Cour de justice de l’Union européenne, le 29 mars 2007, n°C-111/05

Par un arrêt du 29 mars 2007, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Regeringsrätten suédois, s’est prononcée sur la qualification et le régime de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable à une opération complexe de fourniture et de pose d’un câble sous-marin à fibres optiques reliant deux États membres.

En l’espèce, une société envisageait de conclure des contrats pour la fourniture et l’installation d’un câble sous-marin entre la Suède et un autre État membre. Cette opération impliquait l’achat du câble et du matériel, l’affrètement d’un navire et le recrutement de personnel spécialisé. Le câble devait être posé et enterré sur les territoires continentaux des deux États, mais également dans leurs eaux intérieures, leur mer territoriale, et sur leur plateau continental respectif, traversant ainsi des zones situées en dehors du territoire de la Communauté. Le coût du matériel représentait la part la plus importante du coût total, s’élevant entre 80 et 85 %.

La société a sollicité un avis préalable de la commission de droit fiscal suédoise pour déterminer la nature de l’opération et le lieu de son imposition. Cette commission a qualifié l’opération de prestation de services imposable en Suède. La société a contesté cet avis devant le Regeringsrätten, soutenant qu’il s’agissait d’un service se rattachant à un bien immeuble, limitant l’imposition à la seule portion du territoire suédois. Estimant que la solution dépendait de l’interprétation du droit communautaire, la juridiction de renvoi a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait de savoir si une telle opération devait être qualifiée de livraison de biens ou de prestation de services, comment déterminer le lieu d’imposition lorsque l’opération s’étend sur plusieurs territoires, y compris en dehors de la Communauté, et si la partie de l’opération réalisée hors du territoire communautaire échappait à la TVA.

La Cour de justice a jugé qu’une telle opération complexe constituait une livraison de biens, dont la taxation relevait de chaque État membre au prorata de la longueur du câble installée sur son territoire, et que la partie de l’opération se déroulant dans la zone économique exclusive, sur le plateau continental et en haute mer n’était pas soumise à la TVA.

La Cour clarifie ainsi le traitement fiscal des opérations complexes en consacrant une interprétation économique qui favorise la qualification de livraison de biens (I), tout en définissant précisément les limites territoriales de la compétence fiscale des États membres pour de telles opérations transfrontalières (II).

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I. La qualification de l’opération complexe : une livraison de biens

La Cour, pour qualifier l’opération, écarte la qualification de prestation de services en raison de son caractère indissociable de la fourniture du bien (A), pour finalement consacrer une livraison de biens en se fondant sur une analyse des éléments prédominants de l’opération (B).

A. Le rejet de la qualification de prestation de services

La Cour examine d’abord si l’opération doit être considérée comme une prestation unique ou comme plusieurs prestations distinctes. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « lorsqu’une opération est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l’opération en question ». En l’espèce, le contrat vise la cession d’un câble posé et en état de fonctionnement. La Cour en déduit que les différents éléments, à savoir la fourniture du câble et sa pose, sont si étroitement liés qu’ils forment « une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel ».

Ensuite, la Cour analyse si la pose du câble constitue une prestation principale ou accessoire. Bien que la pose requière une technicité et un savoir-faire importants, la rendant indispensable à l’utilisation du bien, elle ne constitue pas une fin en soi pour le client. La prestation de services, aussi complexe soit-elle, n’a pas pour objet de modifier la nature du câble ou de l’adapter à des besoins spécifiques du client, mais simplement de le mettre en place. Elle n’est donc pas l’élément prédominant de l’opération globale, ce qui empêche de qualifier l’ensemble de prestation de services.

B. La consécration d’une livraison de biens malgré la complexité de l’installation

Pour retenir la qualification de livraison de biens, la Cour s’appuie sur la définition de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, qui vise « le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ». Elle constate que le contrat porte bien sur un objet corporel, le câble, qui, après installation et essais, sera transféré au client pour qu’il en dispose en tant que propriétaire. Le fait que l’installation soit complexe et nécessaire ne suffit pas à dénaturer l’opération.

La Cour prend en considération deux indices majeurs. D’une part, le coût du câble et du matériel représente une part « clairement prépondérante » du coût total de l’opération. Même si ce critère économique ne saurait être le seul déterminant, il constitue un indice objectif et significatif de la nature de la transaction. D’autre part, la Cour s’appuie sur l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la directive, qui prévoit explicitement le cas d’un bien faisant l’objet d’une installation ou d’un montage par le fournisseur, sans que cela ne remette en cause sa qualification de livraison de biens. Cette disposition confirme que l’incorporation d’un bien meuble au sol ne relève pas nécessairement de la catégorie des travaux immobiliers et peut demeurer dans le champ d’une livraison de biens.

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II. La détermination du lieu de taxation et de la compétence fiscale

Une fois la qualification de livraison de biens établie, la Cour se prononce sur le lieu d’imposition en instaurant une répartition de la compétence fiscale entre les États membres concernés (A), tout en excluant du champ d’application de la TVA les portions de l’opération situées en dehors du territoire communautaire (B).

A. L’application distributive de la compétence fiscale des États membres

La Cour interprète l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, qui dispose que le lieu d’une livraison d’un bien avec installation est l’endroit où celle-ci est effectuée. Face à une installation qui s’étend sur le territoire de deux États membres, la Cour écarte une solution qui attribuerait la compétence fiscale à un seul État. Elle considère que, dans une telle situation, le lieu de la livraison se situe successivement sur le territoire de chacun de ces États.

Par conséquent, la Cour établit une règle de répartition au prorata : « la compétence pour taxer l’opération doit être reconnue à chaque État membre pour la partie du câble installée sur son territoire ». Cette compétence fiscale partagée ne s’applique pas seulement au coût du câble lui-même, mais englobe l’ensemble de l’opération unique, y compris les services liés à la pose, tels que les essais de fonctionnement. La base d’imposition est ainsi répartie entre les États membres en proportion de la longueur du câble se trouvant sur leur territoire respectif, assurant une répartition rationnelle du pouvoir de taxer et évitant les conflits de compétence.

B. L’exclusion du territoire fiscal communautaire des zones maritimes internationales

Enfin, la Cour précise la portée territoriale de la TVA en ce qui concerne la partie du câble posée en dehors des territoires nationaux stricts. Elle rappelle que la TVA est due pour les opérations effectuées « à l’intérieur du pays », notion qui correspond au champ d’application du traité CE. Pour délimiter ce territoire, la Cour se réfère à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

La souveraineté d’un État côtier s’étend à sa mer territoriale, qui fait donc partie du territoire national soumis à la TVA. En revanche, sur la zone économique exclusive et le plateau continental, la souveraineté de l’État est seulement fonctionnelle et limitée à des droits d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles. La pose de câbles sous-marins n’entrant pas dans ces catégories, ces zones ne font pas partie du territoire fiscal d’un État membre. Il en va de même, a fortiori, pour la haute mer, qui est soustraite à toute souveraineté étatique. La Cour conclut donc que la livraison et la pose du câble ne sont pas soumises à la TVA pour la partie de l’opération qui se déroule dans la zone économique exclusive, sur le plateau continental et en haute mer.

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