Par un arrêt en date du 29 juillet 2024, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé la portée des obligations des États membres lors de la proposition d’un candidat aux fonctions de juge au Tribunal de l’Union. En l’espèce, un juge sortant du Tribunal, candidat à sa propre succession, avait été classé en première position sur une liste de mérite établie par un groupe d’experts indépendants mis en place par le gouvernement de l’État membre concerné. Ce gouvernement avait néanmoins décidé de proposer un autre candidat figurant sur cette même liste, classé en deuxième position. Saisi d’un recours par le candidat évincé, le tribunal administratif national a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si le droit de l’Union, et plus précisément les exigences d’indépendance et de capacité des juges posées par l’article 19, paragraphe 2, TUE et l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, s’oppose à ce qu’un gouvernement national écarte le candidat le mieux classé par un comité d’experts pour en proposer un autre figurant sur la même liste de mérite. La Cour répond par la négative, considérant que cette pratique n’est pas en soi contraire aux traités, à la condition que le candidat finalement proposé satisfasse pleinement aux exigences requises pour l’exercice des fonctions de juge. Cette solution, qui clarifie l’autonomie des États membres dans la phase nationale de proposition des juges (I), doit être comprise à la lumière des mécanismes de contrôle multiples garantissant l’intégrité du processus de nomination au niveau de l’Union (II).
I. L’autonomie de l’État membre dans la phase de proposition réaffirmée
La Cour de justice consacre la liberté de choix du gouvernement national dans la désignation de son candidat, en rappelant le caractère non contraignant de l’avis des experts nationaux (A) et en préservant par conséquent le pouvoir d’appréciation de l’exécutif (B).
A. Le caractère purement consultatif de l’avis du groupe d’experts nationaux
L’arrêt souligne que le droit de l’Union n’impose aucune modalité procédurale spécifique pour la sélection nationale des candidats. Chaque État membre reste donc libre d’organiser ou non une telle procédure de sélection préalable. Lorsqu’un État décide de mettre en place un groupe d’experts pour évaluer les candidatures, les règles qu’il édicte pour encadrer cette procédure déterminent la portée des conclusions de ce groupe. En l’occurrence, le droit national lituanien précisait que l’indication du candidat le mieux classé avait « uniquement un caractère de recommandation au gouvernement ». La Cour en déduit logiquement que la liste de mérite et son classement n’avaient pas pour effet de lier juridiquement le gouvernement. Le rôle du groupe d’experts se limitait à éclairer le choix du gouvernement en attestant que tous les candidats inscrits sur la liste satisfaisaient aux exigences fondamentales de capacité et d’indépendance.
B. La préservation du pouvoir discrétionnaire du gouvernement
En conséquence directe du caractère consultatif de l’expertise, le pouvoir de proposition demeure une prérogative du gouvernement. La Cour confirme que l’exécutif conserve une marge d’appréciation pour choisir, parmi plusieurs candidats jugés aptes, celui qu’il estime le plus opportun de proposer. Cette décision relève d’une responsabilité politique que les traités confient expressément aux gouvernements des États membres. L’essentiel n’est pas que le meilleur candidat selon un classement technique soit proposé, mais que le candidat proposé soit indiscutablement apte à exercer les fonctions de juge. Le choix d’un candidat autre que le premier de la liste ne saurait, à lui seul, faire naître un doute légitime sur son indépendance ou ses compétences, dès lors que son aptitude a été préalablement validée par le même groupe d’experts qui a établi la liste.
II. Un processus de nomination sécurisé par des contrôles au niveau de l’Union
Toutefois, cette latitude laissée à l’État membre n’est pas sans limites ; elle s’inscrit dans un cadre de vérification européen rigoureux. La Cour rappelle ainsi que la proposition nationale n’est que la première étape d’un processus qui comprend deux filtres essentiels au niveau de l’Union : l’avis du comité de l’article 255 TFUE (A) et la décision finale des gouvernements des États membres (B).
A. Le comité de l’article 255 TFUE, premier filtre de l’adéquation des candidats
L’arrêt met en exergue le rôle crucial du comité institué par l’article 255 TFUE. Cet organe a pour mission de donner un avis sur l’adéquation des candidats proposés à l’exercice des fonctions de juge au Tribunal. Il procède à sa propre évaluation, en toute indépendance, pour vérifier que le candidat offre bien « toutes les garanties d’indépendance et possédant la capacité requise pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles ». Ce comité ne se contente pas d’entériner la proposition nationale ; il exerce un contrôle de fond. La Cour note qu’il peut demander des informations complémentaires au gouvernement concerné, ce qui renforce sa capacité d’investigation. Le fait que ce comité ait rendu, en l’espèce, un avis favorable sur le candidat finalement nommé, bien qu’il fût classé en troisième position, est un élément déterminant qui vient valider le choix du gouvernement et confirmer l’aptitude de l’intéressé.
B. La nomination par commun accord des gouvernements, garantie ultime du processus
Enfin, la Cour rappelle que la nomination des juges du Tribunal est un acte collectif, décidé « d’un commun accord par les gouvernements des États membres ». Cette exigence de consensus constitue la garantie ultime de l’intégrité du processus. Chaque gouvernement engage sa responsabilité non seulement pour le candidat qu’il propose, mais aussi pour chaque juge qu’il nomme conjointement avec ses homologues. Un candidat ne devient juge de l’Union que s’il obtient l’assentiment de l’ensemble des États membres. Ce mécanisme de décision collective dilue l’influence d’un seul État et assure que le juge nommé jouira de la confiance de tous les membres de l’Union. La nomination finale du candidat proposé par le gouvernement lituanien atteste donc que celui-ci a passé avec succès ce double contrôle au niveau de l’Union, confirmant ainsi sa conformité avec les exigences des traités.