Par un arrêt en date du 29 mars 2012, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’étendue du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée à l’importation. En l’espèce, une société avait importé des marchandises en provenance d’un pays tiers, mais l’administration douanière a requalifié l’origine de ces biens, entraînant l’application de droits de douane et de droits antidumping supplémentaires. Cette rectification a généré un montant de taxe sur la valeur ajoutée additionnel, que la société n’a pas acquitté. Placée ultérieurement en redressement judiciaire, la société a vu la créance de l’administration fiscale déclarée forclose par décision de justice définitive, rendant ainsi le paiement de la taxe impossible. La société a alors sollicité le remboursement de cette même taxe en tant que crédit de TVA déductible, ce qui lui a été refusé par l’administration au motif que la taxe n’avait pas été effectivement payée. Après que le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont rejeté ses recours, la société s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État. Celui-ci a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer si la sixième directive TVA permet à un État membre de subordonner le droit à déduction de la TVA à l’importation à son paiement effectif préalable, notamment lorsque la personne redevable de la taxe et celle qui bénéficie du droit à déduction sont une seule et même entité. La Cour répond clairement que le droit de l’Union s’oppose à une telle condition, jugeant que « l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive […] doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à un État membre de subordonner le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée à l’importation au paiement effectif préalable de ladite taxe ». La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation littérale et téléologique des textes fondant le système commun de TVA (I), tout en écartant fermement les risques de fraude comme justification d’une restriction à ce droit fondamental (II).
I. L’affirmation du droit à déduction de la TVA indépendamment de son paiement
La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture rigoureuse des dispositions de la sixième directive, tant sur le plan littéral que systémique (A), pour réaffirmer la primauté du principe de neutralité fiscale qui structure l’ensemble du mécanisme de la TVA (B).
A. Une interprétation littérale et systémique de la sixième directive
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la compatibilité d’une législation nationale exigeant le paiement effectif de la taxe pour ouvrir le droit à déduction. La Cour analyse l’article 17, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive, qui dispose que « l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable […] la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés à l’intérieur du pays ». Le libellé même de cette disposition, par l’emploi de la conjonction de coordination « ou », indique clairement que le droit à déduction naît dès que la taxe est due, sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait été préalablement acquittée. La Cour souligne que si le législateur de l’Union avait souhaité conditionner ce droit au paiement, il l’aurait formulé explicitement, par exemple en omettant le terme « due ». Cette interprétation est renforcée par l’analyse d’autres dispositions de la directive. En effet, l’article 18, qui précise les modalités d’exercice du droit à déduction, exige seulement la détention d’un document d’importation désignant l’assujetti comme destinataire et qui « mentionne ou permet de calculer » le montant de la taxe due, sans jamais mentionner une preuve de paiement.
Cette exégèse textuelle est indissociable de la logique fondamentale du régime de la TVA, qui repose sur le principe de neutralité.
B. La consécration du principe de neutralité fiscale
Le mécanisme de déduction de la TVA a pour objectif de soulager intégralement l’entrepreneur du poids de la taxe supportée dans le cadre de ses activités économiques. Comme le rappelle la Cour, « Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA ». Subordonner le droit à déduction au paiement préalable de la taxe à l’importation reviendrait à imposer à l’assujetti un préfinancement de la taxe, créant ainsi une charge de trésorerie qui contredit directement cet objectif de neutralité. L’assujetti supporterait, même temporairement, une charge économique qui ne lui incombe pas en définitive. C’est donc pour préserver l’effet immédiat et intégral du droit à déduction que la Cour refuse de valider la condition de paiement préalable imposée par la réglementation nationale.
Après avoir ainsi solidement ancré le droit à déduction dans les principes directeurs de la TVA, la Cour examine et réfute les arguments avancés pour justifier une restriction à ce droit.
II. Le rejet des justifications tirées du risque de fraude
Les États membres invoquent régulièrement la lutte contre la fraude fiscale pour justifier des dérogations aux règles du système commun. La Cour, tout en reconnaissant la légitimité de cet objectif, encadre strictement son application en le subordonnant au respect des principes fondamentaux de la TVA (A) et juge inopérant l’argument tenant à la spécificité des opérations d’importation (B).
A. La subordination de la lutte contre la fraude au respect des principes fondamentaux de la TVA
La Cour réitère sa jurisprudence constante selon laquelle la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels constitue un objectif reconnu et encouragé par la directive. Cependant, elle rappelle qu’une mesure générale qui conditionne l’exercice d’un droit fondamental du système de TVA, tel que le droit à déduction, ne saurait être justifiée par un risque de fraude général et présumé. Il appartient aux autorités nationales de mettre en œuvre des contrôles et, le cas échéant, de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, « au vu d’éléments objectifs du dossier, que ce droit est invoqué frauduleusement ». La charge de la preuve d’une fraude ou d’un abus repose sur l’administration, qui dispose par ailleurs du pouvoir de demander le remboursement rétroactif des sommes indûment déduites. Instaurer une condition de paiement préalable pour tous les assujettis reviendrait à sanctionner préventivement l’ensemble des opérateurs pour un risque hypothétique, ce qui est disproportionné.
Au-delà de ce principe général, la Cour s’attache à démontrer que le risque invoqué est particulièrement faible dans le contexte de l’affaire.
B. L’inefficacité de l’argument tenant à la nature de l’opération d’importation
Le gouvernement français et d’autres États membres mettaient en avant un risque de fraude accru dans les opérations d’importation. La Cour balaye cet argument en relevant qu’une importation « constitue un acte physique qui est attesté et vérifiable par l’administration compétente du fait de la présence dudit bien en douane ». La matérialité de l’opération et le contrôle douanier qui l’accompagne limitent en réalité les possibilités de fraude par rapport à des transactions purement internes. De plus, la Cour relève avec finesse que la circonstance où le redevable de la taxe et le titulaire du droit à déduction sont la même personne ne renforce pas le risque. Au contraire, cette situation est structurellement similaire au mécanisme de l’autoliquidation, une procédure que le législateur de l’Union a lui-même encouragée, notamment pour lutter contre la fraude dans certains secteurs. En refusant de voir un risque particulier dans cette configuration, la Cour confère une portée générale à sa solution, qui s’applique indépendamment des spécificités de la procédure nationale d’imposition à l’importation.