Cour de justice de l’Union européenne, le 29 juillet 2019, n°C-659/17

Par un arrêt du 29 juillet 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’application des règles relatives aux aides d’État dans le secteur du transport public local. En l’espèce, une entreprise de transport public exerçant son activité de manière exclusive pour une municipalité italienne avait bénéficié d’exonérations de charges sociales. Ces avantages découlaient de contrats de formation et de travail conclus entre 1997 et 2001, en application d’un régime d’aide italien. Une décision de la Commission européenne de 1999 avait cependant déclaré ce régime partiellement incompatible avec le marché intérieur et avait ordonné la récupération des aides illégalement accordées.

Saisi par l’organisme national de sécurité sociale en vue de recouvrer les sommes dues, l’entreprise de transport a contesté son obligation de remboursement. La Cour d’appel de Naples, dans une décision du 27 mai 2014, a jugé que la décision de la Commission n’était pas applicable à l’entreprise. Elle estimait que les avantages reçus n’étaient pas de nature à affecter les échanges entre États membres ni à fausser la concurrence, l’activité de transport public local étant exercée en régime de non-concurrence suite à une attribution directe et exclusive. La Cour de cassation italienne, confrontée à cette interprétation, a alors posé une question préjudicielle à la Cour de justice. Elle cherchait à savoir si la décision de la Commission s’appliquait à un employeur exerçant une activité de transport public local en situation de monopole de fait. La solution de la Cour de justice affirme que la décision de la Commission est applicable, sous réserve de vérifications factuelles par la juridiction nationale.

Cette décision réaffirme une conception large du champ d’application des règles de concurrence en matière d’aides d’État (I), tout en confiant au juge national une mission essentielle de vérification des conditions concrètes du marché (II).

I. L’application extensive des règles relatives aux aides d’État au transport public local

La Cour de justice confirme que le caractère local d’une activité n’exclut pas l’application de l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (A). Elle ancre son analyse dans la notion de concurrence potentielle, critère déterminant pour évaluer l’existence d’une distorsion sur le marché (B).

A. Le rejet du caractère local de l’activité comme obstacle à l’affectation des échanges

La Cour écarte l’argument selon lequel un service de transport public local, par sa nature même, échapperait aux règles sur les aides d’État. Elle rappelle une jurisprudence constante selon laquelle « la condition selon laquelle l’aide doit être de nature à affecter les échanges entre les États membres ne dépend pas de la nature locale ou régionale des services de transport fournis ». En effet, l’octroi d’une aide à une entreprise locale peut consolider sa position sur son marché. Ce faisant, il diminue les possibilités pour des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer ce même marché. L’aide renforce l’opérateur national, qui aurait dû normalement supporter les coûts liés aux charges sociales, et maintient ou augmente son activité intérieure au détriment de concurrents potentiels européens.

L’analyse de la Cour ne s’attache donc pas au périmètre géographique de l’activité bénéficiaire de l’aide mais à ses effets sur la structure du marché. La décision de 1999 de la Commission n’avait d’ailleurs pas limité son champ d’application aux seuls secteurs exportateurs. Elle avait expliqué de manière générale que les réductions sélectives de charges sociales faussent la concurrence, illustrant ensuite ce principe avec l’exemple du secteur de la production, sans pour autant exclure les services locaux. Ainsi, la Cour de justice confirme que l’affectation des échanges peut être établie même lorsque l’entreprise bénéficiaire ne participe pas directement à des échanges transfrontaliers.

B. La concurrence potentielle comme critère déterminant de la distorsion

La Cour de justice place au cœur de son raisonnement la notion de concurrence potentielle. Elle ne se contente pas d’examiner si l’entreprise faisait face à une concurrence réelle au moment des faits, mais si une telle concurrence était juridiquement et économiquement possible. Le fait que les services de transport aient été attribués directement et exclusivement à l’entreprise par la commune n’est pas suffisant pour écarter toute distorsion. L’élément décisif est de savoir si la municipalité était tenue, par une disposition législative ou réglementaire, d’attribuer ces services exclusivement à cette entreprise.

En l’absence d’une telle obligation, la commune aurait pu choisir un autre prestataire, y compris en organisant une procédure de passation de marché public. Cette procédure aurait été ouverte aux opérateurs d’autres États membres, le marché italien du transport public local étant déjà, à l’époque des faits, partiellement ouvert à la concurrence. Par conséquent, « une concurrence pour les services en cause au principal était possible, de sorte qu’il ne saurait être exclu ni que la réduction des charges sociales dont a bénéficié l’[entreprise] ait procuré à cette entreprise un avantage par rapport à ses concurrents potentiels ». La seule existence d’un avantage accordé à une entreprise sur un marché ouvert, même en l’absence d’autres acteurs effectifs, suffit à menacer de fausser la concurrence.

II. Les implications pratiques de la solution pour les autorités nationales et les entreprises

La décision de la Cour de justice confère une responsabilité importante à la juridiction de renvoi pour l’examen des faits (A). Elle impose également une vigilance accrue aux entreprises qui opèrent simultanément sur des marchés concurrentiels et non concurrentiels (B).

A. La mission de vérification confiée au juge national

Conformément à son rôle, la Cour de justice ne tranche pas le litige au fond mais fournit une interprétation du droit de l’Union. Elle renvoie à la juridiction nationale la tâche de procéder aux vérifications factuelles nécessaires pour appliquer cette interprétation. La Cour de cassation italienne devra ainsi déterminer si, durant la période litigieuse, le marché italien du transport public local était effectivement ouvert à la concurrence. Elle devra en particulier vérifier s’il existait ou non une obligation légale ou réglementaire pour la municipalité d’attribuer le service de transport exclusivement à l’entreprise en question.

Cette démarche illustre la coopération entre le juge de l’Union et le juge national. Si la Commission peut, dans une décision portant sur un régime d’aides, se limiter à examiner les caractéristiques générales du régime, c’est aux autorités nationales, sous le contrôle du juge national, de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise au stade de la récupération. Le juge national devient ainsi le garant de l’application correcte des conditions posées par l’article 107, paragraphe 1, du traité, en s’assurant que l’aide a bien été, dans le cas d’espèce, susceptible de fausser la concurrence et d’affecter les échanges.

B. La prévention des subventions croisées sur les marchés connexes

La Cour de justice étend le champ des vérifications que le juge national doit effectuer. Elle lui demande de déterminer si l’entreprise exerçait, durant la période concernée, des activités sur d’autres marchés ouverts à la concurrence, qu’il s’agisse de produits, de services ou d’autres zones géographiques. Cette instruction vise à identifier et à prévenir les risques de subventions croisées. En effet, même si l’activité principale de transport local n’était pas soumise à concurrence, les avantages reçus au titre de cette activité auraient pu être utilisés pour renforcer la position de l’entreprise sur d’autres marchés concurrentiels.

Une telle situation fausserait la concurrence sur ces autres marchés. La Cour précise que ce risque peut être écarté uniquement s’il est démontré que l’entreprise tenait « une comptabilité séparée appropriée » garantissant que les réductions de charges sociales n’ont pas bénéficié à ses activités concurrentielles. Cette exigence impose aux entreprises bénéficiant d’aides pour des services d’intérêt économique général ou des activités en monopole une stricte séparation comptable. Elles doivent être en mesure de prouver que les fonds publics ne sont pas détournés pour subventionner des activités commerciales exposées à la concurrence.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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