Cour de justice de l’Union européenne, le 29 novembre 2007, n°C-176/06

Par un arrêt rendu suite à son audience du 20 septembre 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de recevabilité du recours en annulation formé par des entreprises concurrentes contre une décision de la Commission européenne refusant de qualifier une mesure nationale d’aide d’État. En l’espèce, des entreprises de production et de distribution d’énergie avaient saisi la Commission d’une plainte. Elles contestaient un régime fiscal allemand qui permettait aux exploitants de centrales nucléaires de constituer des provisions en franchise d’impôt pour le démantèlement futur de leurs installations et la gestion des déchets radioactifs. Les plaignantes y voyaient une aide d’État incompatible avec le marché commun. La Commission, au terme de la phase préliminaire d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 3, du traité CE, avait conclu par une décision du 11 décembre 2001 que la mesure ne constituait pas une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité CE.

Saisi d’un recours en annulation par les entreprises plaignantes, le Tribunal de première instance des Communautés européennes avait, par un arrêt du 26 janvier 2006, rejeté leur demande comme non fondée. Le Tribunal avait considéré que le recours visait en réalité à « sauvegarder les droits procéduraux qu’elles tirent de l’article 88, paragraphe 2, CE », et avait en conséquence examiné si la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen en raison de l’existence de difficultés sérieuses. Un pourvoi fut alors formé devant la Cour de justice contre cet arrêt. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si le juge de première instance pouvait requalifier l’objet d’un recours contestant sur le fond une décision de la Commission en un recours visant à la protection des droits procéduraux. La Cour était également conduite à se prononcer sur les conditions de recevabilité d’une telle action lorsque celle-ci est introduite par des entreprises concurrentes. La Cour de justice annule l’arrêt du Tribunal, jugeant que celui-ci ne pouvait légalement modifier l’objet du litige qui lui était soumis. Évoquant l’affaire, elle rejette le recours initial comme irrecevable, au motif que les requérantes n’avaient pas établi que leur position sur le marché était substantiellement affectée par la mesure contestée.

I. La censure d’une requalification judiciaire opérée au mépris de l’objet du litige

La Cour de justice annule l’arrêt du Tribunal de première instance en raison d’une erreur de droit fondamentale. Elle juge que le Tribunal a excédé ses pouvoirs en modifiant la nature même de la demande qui lui était soumise (A), rappelant ainsi le principe selon lequel le litige est délimité par les prétentions des parties (B).

A. La dénaturation par le juge de première instance des conclusions des parties

Le Tribunal avait estimé que le recours, bien que visant formellement à l’annulation de la décision sur le fond, devait être interprété comme une action destinée à la sauvegarde des droits procéduraux des requérantes. Cette analyse a transformé une contestation de la qualification juridique de la mesure litigieuse en une contestation du choix de la procédure suivie par la Commission. Or, les requérantes soutenaient que la mesure fiscale constituait une aide d’État, et non pas uniquement que la Commission aurait dû nourrir des doutes justifiant l’ouverture de la procédure formelle d’examen.

La Cour de justice constate cette substitution de motifs et la sanctionne avec force. Elle énonce clairement que « Le Tribunal ne pouvait, dès lors, requalifier, ainsi qu’il l’a fait au point 51 de l’arrêt attaqué, l’objet même du recours qui lui était soumis et estimer, à tort, que les requérantes entendaient obtenir le respect des garanties procédurales dont elles auraient dû disposer. » En agissant de la sorte, le juge de première instance n’a pas seulement réinterprété les moyens soulevés ; il a modifié la cause et l’objet de la demande, ce qui constitue une violation des règles fondamentales de la procédure.

B. Le rappel du principe de la délimitation du litige par les parties

En annulant l’arrêt attaqué, la Cour de justice réaffirme un principe cardinal de la procédure contentieuse, selon lequel le juge ne peut statuer au-delà des demandes des parties, ou *ultra petita*. Les conclusions et moyens soulevés dans la requête introductive d’instance fixent les limites du débat judiciaire. Le rôle du juge est de répondre aux questions qui lui sont posées, et non de se substituer aux requérants pour formuler des griefs qu’ils n’ont pas avancés.

La décision commentée montre que cette règle s’applique avec rigueur dans le contentieux de l’Union européenne. En l’espèce, le Tribunal a non seulement répondu à une question qui ne lui était pas posée, mais il a également omis de statuer sur la question qui lui était effectivement soumise : la recevabilité d’un recours sur le fond. Cette erreur de droit justifiait pleinement l’annulation de sa décision, sans qu’il soit même nécessaire pour la Cour d’examiner les moyens du pourvoi. La Cour a ainsi privilégié la pureté du raisonnement juridique et le respect du cadre processuel défini par les justiciables eux-mêmes.

II. La stricte appréciation de l’affectation individuelle comme condition de recevabilité

Après avoir annulé l’arrêt du Tribunal, la Cour de justice, statuant définitivement sur le litige, rejette le recours initial comme irrecevable. Elle applique pour ce faire une distinction rigoureuse entre les différentes voies de recours offertes aux concurrents (A), ce qui la conduit à exiger la preuve d’une affectation substantielle de leur position sur le marché (B).

A. La dualité des voies de recours ouvertes aux entreprises concurrentes

La Cour rappelle la jurisprudence constante qui distingue deux situations pour un requérant qui n’est pas le destinataire d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État. D’une part, lorsque le recours vise à sauvegarder les droits procéduraux que le requérant tire de l’article 88, paragraphe 2, du traité CE, la qualité d’« intéressé », notamment d’entreprise concurrente, suffit à rendre le recours recevable. Cette voie permet de contester la décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen.

D’autre part, la Cour précise que « si le requérant met en cause le bien-fondé de la décision d’appréciation de l’aide en tant que telle, le simple fait qu’il puisse être considéré comme intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, ce ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours ». Dans ce second cas, le requérant doit démontrer qu’il est individuellement concerné au sens de la jurisprudence classique, c’est-à-dire que la décision l’affecte en raison de qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise. En l’espèce, le recours portait sur le bien-fondé, ce qui imposait aux requérantes de satisfaire à cette condition plus stricte.

B. L’exigence d’une affectation substantielle de la position sur le marché

Pour établir une affectation individuelle dans un recours sur le fond, une entreprise concurrente ne peut se contenter d’invoquer sa seule qualité de concurrent. La Cour, se fondant sur une jurisprudence établie, exige la démonstration que la position du requérant sur le marché est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision. C’est un critère factuel qui nécessite des éléments concrets et probants.

En l’occurrence, la Cour constate que les requérantes se sont limitées à affirmer qu’elles étaient des concurrentes directes des bénéficiaires du régime fiscal. Elle relève qu’« aucun élément pertinent n’a été fourni ni même avancé par les requérantes pour permettre de considérer que leur position serait substantiellement affectée par le régime d’aides qui fait l’objet de la décision litigieuse ». Faute d’une telle démonstration, les requérantes ne peuvent être considérées comme individuellement concernées. La Cour en déduit logiquement l’irrecevabilité de leur recours. Cette solution confirme une approche restrictive qui canalise le contentieux des tiers vers la protection de leurs droits procéduraux, limitant ainsi les contestations sur le fond aux seules entreprises dont la situation économique est gravement compromise par la mesure.

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Hassan KOHEN
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