Cour de justice de l’Union européenne, le 29 juin 2010, n°C-526/08

Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant en grande chambre, a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission européenne à l’encontre d’un État membre. La Commission soutenait que cet État n’avait pas correctement transposé plusieurs dispositions de la directive 91/676/CEE du 12 décembre 1991, visant à protéger les eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole. Les griefs portaient notamment sur des lacunes dans la réglementation nationale concernant les périodes d’interdiction d’épandage de fertilisants, la capacité de stockage des effluents d’élevage et les conditions d’épandage sur les sols en forte pente.

La procédure précontentieuse, initiée par une mise en demeure puis un avis motivé, n’a pas permis de résoudre le différend, conduisant la Commission à saisir la Cour. Devant celle-ci, l’État membre a soulevé des exceptions d’irrecevabilité, arguant d’une part d’un vice de procédure lié à la langue de certaines annexes et d’autre part d’une violation du principe de l’autorité de la chose jugée. Il estimait que certains griefs avaient déjà été tranchés dans une affaire antérieure. La question de droit posée à la Cour était double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si le principe de l’autorité de la chose jugée faisait obstacle à un nouveau recours en manquement lorsque les griefs présentaient des similitudes avec une affaire précédente et, d’autre part, si la réglementation nationale, en raison de ses omissions et de son caractère restrictif, assurait une transposition complète et correcte de la directive.

La Cour a écarté les arguments procéduraux de l’État membre et a jugé le recours recevable. Sur le fond, elle a constaté que l’État membre avait effectivement manqué à plusieurs de ses obligations en vertu de la directive. La décision de la Cour illustre une approche rigoureuse, tant dans l’examen des conditions de recevabilité du recours en manquement (I) que dans son appréciation des obligations matérielles découlant du droit de l’environnement de l’Union (II).

I. La confirmation de la rigueur procédurale du recours en manquement

La Cour a d’abord examiné les exceptions d’irrecevabilité soulevées par l’État défendeur. En les rejetant, elle a réaffirmé sa position pragmatique sur les règles de forme tout en adoptant une conception stricte du principe de l’autorité de la chose jugée, préservant ainsi l’efficacité du contrôle des manquements.

A. Le rejet d’une exception d’irrecevabilité formelle

L’État membre soutenait que le recours était irrecevable au motif que deux annexes de la requête de la Commission avaient été produites dans une langue autre que la langue de procédure. La Cour a rapidement écarté cet argument en s’appuyant sur son propre règlement de procédure. Elle a relevé que les passages pertinents de ces documents avaient été traduits dans la requête elle-même et que des traductions complètes avaient été fournies ultérieurement à la demande du greffe. La Cour a ainsi estimé qu’« il n’y a pas lieu d’écarter du dossier les deux annexes en cause ». Cette approche pragmatique montre que, si les règles linguistiques garantissent le respect des droits de la défense, leur violation n’entraîne pas automatiquement l’irrecevabilité du recours lorsque le grief est réparé et que la compréhension des arguments n’est pas compromise. La substance prime sur un formalisme excessif qui paralyserait l’action de la Commission.

B. L’application stricte du principe de l’autorité de la chose jugée

L’argument le plus substantiel de l’État membre concernait la violation du principe de l’autorité de la chose jugée, au motif que certains griefs étaient identiques à ceux d’une affaire ayant déjà donné lieu à un arrêt de la Cour. La Cour, tout en reconnaissant que ce principe s’applique aux procédures en manquement, en a délimité la portée avec précision. Elle a rappelé que « l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause ». En procédant à une analyse comparée des griefs des deux affaires, elle a conclu à une absence d’identité de fait et de droit. Dans l’affaire antérieure, le débat portait sur des aspects différents de la directive, tandis que le présent recours visait de nouvelles dispositions de la législation nationale et des manquements distincts. En conséquence, la Cour a jugé que la Commission était en droit d’introduire un nouveau recours sur le fondement de l’article 226 CE sans méconnaître l’autorité de l’arrêt précédent. Cette solution est fondamentale car elle préserve la capacité de la Commission à poursuivre un État membre pour des manquements persistants ou nouveaux, même s’ils se rapportent à la même directive, garantissant ainsi un contrôle continu et effectif du respect du droit de l’Union.

Après avoir établi la recevabilité du recours, la Cour s’est penchée sur le fond des griefs, procédant à une interprétation exigeante des obligations imposées par la directive sur la protection des eaux.

II. L’interprétation extensive des obligations matérielles de la directive

Sur le fond, la Cour a accueilli l’ensemble des griefs de la Commission, retenant une interprétation à la fois littérale et téléologique des dispositions de la directive. Elle a ainsi sanctionné une transposition jugée lacunaire et restrictive, rappelant aux États membres l’exigence d’une mise en œuvre complète et effective des normes environnementales.

A. Une interprétation littérale et téléologique des obligations d’interdiction

La Cour a d’abord constaté que la réglementation nationale était défaillante en ce qu’elle n’établissait pas de périodes d’interdiction d’épandage pour les engrais chimiques, se limitant aux engrais organiques. Se fondant sur les définitions de la directive, la Cour a rappelé que le terme « fertilisant » englobe les engrais chimiques, et qu’aucune dérogation n’était prévue. De même, l’exemption des prairies des périodes d’interdiction d’épandage a été jugée contraire à la directive, qui ne prévoit pas une telle exclusion. La Cour a également invalidé le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi nationale aux ministres de déroger aux interdictions en cas de « situation climatique exceptionnelle » ou d’« événements extraordinaires ». Elle a estimé qu’une telle réglementation, faute de circonscrire précisément les conditions de dérogation, ne satisfaisait pas à l’exigence de sécurité juridique et portait atteinte à l’objectif de protection des eaux. Cette approche stricte souligne que les objectifs d’une directive environnementale ne sauraient être compromis par des transpositions partielles ou ambiguës.

B. L’exigence de mesures techniques complètes et non équivoques

La Cour a ensuite examiné les griefs relatifs aux mesures techniques. Elle a jugé que l’obligation de disposer d’une capacité de stockage des effluents d’élevage suffisante pour la période d’interdiction d’épandage la plus longue s’appliquait à toutes les installations, et non uniquement aux « équipements nouveaux ou à moderniser » comme le prévoyait la loi nationale. La directive ne prévoyant aucune distinction, la limitation introduite par l’État membre constituait un manquement. De même, la Cour a retenu que l’obligation de réglementer l’épandage sur les sols en forte pente visait tous les fertilisants, organiques comme chimiques. En n’interdisant sur ces sols que l’épandage d’engrais organiques, l’État membre n’a pas correctement transposé la directive. Enfin, l’absence de règles nationales sur les modes d’épandage a également été sanctionnée. En jugeant que le caractère moderne de l’agriculture de l’État ne le dispensait pas de son obligation de transposer ces dispositions, la Cour a affirmé que l’efficacité d’une directive environnementale repose sur la mise en place d’un cadre juridique complet et détaillé, ne laissant place ni à des lacunes ni à des interprétations restrictives qui en affaibliraient la portée.

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Hassan KOHEN
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