Cour de justice de l’Union européenne, le 29 juillet 2010, n°C-151/09

Par un arrêt du 29 juillet 2010, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 2001/23/CE relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises. La décision clarifie les conditions dans lesquelles le statut et la fonction des représentants des travailleurs sont maintenus après une telle opération.

En l’espèce, une commune espagnole avait décidé de reprendre en gestion directe plusieurs services publics, notamment le nettoyage et l’entretien, auparavant concédés à des entreprises privées. L’ensemble du personnel affecté à ces tâches fut intégré au personnel municipal, tout en conservant les mêmes postes, fonctions, lieux de travail et supérieurs hiérarchiques directs. La seule modification consistait en le remplacement de la direction des entreprises privées par les élus de la municipalité en tant que supérieurs hiérarchiques les plus élevés. Suite à ce transfert, la commune a refusé de reconnaître le mandat des représentants du personnel élus au sein des anciennes entreprises concessionnaires, au motif que leur intégration au personnel municipal mettait fin à leurs fonctions. Une organisation syndicale a contesté cette décision devant une juridiction sociale espagnole. Celle-ci, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle.

La juridiction de renvoi cherchait à savoir si une entité économique transférée conserve son autonomie, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE, dans une situation où sa structure organisationnelle et fonctionnelle demeure inchangée, à l’exception de ses supérieurs hiérarchiques les plus élevés. La persistance de cette autonomie conditionne en effet le maintien du statut et de la fonction des représentants des travailleurs.

La Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge qu’une entité transférée conserve son autonomie dès lors que les pouvoirs organisationnels de ses responsables directs restent substantiellement inchangés au sein de la nouvelle structure de l’employeur. Le simple changement des dirigeants au sommet de la hiérarchie n’affecte pas, en soi, cette autonomie. Cette solution repose sur une définition fonctionnelle de l’autonomie de l’entité transférée (I), laquelle a pour effet de garantir une protection étendue de la représentation du personnel (II).

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I. La consécration d’une conception fonctionnelle de l’autonomie de l’entité transférée

La Cour de justice établit une définition précise de la notion d’autonomie en la distinguant d’abord de celle d’identité de l’entité (A), pour ensuite la fonder sur un critère matériel lié à la permanence des pouvoirs d’organisation (B).

A. La distinction nécessaire entre l’identité et l’autonomie de l’entité

La Cour écarte d’emblée l’argument selon lequel les notions d’« identité » et d’« autonomie » seraient équivalentes. Elle rappelle que la conservation de l’identité d’une entité économique, entendue comme un ensemble organisé de moyens, est le critère qui détermine si une opération constitue un « transfert » relevant du champ d’application de la directive. Cette première question s’apprécie au moment de l’opération elle-même.

En revanche, la question du maintien de l’autonomie ne se pose qu’ultérieurement, une fois le transfert avéré. L’autonomie concerne le devenir de l’entité au sein de la structure du cessionnaire. La Cour souligne que confondre les deux notions priverait l’article 6, paragraphe 1, de la directive de son effet utile, car cette disposition serait alors automatiquement applicable dès qu’un transfert serait constaté. Elle affirme ainsi que « ces notions ne sont pas équivalentes et la question de savoir si une entreprise a conservé son autonomie, aux fins de l’article 6 de la directive 2001/23, ne doit être envisagée qu’une fois qu’il a été établi qu’un transfert a bien eu lieu au sens de cette directive ». Cette dissociation conceptuelle est fondamentale, car elle permet d’isoler la problématique spécifique de la continuité de la représentation du personnel.

B. La définition de l’autonomie par la permanence des pouvoirs organisationnels

Pour définir l’autonomie, la Cour adopte une approche pragmatique et fonctionnelle. Elle se réfère au sens courant du terme, qui désigne la capacité de se gouverner par ses propres règles. Appliquée à une entité économique, l’autonomie réside dans la capacité de ses responsables à gérer le travail de manière indépendante.

La Cour précise que l’autonomie est conservée lorsque les pouvoirs des responsables de l’entité « d’organiser, de manière relativement libre et indépendante, le travail au sein de ladite entité […] et, plus particulièrement, les pouvoirs de donner des ordres et des instructions, de distribuer des tâches aux travailleurs subordonnés […] ainsi que de décider de l’emploi des moyens matériels mis à sa disposition, ceci sans intervention directe de la part d’autres structures d’organisation de l’employeur, demeurent, au sein des structures d’organisation du cessionnaire, en substance, inchangés ». Le critère déterminant est donc la persistance du pouvoir de décision opérationnel au niveau de l’encadrement direct, indépendamment de la structure globale de l’entreprise cessionnaire. Cette interprétation ancre l’analyse dans la réalité du fonctionnement quotidien de l’entité plutôt que dans un organigramme formel.

II. La portée renforcée de la protection de la représentation des travailleurs

En définissant ainsi l’autonomie, la Cour de justice assure une protection robuste du mandat des représentants du personnel. Elle minimise l’incidence d’une réorganisation au sommet de la hiérarchie (A) et réaffirme la primauté de l’objectif de maintien des droits des travailleurs (B).

A. L’incidence limitée du changement de la direction supérieure

La conséquence majeure de cette interprétation est que la seule substitution des supérieurs hiérarchiques les plus élevés ne suffit pas à faire disparaître l’autonomie de l’entité. La Cour juge que « le simple changement des supérieurs hiérarchiques les plus élevés ne saurait être en soi préjudiciable à l’autonomie de l’entité transférée ». Cette solution est d’une grande portée pratique, car elle empêche un nouvel employeur de se défaire des représentants en place par une simple modification de la chaîne de commandement au niveau de la direction générale.

La Cour tempère toutefois ce principe en posant une limite claire. L’autonomie serait remise en cause si « les nouveaux supérieurs hiérarchiques les plus élevés ne disposent de pouvoirs leur permettant d’organiser directement l’activité des travailleurs de cette entité et de se substituer ainsi aux supérieurs immédiats de ces travailleurs dans la prise de décision à l’intérieur de cette dernière ». Il ne suffit donc pas d’un pouvoir de contrôle général ; il faudrait une immixtion directe et régulière dans la gestion opérationnelle pour que l’entité soit considérée comme ayant perdu son autonomie.

B. La prééminence de l’objectif de maintien des droits des travailleurs

Face aux arguments du gouvernement espagnol, qui invoquait un risque de « double représentation » et de discrimination à l’égard des représentants déjà présents chez le cessionnaire, la Cour réaffirme la finalité de la directive. Le texte vise avant tout à protéger les travailleurs pour qu’ils ne soient pas placés dans une situation moins favorable du simple fait du transfert.

La Cour considère qu’une éventuelle différence de traitement entre les travailleurs transférés et les autres salariés du cessionnaire est justifiée par cet objectif. Elle rappelle que le but est « d’assurer, dans toute la mesure du possible et en pratique, que les nouveaux travailleurs ne soient pas désavantagés du fait du transfert par rapport à la situation antérieure à celui-ci ». En faisant prévaloir la protection des droits acquis, y compris le droit à la représentation collective, sur les difficultés d’organisation internes du cessionnaire, la Cour confirme le caractère impératif de la protection sociale voulue par le législateur de l’Union. Le mandat des représentants des travailleurs est ainsi consolidé en tant qu’élément essentiel de la continuité des relations de travail.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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