L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, apporte une précision substantielle sur les conditions d’octroi de l’indemnité de dépaysement aux fonctionnaires de l’Union. En l’espèce, un fonctionnaire s’est vu refuser le bénéfice de cette indemnité au motif que les services qu’il avait accomplis avant son entrée en fonction ne relevaient pas, selon l’autorité investie du pouvoir de nomination, de la catégorie des « services effectués pour un autre État ». Le litige a été porté devant les juridictions de l’Union, le requérant soutenant une interprétation de cette notion plus large que celle retenue par l’administration. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si les services effectués pour une subdivision politique d’un État membre, ou pour une entité à capitaux publics, sans intégration formelle dans la représentation diplomatique de cet État, peuvent être considérés comme des « services effectués pour un autre État » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut des fonctionnaires. La Cour de justice y répond par la négative, en affirmant que « doit être considéré comme seul pertinent le fait que les services sont effectués au sein d’une représentation permanente d’un État ». Cette solution repose sur une conception stricte de l’engagement au service de l’État, dont il convient d’analyser la logique et la portée. Il s’agira donc d’étudier la clarification opérée par la Cour quant à la notion de services étatiques (I), avant d’examiner les conséquences de cette interprétation restrictive sur la situation des fonctionnaires (II).
I. La consécration d’une définition formelle des services accomplis pour un État
La Cour de justice fonde sa décision sur une approche unitaire de l’État en droit international (A), ce qui la conduit à établir le critère décisif de l’intégration fonctionnelle au sein de la représentation diplomatique (B).
A. Le postulat de l’unicité de l’État sur la scène internationale
La Cour rappelle un principe fondamental du droit international public selon lequel un État « doit être considéré […] comme un sujet de caractère unitaire ». Cette approche signifie que, nonobstant la complexité de son organisation interne, qu’elle soit fédérale ou régionale, l’État se présente comme une entité unique vis-à-vis des autres sujets de droit international. La représentation extérieure de l’État est par conséquent assurée par un « système de représentation diplomatique unique », qui incarne cette unité et agit en son nom.
En s’appuyant sur cette conception, le juge de l’Union écarte la pertinence des structures administratives internes d’un État membre pour définir ce que constitue un service rendu à cet État. Peu importe que l’agent ait travaillé pour une administration centrale ou pour celle d’une communauté autonome. Le seul élément pertinent est la manière dont cet agent s’insère dans la structure par laquelle l’État se manifeste à l’extérieur. La Cour établit ainsi une hiérarchie claire entre l’organisation interne, jugée inopérante, et la représentation externe, jugée déterminante.
B. L’intégration à la représentation permanente comme critère déterminant
Le raisonnement de la Cour aboutit logiquement à poser une condition d’ordre fonctionnel et formel. Pour que les services d’un fonctionnaire puissent être qualifiés de services pour un État, « son intégration fonctionnelle au sein de la représentation permanente de ce dernier constitue un élément déterminant ». Ce critère est présenté comme une condition sine qua non. La Cour précise que des agents effectuant des services pour une communauté autonome peuvent être considérés en situation de dépaysement, mais uniquement s’ils sont « intégrés formellement au sein de la représentation permanente dudit État ».
Cette exigence d’intégration formelle a le mérite de la clarté. Elle fournit à l’autorité administrative un critère objectif et facile à vérifier, évitant une analyse au cas par cas de la nature des fonctions exercées ou du degré de contrôle de l’État sur l’entité employeuse. La solution retenue est donc pragmatique : seuls les services accomplis dans le cadre de la mission diplomatique, qui est l’émanation directe et officielle de l’État à l’étranger, sont pris en compte.
II. La portée d’une interprétation stricte sur le droit à l’indemnité de dépaysement
Cette définition rigoureuse emporte des conséquences directes en excluant un certain nombre de situations professionnelles du champ d’application du statut (A), ce qui renforce la sécurité juridique tout en adoptant une approche potentiellement restrictive pour les agents (B).
A. L’exclusion des services pour les entités infra-étatiques et les sociétés à capitaux publics
La conséquence la plus directe de cette jurisprudence est d’exclure explicitement deux types de services. D’une part, « les services fournis pour les gouvernements des subdivisions politiques des États ne peuvent être considérés comme des services effectués pour un État si l’intéressé n’a pas été intégré formellement au sein de la représentation permanente de l’État ». Cette solution vise directement les agents des régions, des communautés autonomes ou des Länder qui, bien que travaillant pour des entités publiques, ne relèvent pas du cadre diplomatique formel.
D’autre part, la Cour étend ce raisonnement aux « services accomplis pour des sociétés à capitaux publics relevant de l’une des catégories de sociétés commerciales ». Une telle exclusion est logique au regard du critère retenu. Même si l’État est l’actionnaire majoritaire ou unique, une société commerciale conserve une personnalité juridique distincte et ne fait pas partie de la structure de représentation diplomatique. La Cour refuse ainsi de prendre en considération le contrôle économique pour l’assimiler à un service direct pour l’État.
B. Le renforcement de la sécurité juridique au détriment d’une approche matérielle
En définitive, la décision de la Cour privilégie la sécurité juridique et la simplicité administrative. Le critère de l’intégration formelle dans une représentation permanente est un critère binaire, qui ne laisse que peu de place à l’interprétation. Cette approche formaliste évite à l’administration de l’Union de devoir sonder la nature exacte des liens entre un agent et l’État pour lequel il a travaillé, ou d’apprécier la substance de ses missions.
Cependant, cette interprétation stricte peut être perçue comme restrictive pour des agents ayant objectivement consacré une partie de leur carrière au service d’un intérêt public étranger, bien que hors du cadre diplomatique. Elle instaure une distinction nette entre le service de l’État au sens formel et le service d’une entité publique au sens matériel. En choisissant de s’en tenir à la première définition, la Cour de justice établit une règle claire pour l’octroi de l’indemnité de dépaysement, mais qui pourrait écarter du bénéfice de celle-ci des fonctionnaires dont la situation de dépaysement, sur le fond, ne fait guère de doute.