La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 29 juin 2023 dans l’affaire C-108/22, précise les conditions d’application du régime de taxe sur la valeur ajoutée des agences de voyages. La juridiction interprète l’article 306 de la directive 2006/112 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée face à l’émergence des agrégateurs de services hôteliers.
Une société assujettie achète des prestations d’hébergement en son nom propre et pour son propre compte auprès d’autres assujettis afin de les revendre à des entités commerciales. Elle ne fournit généralement aucune prestation supplémentaire, se limitant à la simple revente de nuitées après avoir ajouté une marge destinée à couvrir ses frais de transaction.
L’administration fiscale conteste l’application du régime de la marge, estimant que le service de voyage doit nécessairement revêtir un caractère complexe pour bénéficier de cette dérogation. Le tribunal administratif de voïvodie de Wrocław donne raison à la société, provoquant un pourvoi en cassation devant la Cour suprême administrative de Pologne.
Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice doit déterminer si la revente de services d’hébergement sans prestation supplémentaire relève du régime particulier applicable aux agences de voyages. Le juge européen confirme que cette opération bénéficie du régime dérogatoire, rejetant l’exigence d’un ensemble de services pour qualifier la prestation de voyage.
L’analyse de cette solution conduit à étudier l’abandon du critère de complexité matérielle avant d’examiner la consécration d’un objectif de simplification administrative et de neutralité fiscale.
I. L’abandon de l’exigence de complexité de la prestation
A. La remise en cause d’une interprétation restrictive du service de voyage
La Cour de justice refuse de limiter le régime particulier aux seules prestations comprenant un ensemble de services coordonnés par l’opérateur économique agissant en son nom. Elle souligne que « l’exclusion du champ d’application de l’article 306 […] au seul motif qu’elles comprendraient uniquement la fourniture d’un logement conduirait à un régime fiscal complexe ».
Cette position écarte l’argumentation de l’administration fiscale qui exigeait la présence de plusieurs prestations distinctes pour constituer un service de voyage éligible au régime de la marge. Le juge préfère une lecture matérielle des conditions prévues par la directive, privilégiant la nature de l’activité d’intermédiation plutôt que la composition intrinsèque de l’offre finale.
B. La réunion des critères structurels de l’intermédiation hôtelière
L’application du régime spécial repose sur deux piliers : l’action en nom propre à l’égard du client et le recours à des prestations acquises auprès de tiers assujettis. La Cour constate que la société « achète des services d’hébergement en son nom propre auprès d’autres assujettis pour les revendre ensuite à ses clients », respectant ainsi la lettre du texte.
La qualification d’agence de voyages n’est pas réservée aux opérateurs traditionnels mais s’étend aux entités effectuant des opérations comparables à celles d’un organisateur de circuits touristiques. Cette approche fonctionnelle garantit que tout opérateur supportant les mêmes contraintes économiques bénéficie des mêmes règles d’imposition, assurant ainsi la cohérence du système européen.
II. La consécration d’un objectif de simplification et de neutralité
A. La volonté d’écarter les obstacles pratiques liés à la territorialité
L’objectif essentiel de ces règles dérogatoires est d’ « éviter les difficultés qui découleraient pour les opérateurs économiques des principes généraux de la directive » relatifs aux prestations acquises auprès de tiers. La multiplicité et la localisation géographique des hébergements rendraient l’application du droit commun extrêmement complexe pour des entreprises gérant des réservations dans plusieurs États membres.
Le juge européen rappelle que la mise en œuvre des règles de base concernant le lieu d’imposition ou la déduction de la taxe se heurterait à des difficultés insurmontables. En permettant l’usage du régime de la marge pour un service unique, la Cour protège l’exercice de l’activité économique contre des charges administratives excessives.
B. L’extension pragmatique de la solution aux nouveaux modèles économiques
Cette décision confirme une jurisprudence antérieure relative aux résidences de vacances en l’étendant explicitement aux agrégateurs de services hôteliers opérant dans un cadre strictement professionnel. La Cour affirme que « la diversité géographique des hôtels et des établissements faisant l’objet de ces services pourrait en elle-même causer des difficultés pratiques » pour l’assujetti.
Le maintien d’une distinction entre services simples et complexes introduirait une rupture d’égalité contraire au principe de neutralité fiscale entre les différents prestataires du secteur. La solution assure une stabilité juridique nécessaire aux intermédiaires modernes qui structurent désormais le marché de l’hébergement au sein de l’Union européenne.