Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours des obligations des États membres dans l’examen des demandes de protection internationale. En l’espèce, un ressortissant d’un pays tiers avait formé une demande d’asile, invoquant des événements traumatisants subis dans son pays d’origine et présentant des indices de troubles de santé mentale. Sa demande fut rejetée par l’autorité nationale compétente, décision confirmée en première instance. La procédure a été marquée par une durée jugée excessive et par une déclaration initialement mensongère du demandeur, que ce dernier a par la suite rétractée. Saisie d’un pourvoi, la juridiction de second degré a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de plusieurs dispositions du droit de l’Union en matière d’asile, notamment les directives 2004/83/CE et 2005/85/CE. Les questions posées portaient sur l’étendue de l’obligation de coopération de l’autorité nationale, les conséquences d’un délai de procédure déraisonnable et l’effet d’une déclaration mensongère rétractée sur la crédibilité du demandeur. La Cour a clarifié que l’obligation de coopération inclut le recours à une expertise médicolégale si nécessaire, que la durée excessive d’une procédure ne se justifie pas par des changements législatifs et qu’une rétractation rapide d’un mensonge ne suffit pas à écarter la crédibilité d’un demandeur. Elle a cependant conditionné l’annulation des décisions nationales à la preuve que l’irrégularité procédurale a pu affecter la solution du litige.
Il convient d’analyser la manière dont la Cour renforce les garanties substantielles de l’examen de la demande (I), tout en définissant une portée limitée aux irrégularités procédurales constatées (II).
I. Le renforcement des garanties substantielles de l’examen de la demande
La décision commentée consolide les garanties offertes au demandeur d’asile en étendant l’obligation de coopération de l’autorité administrative à la santé mentale (A) et en adoptant une approche nuancée de l’appréciation de sa crédibilité (B).
A. L’obligation de coopération étendue à l’expertise médicolégale
La Cour de justice interprète de manière extensive l’obligation de coopération qui pèse sur les autorités nationales. Elle affirme que cette dernière impose à l’autorité « de se procurer, d’une part, des informations précises et actualisées portant sur tous les faits pertinents concernant la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile et de protection internationale ainsi que, d’autre part, une expertise médicolégale sur la santé mentale de celui-ci ». Cette solution est remarquable en ce qu’elle ne limite pas le rôle de l’autorité à la simple évaluation des éléments fournis par le demandeur. Face à des indices de traumatismes, l’administration doit devenir proactive et diligenter elle-même une expertise, si celle-ci s’avère pertinente pour apprécier la réalité des besoins de protection.
En agissant ainsi, la Cour transforme une obligation de moyens en une obligation de diligence renforcée. Elle prend acte de la vulnérabilité particulière des demandeurs souffrant de troubles psychiques consécutifs à des persécutions, lesquels peuvent éprouver des difficultés à étayer leur propre récit. Le recours à l’expertise n’est plus une simple faculté laissée à l’appréciation des autorités, mais un devoir lorsque les circonstances l’exigent, encadré par le respect des droits fondamentaux. Cette précision assure une protection plus effective des demandeurs les plus fragiles et garantit un examen plus complet et humain de leur situation personnelle.
B. L’appréciation de la crédibilité au-delà de la déclaration mensongère initiale
La Cour précise également les conséquences d’une fausse déclaration sur l’évaluation de la crédibilité du demandeur. Elle juge qu’« une déclaration mensongère, figurant dans la demande initiale de protection internationale, qui a fait l’objet d’une explication et d’une rétractation de la part du demandeur d’asile dès que l’occasion s’est présentée, n’est pas de nature à empêcher, à elle seule, l’établissement de la crédibilité générale de celui-ci ». Cette approche pragmatique s’oppose à une logique purement formelle qui sanctionnerait irrémédiablement toute incohérence ou tout mensonge. La Cour admet implicitement que le parcours d’exil et la procédure d’asile peuvent générer une peur et une confusion poussant un individu à altérer la vérité.
En se focalisant sur la rétractation et l’explication fournies, la Cour invite les autorités nationales à procéder à une appréciation globale de la crédibilité, plutôt que de rejeter une demande sur la base d’un unique élément négatif. Elle subordonne la sanction de la fausse déclaration à une analyse du contexte et de la diligence du demandeur à corriger son erreur. Cette solution préserve les chances du demandeur de bonne foi qui, après une première erreur, s’efforce de coopérer pleinement avec les autorités. Elle favorise une approche matérielle de la vérité, plus adaptée à la complexité des situations humaines rencontrées en droit d’asile.
II. La portée limitée des irrégularités procédurales
Si la Cour établit des exigences procédurales strictes, notamment quant aux délais (A), elle refuse cependant que leur violation entraîne une annulation automatique de la décision, conditionnant une telle sanction à la démonstration de leur incidence sur la solution du litige (B).
A. La censure du caractère déraisonnable des délais de procédure
La Cour de justice se montre ferme quant à l’obligation pour les États membres de statuer dans un délai raisonnable. Elle énonce clairement que les retards excessifs « ne peuvent pas être justifiés par des modifications législatives nationales intervenues au cours de ces délais ». Par cette formule, elle adresse un message clair aux États, leur signifiant que les réformes internes, même complexes, ne sauraient servir de prétexte pour laisser les demandeurs dans une incertitude prolongée. La sécurité juridique et le droit à une bonne administration, qui inclut une célérité de traitement, sont ainsi réaffirmés comme des composantes essentielles de la procédure d’asile.
Cette position vise à responsabiliser les administrations nationales et à les prémunir contre la tentation de l’inertie administrative. La Cour souligne que la durée de la procédure n’est pas neutre ; elle constitue une période de grande précarité pour le demandeur et affecte sa capacité à se projeter. En refusant une telle justification, elle garantit que les droits procéduraux conférés par le droit de l’Union ne soient pas vidés de leur substance par des considérations d’organisation administrative interne, renforçant ainsi l’effectivité du système d’asile commun.
B. L’absence d’annulation automatique en cas de vice de procédure
Toutefois, la Cour apporte une nuance de taille quant aux conséquences à tirer de la violation des règles procédurales. Qu’il s’agisse de l’obligation de coopération ou du respect des délais, elle juge que l’irrégularité « ne doit pas nécessairement emporter, à elle seule, l’annulation de la décision ». Pour qu’une telle annulation soit prononcée, il peut être imposé au demandeur de démontrer que la décision « aurait pu être différente en l’absence d’une telle violation ». Ce faisant, la Cour écarte une approche formaliste qui verrait tout vice de procédure sanctionné par la nullité, indépendamment de ses conséquences concrètes.
Cette solution relève d’une logique de proportionnalité et d’économie procédurale. Elle vise à éviter que les procédures ne soient annulées pour des motifs purement dilatoires ou pour des erreurs n’ayant eu aucune incidence matérielle sur le sens de la décision finale. La charge de la preuve est ainsi placée sur le requérant, qui doit établir un lien de causalité entre l’irrégularité et le préjudice subi. Si cette position peut paraître sévère pour le demandeur, elle garantit la stabilité des décisions et recentre le contentieux sur le fond du droit à la protection, plutôt que sur le seul respect formel des procédures. La Cour établit un équilibre entre la nécessité de faire respecter les garanties procédurales et le souci d’une bonne administration de la justice.