La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 29 juin 2023, apporte des précisions majeures concernant la prohibition des ententes verticales de prix. Un fournisseur de produits de consommation courante a mis en œuvre une politique de prix minimaux imposés auprès de son réseau de distribution. L’autorité de concurrence nationale a sanctionné ces agissements en considérant qu’ils constituaient une restriction de concurrence par objet interdite par le droit de l’Union. Le litige a été porté devant une juridiction nationale qui a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour sur l’interprétation du Traité. La question posée concerne les critères de caractérisation d’un accord de volontés et les conditions de la qualification d’une restriction par objet. La Cour affirme que l’imposition de prix minimaux constitue un accord dès lors qu’une volonté concordante entre les parties est établie par des indices. L’étude de cette décision portera sur l’identification de l’accord de volontés avant d’analyser la rigueur de la qualification de restriction par objet.
I. L’identification d’un accord de volontés caractérisant l’entente L’existence d’une entente suppose la démonstration d’une rencontre de volontés entre des opérateurs économiques indépendants agissant au sein d’un même réseau de distribution sélective.
A. La rencontre des volontés entre le fournisseur et ses distributeurs La Cour souligne qu’il existe un accord « lorsqu’un fournisseur impose à ses distributeurs des prix minimaux de revente des produits qu’il commercialise ». Cette situation suppose que le respect des tarifs par les distributeurs reflète « l’expression de la volonté concordante de ces parties » à l’opération commerciale. La volonté peut résulter des clauses contractuelles ou d’une « invitation explicite à respecter des prix minimaux de revente » émanant directement du fournisseur. Le juge européen admet qu’un acquiescement tacite suffit à établir le consentement du distributeur aux instructions tarifaires contraignantes reçues de son partenaire économique.
B. La preuve par indices de l’existence de la pratique concertée L’existence d’un accord entre un fournisseur et ses distributeurs peut être établie « non seulement au moyen de preuves directes, mais encore par des indices ». Le principe d’effectivité du droit de l’Union impose aux autorités de concurrence de pouvoir s’appuyer sur des éléments objectifs et concordants pour sanctionner. Ces indices permettent d’inférer la participation consciente des distributeurs à une politique commerciale globale restreignant leur liberté de fixation des prix de revente. Le respect effectif des consignes tarifaires constitue un élément matériel fort démontrant la réalité de la coordination entre les acteurs du réseau de distribution.
II. La qualification rigoureuse de la restriction de concurrence par objet La qualification automatique d’une pratique en restriction par objet est écartée au profit d’une analyse concrète des éléments caractérisant le contexte économique réel.
A. L’exigence d’un degré de nocivité suffisante envers le marché La constatation d’une restriction par objet ne peut intervenir qu’après avoir déterminé que l’accord révèle un « degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence ». L’analyse doit prendre en compte « la teneur de ses dispositions, des objectifs qu’il vise à atteindre » ainsi que le contexte juridique et économique. Cette approche refuse toute présomption irréfragable de nocivité pour les accords verticaux de fixation de prix minimaux de revente au consommateur final sur le marché. Le juge doit vérifier si la pratique est intrinsèquement préjudiciable au bon fonctionnement du jeu concurrentiel normal sur le marché intérieur concerné par l’entente.
B. L’incidence potentielle sur les échanges entre les États membres Un accord s’étendant à la « quasi-totalité, mais non l’intégralité, du territoire d’un État membre » est susceptible d’affecter le commerce entre les États membres. La Cour rappelle que l’affectation des échanges ne nécessite pas une couverture géographique totale pour relever des interdictions édictées par les articles du Traité. Cette solution assure une protection efficace du marché intérieur contre les cloisonnements nationaux résultant de politiques tarifaires verticales imposées par des fournisseurs aux distributeurs. La portée de la décision renforce ainsi le contrôle des autorités de régulation sur les pratiques de distribution au sein de l’espace économique de l’Union.