Cour de justice de l’Union européenne, le 29 mars 2012, n°C-417/10

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 29 mars 2012, un arrêt fondamental concernant l’articulation entre les amnisties fiscales nationales et le droit de l’Union. Ce litige opposait une administration fiscale à une société commerciale au sujet de l’imposition de dividendes distribués sur plusieurs exercices annuels.

Une société établie dans un État tiers a cédé l’usufruit d’actions d’une filiale nationale à une autre entité par l’intermédiaire d’une société intermédiaire également étrangère. L’administration fiscale a qualifié cette opération de fictive afin de réclamer le paiement de retenues à la source plus élevées, assorties de pénalités importantes. Le juge de première instance, puis la commission fiscale régionale en date du 14 juillet 2000, ont annulé les avis d’imposition contestés par la société. Saisie d’un pourvoi, la juridiction suprême nationale s’est interrogée sur la validité d’une loi nouvelle permettant de clore les procès anciens contre un paiement réduit. Elle a décidé de surseoir à statuer pour demander si le principe d’interdiction de l’abus de droit s’opposait à une telle amnistie en matière fiscale. La Cour devait déterminer si une disposition nationale prévoyant l’extinction d’un litige contre le versement de cinq pour cent de sa valeur respectait les libertés fondamentales. La solution apportée valide le dispositif national en précisant que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à une mesure visant à garantir un délai raisonnable. L’analyse de cette décision impose d’étudier d’abord l’exclusion des principes généraux du droit de l’Union avant d’apprécier la validité de la mesure au regard du marché intérieur.

**I. L’inapplicabilité des principes de l’Union aux litiges de fiscalité directe non harmonisée**

**A. L’écartement de la notion d’abus de droit**

La juridiction nationale s’interrogeait sur l’extension du principe de lutte contre les pratiques abusives aux impôts directs qui ne font pas l’objet d’une harmonisation européenne. La Cour de justice écarte l’application de sa jurisprudence antérieure en soulignant que le litige ne concerne pas l’exercice abusif d’une norme précise du droit de l’Union. Elle affirme qu’il « n’existe en droit de l’Union aucun principe général duquel découlerait une obligation pour les États membres de lutter contre les pratiques abusives » en fiscalité. Cette position protège l’autonomie des États membres dans la gestion de leurs prélèvements directs dès lors qu’aucune liberté fondamentale garantie par les traités n’est directement entravée. Les juges considèrent que les règles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée ne peuvent pas être transposées mécaniquement à des situations purement internes ou transnationales.

**B. La légitimité de l’objectif de célérité procédurale**

Le mécanisme contesté permettait de mettre fin à des procédures pendantes depuis plus de dix ans lorsque l’administration fiscale avait succombé devant les deux premiers degrés. La Cour relève que cette mesure exceptionnelle vise « à limiter la durée des procès en matière fiscale, eu égard au principe de durée raisonnable des procès » de la convention européenne. Cette finalité procédurale justifie une renonciation partielle à la créance fiscale sans que cela ne constitue une violation des obligations de loyauté envers l’Union européenne. L’arrêt souligne que la clôture des dossiers permet de remédier durablement aux manquements constatés par les juridictions internationales concernant la lenteur excessive de la justice nationale. Cette absence de violation des principes structurels permet alors d’examiner la validité de la disposition nationale sous l’angle plus spécifique des règles de concurrence européenne.

**II. La conformité du mécanisme d’amnistie fiscale aux exigences du marché unique**

**A. L’absence de caractère sélectif du traitement fiscal**

La qualification d’aide d’État suppose qu’une mesure procure un avantage sélectif à certaines entreprises placées dans une situation juridique et factuelle pourtant comparable aux autres contribuables. La Cour estime ici que la disposition est applicable de manière générale à tous les opérateurs dont le litige répond aux critères stricts de durée et de succès. Elle précise que « le fait que seuls les contribuables remplissant ces conditions peuvent bénéficier de cette mesure ne saurait, en soi, conférer à celle-ci un caractère sélectif ». Les bénéficiaires se trouvent dans une position singulière au regard de l’objectif de respect du délai raisonnable, ce qui justifie un traitement différencié par le législateur. La limitation temporelle de quatre-vingt-dix jours pour solliciter l’amnistie est jugée inhérente à la nature ponctuelle d’un dispositif qui ne fausse pas la concurrence.

**B. La préservation de l’application effective du droit de l’Union**

La juridiction suprême craignait que l’amnistie ne la prive de son pouvoir de contrôle sur l’interprétation du droit européen en éteignant l’instance avant toute décision au fond. La Cour répond qu’en l’absence de violation des libertés fondamentales, le mécanisme ne saurait être considéré comme contraire à l’obligation d’assurer l’application effective du droit de l’Union. Elle valide le fait qu’une règle de procédure puisse empêcher une juridiction de dernier ressort de statuer si les conditions de fond de l’amnistie sont réunies. Le droit de l’Union « ne s’oppose pas à l’application […] d’une disposition nationale qui prévoit la clôture des procédures pendantes devant la juridiction statuant en dernier ressort ». Cette décision confirme ainsi que la protection des droits fondamentaux liés à la procédure peut primer sur l’exigence de recouvrement intégral des impositions directes contestées.

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Hassan KOHEN
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