proportionnalité comme garde-fou

Pour guider les autorités et les juridictions nationales dans cette mise en balance, la Cour rappelle l’importance d’un principe général du droit de l’Union : la proportionnalité. Elle précise qu’il leur incombe « de ne pas se fonder sur une interprétation […] qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité ». Ce principe agit comme un critère d’appréciation concret. Toute mesure nationale visant à permettre la communication de données personnelles devra être apte à atteindre l’objectif de protection du droit d’auteur, nécessaire à sa réalisation, et ne pas imposer une charge excessive aux individus concernés au regard de l’objectif poursuivi. Ainsi, une demande de communication ne saurait être accueillie que si elle vise des faits d’une certaine gravité et si elle est dûment justifiée, excluant toute surveillance généralisée ou toute demande exploratoire. Le principe de proportionnalité devient l’outil par lequel le juge national peut, au cas par cas, réaliser le juste équilibre exigé par la Cour.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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