Cour de justice de l’Union européenne, le 29 juillet 2024, n°C-771/22

Par une décision rendue en formation de chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue de la protection des voyageurs contre l’insolvabilité des organisateurs de voyages à forfait. En l’espèce, dans deux affaires jointes, des voyageurs avaient conclu des contrats de voyage à forfait. Ils ont ultérieurement résilié ces contrats avant leur début en invoquant des circonstances exceptionnelles et inévitables liées à la pandémie de Covid-19, ce qui leur ouvrait un droit au remboursement intégral des sommes versées. Les organisateurs de voyages concernés ne procédèrent cependant pas à ces remboursements. Postérieurement à ces demandes de résiliation, lesdits organisateurs furent déclarés en faillite. Les voyageurs, ou leurs ayants droit, se sont alors tournés vers les assureurs garantissant la solvabilité des organisateurs afin d’obtenir le paiement de leurs créances de remboursement.

Les assureurs ont refusé d’indemniser les voyageurs au motif que leur garantie ne couvrirait que l’inexécution des prestations de voyage directement causée par l’insolvabilité, et non les dettes de remboursement nées d’une résiliation antérieure à cette insolvabilité. Les juridictions nationales saisies des litiges, le Bezirksgericht für Handelssachen Wien en Autriche et le Nederlandstalige Ondernemingsrechtbank Brussel en Belgique, ont alors adressé à la Cour de justice des questions préjudicielles. Elles cherchaient à savoir si l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/2302 devait être interprété en ce sens que la garantie obligatoire contre l’insolvabilité de l’organisateur s’applique également à la créance de remboursement du voyageur lorsque le contrat a été résilié pour circonstances exceptionnelles avant la déclaration d’insolvabilité, mais que le remboursement n’a pas pu être obtenu en raison de cette dernière.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que la protection contre l’insolvabilité doit couvrir de telles créances. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation extensive de la garantie due au voyageur (I), laquelle renforce de manière significative la protection des consommateurs dans le cadre des voyages à forfait (II).

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I. L’interprétation extensive de la garantie contre l’insolvabilité

La Cour de justice a écarté une lecture littérale et restrictive de la directive au profit d’une approche finaliste. Elle a d’abord reconnu l’ambiguïté des termes de l’article 17 (A), pour ensuite affirmer la primauté d’une interprétation systémique et téléologique (B).

A. Le dépassement de l’ambiguïté textuelle de la directive

L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 dispose que la garantie couvre le remboursement des paiements effectués « dans la mesure où les services concernés ne sont pas exécutés en raison de l’insolvabilité des organisateurs ». Une interprétation stricte de cette disposition, favorisée par les assureurs, suggère qu’un lien de causalité direct et exclusif doit exister entre l’insolvabilité et l’inexécution du service de voyage. Dans cette perspective, si la non-réalisation du voyage découle d’une résiliation par le voyageur, même justifiée, la cause première n’est plus l’insolvabilité. La créance de remboursement qui en résulte serait alors une simple dette chirographaire dans la procédure collective, non couverte par la garantie spécifique.

La Cour reconnaît la plausibilité de cette lecture littérale, notant que certains termes de la directive pourraient orienter vers une telle conclusion. Elle relève que les expressions « en raison de » et « services concernés » sont susceptibles d’une interprétation restrictive. Toutefois, la Cour observe également que le législateur a utilisé les termes « services concernés » et non l’expression plus précise de « services de voyage », ce qui peut suggérer une portée plus large. Face à cette absence de clarté univoque du texte, elle a donc estimé nécessaire de recourir à d’autres méthodes d’interprétation pour dégager le sens réel de la disposition.

B. L’affirmation d’une interprétation systémique et téléologique

Pour résoudre l’ambiguïté, la Cour a privilégié une analyse fondée sur le contexte de la disposition et les objectifs de la directive. Elle s’est appuyée sur l’objectif général d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, consacré par l’article 169 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 38 de la Charte des droits fondamentaux. Une interprétation restrictive aurait conduit à une régression de la protection par rapport au régime antérieur de la directive 90/314, ce qui serait contraire à l’intention du législateur de l’Union.

De surcroît, la Cour a souligné que le droit à la résiliation pour circonstances exceptionnelles, prévu à l’article 12, paragraphe 2, de la directive, serait privé de son effet utile si le remboursement subséquent n’était pas garanti en cas d’insolvabilité de l’organisateur. Le voyageur serait en effet incité à ne pas résilier son contrat et à attendre une éventuelle défaillance de l’organisateur, ce qui paralyserait l’exercice d’un droit qui lui est expressément conféré. Enfin, l’information précontractuelle standardisée, qui doit être fournie au voyageur, mentionne sans aucune restriction que « [s]i l’organisateur […] devient insolvable, les montants versés seront remboursés », ce qui conforte une lecture large de la garantie.

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II. La consolidation d’une protection renforcée du consommateur-voyageur

Au-delà de l’explication du texte, la décision de la Cour a une valeur et une portée significatives pour le droit de la consommation. Elle assoit sa solution sur le principe fondamental d’égalité de traitement (A) et assure une continuité avec la protection antérieure tout en l’adaptant aux crises modernes (B).

A. La consécration du principe d’égalité de traitement

Le raisonnement de la Cour s’articule de manière décisive autour du principe d’égalité de traitement. Elle considère qu’un texte du droit de l’Union doit être interprété, autant que possible, d’une manière qui ne remette pas en cause sa validité, notamment au regard des principes généraux du droit. En l’occurrence, la Cour compare la situation de deux catégories de voyageurs. La première est celle du voyageur dont le forfait n’est pas exécuté à cause de l’insolvabilité de l’organisateur. La seconde est celle du voyageur qui, ayant légitimement résilié son contrat, ne peut obtenir son remboursement en raison de cette même insolvabilité survenue ultérieurement.

Au regard de l’objectif de protection contre le risque financier lié à l’insolvabilité, ces deux situations sont jugées comparables. Dans les deux cas, le voyageur subit une perte financière directement liée à l’insolvabilité de son cocontractant, alors même qu’il a droit au remboursement en vertu de la directive. La Cour en déduit qu’une différence de traitement entre ces voyageurs, qui aboutirait à ne protéger que la première catégorie, ne serait pas objectivement justifiée. Interpréter l’article 17, paragraphe 1, de manière restrictive conduirait à une telle discrimination, ce qui imposerait de préférer une lecture conforme au principe d’égalité de traitement.

B. La continuité de la protection et ses implications futures

En adoptant une solution extensive, la Cour assure la cohérence du système de protection des voyageurs dans le temps. Elle rappelle que sous l’empire de la directive 90/314, la jurisprudence avait déjà consacré une protection intégrale contre les risques résultant de l’insolvabilité. Une interprétation qui affaiblirait cette protection sous le régime de la directive 2015/2302 serait un recul pour les droits des consommateurs. Cette décision garantit donc que le nouveau texte ne constitue pas une régression, mais bien une adaptation et une modernisation de la protection existante.

La portée de cet arrêt est considérable, particulièrement dans un contexte de crises systémiques telles qu’une pandémie mondiale. Il clarifie que le risque d’insolvabilité en cascade, où les annulations massives de voyageurs précèdent de peu la faillite des opérateurs, doit être couvert par les assureurs. Le moment précis de la déclaration d’insolvabilité par rapport à la date de résiliation ne peut plus être un argument pour refuser la garantie. La solution offre ainsi une sécurité juridique accrue aux voyageurs, qui peuvent exercer leurs droits sans craindre d’être les victimes d’un concours de circonstances malheureux.

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Hassan KOHEN
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