Par un arrêt du 29 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé les conditions d’application du principe *ne bis in idem* dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice. En l’espèce, une personne était poursuivie en Allemagne pour des faits d’extorsion. Ayant fui en Pologne, cette même personne a fait l’objet d’une enquête pour les mêmes faits par les autorités polonaises. La procédure polonaise a été clôturée par une décision du parquet motivée par l’impossibilité d’entendre la victime et un témoin résidant en Allemagne, ainsi que par le silence de l’inculpé. De retour en Allemagne, l’individu y a été arrêté, mais la juridiction de première instance a refusé d’ouvrir le procès, estimant que la décision de classement polonaise constituait un jugement définitif au sens de l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS). Saisie d’un recours, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si une telle décision de classement, intervenue sans instruction approfondie, pouvait faire obstacle à de nouvelles poursuites dans un autre État membre. La Cour a répondu par la négative, considérant qu’une décision n’ayant pas impliqué d’appréciation sur le fond de l’affaire ne constitue pas une décision définitive au sens de l’article 54 de la CAAS.
La solution de la Cour repose sur une interprétation stricte de la notion de « jugement définitif », qui doit résulter d’une véritable instruction (I). Cette exigence nouvelle conditionne la confiance mutuelle entre États membres et vise à prévenir toute forme d’impunité au sein de l’Union (II).
I. La consécration d’une condition qualitative à l’application du principe *ne bis in idem*
La Cour réaffirme que l’application de l’article 54 de la CAAS est subordonnée à l’existence d’une décision ayant éteint l’action publique, tout en y ajoutant une condition tenant à l’examen au fond de l’affaire. Pour être qualifiée de définitive, la décision doit non seulement être finale au regard du droit national (A), mais aussi reposer sur un examen matériel des faits reprochés (B).
A. Le critère formel maintenu de l’extinction définitive des poursuites
Le premier critère d’une décision définitive au sens de l’article 54 de la CAAS réside dans sa capacité à clore irrévocablement la procédure pénale. La Cour rappelle que « pour qu’une personne puisse être considérée comme étant « définitivement jugée » pour les faits qui lui sont reprochés, au sens de cet article, il importe, en premier lieu, que l’action publique ait été définitivement éteinte ». Cette appréciation s’effectue au regard du droit de l’État où la décision a été rendue. En l’espèce, la décision du parquet polonais était considérée comme définitive en droit interne, nonobstant les possibilités de réouverture en cas d’apparition de preuves nouvelles ou d’annulation par le parquet général.
Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle la nature définitive d’une décision est une condition préalable et nécessaire. La Cour précise également que l’origine de la décision, qu’elle émane d’une juridiction ou d’un parquet, est indifférente, de même que l’absence de sanction. L’essentiel demeure l’effet extinctif de la décision sur l’action publique. Cependant, cet arrêt démontre que ce critère, bien que nécessaire, n’est plus suffisant à lui seul pour enclencher la protection offerte par le principe *ne bis in idem*.
B. Le critère matériel ajouté de l’appréciation sur le fond de l’affaire
La Cour de justice ajoute une seconde condition, d’ordre matériel, en exigeant que la décision ait été précédée d’une appréciation sur le fond de l’affaire. Une décision de classement motivée uniquement par des obstacles procéduraux ne satisfait pas à cette exigence. La Cour souligne qu’une décision adoptée « sans qu’aucune instruction plus approfondie ait été menée aux fins de rassembler et d’examiner des éléments de preuve, ne constitue pas une décision ayant été précédée d’une appréciation portée sur le fond ». Le fait que la victime et un témoin n’aient pas été entendus est retenu comme un indice déterminant de l’absence d’une telle instruction.
Ce faisant, la Cour opère une distinction subtile entre une décision de classement pour insuffisance de preuves après enquête et une décision de classement par défaut d’enquête. Seule la première est susceptible de constituer un jugement définitif. En refusant de qualifier de définitive une décision qui n’est pas le fruit d’un examen substantiel des faits, la Cour s’assure que le principe *ne bis in idem* ne devienne pas un instrument permettant à une personne de se soustraire à la justice en bénéficiant d’une clôture procédurale hâtive dans un État membre.
II. La portée de la décision au regard des finalités de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
L’interprétation retenue par la Cour de justice a des conséquences directes sur le fonctionnement de la coopération judiciaire pénale. Elle module le principe de confiance mutuelle en l’assortissant d’un contrôle matériel (A) et renforce l’objectif de lutte contre l’impunité au sein de l’Union (B).
A. La confiance mutuelle tempérée par un contrôle de la matérialité de l’instruction
Le principe de confiance mutuelle constitue la pierre angulaire de la coopération judiciaire européenne, impliquant que chaque État membre accepte les décisions judiciaires des autres sans en contrôler le bien-fondé. Cependant, cet arrêt en nuance la portée. La Cour affirme que la confiance « ne saurait prospérer que si le second État contractant est en mesure de s’assurer, sur la base des pièces communiquées par le premier État contractant, que la décision concernée […] constitue bien une décision définitive contenant une appréciation sur le fond de l’affaire ».
Cette exigence autorise donc la juridiction du second État à procéder à une vérification de la motivation de la décision étrangère pour déterminer si une instruction approfondie a bien eu lieu. Il ne s’agit pas d’une révision au fond, mais d’un contrôle de la qualité du processus décisionnel. Cette approche pragmatique évite une application aveugle du principe *ne bis in idem* et garantit que la protection qu’il offre est réservée aux seules décisions qui ont véritablement tranché l’affaire, même implicitement, sur le fond.
B. La primauté de la lutte contre l’impunité sur l’automaticité de la règle *ne bis in idem*
En définissant restrictivement la notion de « jugement définitif », la Cour rééquilibre les objectifs de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Elle rappelle que l’article 54 de la CAAS vise à garantir la liberté de circulation sans crainte de nouvelles poursuites, mais qu’il ne doit pas avoir pour effet de « protéger un suspect contre l’éventualité de devoir se prêter à des recherches successives, pour les mêmes faits, dans plusieurs États contractants » lorsque la première procédure a été superficielle. La finalité de l’article 3, paragraphe 2, du TUE, qui est de promouvoir la prévention de la criminalité et la lutte contre ce phénomène, justifie cette interprétation.
Appliquer le principe *ne bis in idem* à une décision de classement qui n’est fondée sur aucune investigation sérieuse reviendrait à créer un risque d’impunité. Une telle situation serait contraire à l’objectif d’assurer un niveau élevé de sécurité pour les citoyens de l’Union. L’arrêt commenté garantit ainsi qu’un comportement pénalement répréhensible puisse faire l’objet de poursuites effectives dans au moins un État membre, renforçant par là même la cohérence et l’efficacité de l’espace judiciaire européen.