Par un arrêt en date du 29 novembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime juridique applicable à la récupération d’aides publiques octroyées par un État avant son adhésion à l’Union, lorsque les conditions de ces aides ne sont plus remplies après cette adhésion.
En l’espèce, une entreprise du secteur de la sidérurgie avait bénéficié d’aides à la restructuration de la part des autorités publiques d’un État alors candidat à l’adhésion. Ces aides étaient autorisées par l’accord d’association liant cet État à la Communauté européenne, sous réserve notamment que l’entreprise bénéficiaire parvienne à la viabilité au terme de la période de restructuration. Après l’adhésion de cet État à l’Union européenne, l’entreprise a été déclarée en état d’insolvabilité, révélant ainsi l’échec du plan de restructuration. Les autorités nationales ont alors émis un avis de créance publique afin de récupérer les aides versées. L’entreprise a contesté cette décision devant les juridictions nationales, lesquelles ont saisi la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle.
La question posée à la Cour était de déterminer le fondement juridique et la procédure applicable pour la récupération de ces aides. Il s’agissait de savoir si cette récupération devait être menée sur la base des dispositions spécifiques de l’accord d’association, ou si elle relevait des règles générales du droit de l’Union en matière d’aides d’État applicables après l’adhésion. La Cour devait en particulier déterminer si les autorités nationales étaient compétentes pour ordonner la récupération sans une décision préalable de la Commission européenne constatant l’illégalité ou l’incompatibilité des aides.
La Cour de justice a jugé que la procédure de récupération de ces aides devait être fondée sur les dispositions spécifiques de l’accord d’association et de ses protocoles. Elle a précisé que, dans ce cadre, les autorités nationales compétentes peuvent adopter une décision de récupération sans qu’une décision préalable de la Commission européenne ne soit nécessaire.
Cette solution conduit à reconnaître la primauté d’un régime juridique spécial issu de l’accord d’association (I), ce qui emporte la consécration de la compétence opérationnelle des autorités nationales pour procéder à la récupération des aides (II).
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I. L’affirmation d’un régime juridique spécial issu de l’accord d’association
La Cour de justice établit une distinction claire entre le droit commun des aides d’État, applicable après l’adhésion, et le régime spécifique prévu par l’accord d’association. En écartant l’application du premier (A), elle consacre la prévalence des dispositions de pré-adhésion comme seul cadre juridique pertinent pour le litige (B).
A. L’exclusion du droit commun des aides d’État applicable post-adhésion
La Cour examine si les aides en cause pouvaient être qualifiées d’« aides existantes » ou d’« aides nouvelles » au sens du droit de l’Union, notamment de l’annexe V de l’acte d’adhésion et du règlement n° 659/1999. Une telle qualification aurait soumis leur sort au régime de contrôle et de récupération prévu par le droit de l’Union, impliquant un rôle central pour la Commission. Cependant, la Cour rejette cette analyse en se fondant sur le critère de l’applicabilité des mesures après l’adhésion. Elle interprète les termes « toujours applicables » et « encore applicables » de l’acte d’adhésion comme visant des mesures qui, après l’adhésion, « demeurent de nature à engendrer des dépenses par l’État membre concerné ou une augmentation de la responsabilité financière de celui-ci ou encore à diminuer les recettes budgétaires de cet État ».
En l’occurrence, les aides avaient été intégralement versées avant l’adhésion et leur montant était précisément déterminé. La Cour en déduit que leur mise à exécution « a été achevée avant l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union ». Par conséquent, elles n’entraînaient plus de nouvelles charges financières pour l’État membre après son entrée dans l’Union. La Cour conclut que « les aides publiques en cause au principal ne peuvent être considérées comme « applicables » après l’adhésion au sens de l’annexe V de l’acte d’adhésion ». Cette interprétation stricte a pour effet de sortir les aides litigieuses du champ d’application du mécanisme de contrôle post-adhésion, et donc de la compétence de la Commission au titre des articles 107 et 108 TFUE.
B. La prévalence des dispositions spécifiques du droit de pré-adhésion
Ayant écarté le droit commun, la Cour se tourne vers le cadre juridique dans lequel les aides ont été octroyées : l’accord d’association et ses protocoles, modifiés par la décision UE-BG n° 3/2006. Cette décision, adoptée peu avant l’adhésion, avait précisément pour objet de régler le cas de la restructuration du secteur sidérurgique en prolongeant les délais et en prévoyant un mécanisme de récupération. La Cour relève que cet acte instaurait une obligation claire pour l’État d’engager le recouvrement en cas de non-respect des conditions de l’aide. L’article 3, troisième alinéa, de cet acte dispose en effet que l’État « récupère auprès du bénéficiaire toute aide versée en violation de ces conditions ».
Ce mécanisme de récupération est donc contractuel et spécifique, intégré dans un régime dérogatoire au droit commun des aides, conçu sur mesure pour accompagner la restructuration économique d’un État candidat. En se fondant sur ce texte, la Cour confirme que la base juridique de l’action des autorités nationales ne se trouve pas dans le Traité, mais dans l’engagement que l’État avait lui-même souscrit dans le cadre de l’accord d’association. La violation des conditions de l’aide, notamment l’échec de la restructuration manifesté par la faillite, déclenche l’obligation de récupération prévue par ce régime spécial.
II. La consécration de la compétence opérationnelle des autorités nationales
Le choix du fondement juridique a des conséquences directes sur la répartition des compétences entre l’État membre et la Commission. La Cour reconnaît une compétence de récupération autonome aux autorités nationales (A), tout en clarifiant la portée du rôle de surveillance de la Commission dans ce cadre spécifique (B).
A. Une compétence de récupération autonome et non subordonnée
La principale conséquence de l’arrêt est de valider l’action unilatérale des autorités nationales. En fondant leur décision de récupération sur la décision UE-BG n° 3/2006, elles n’avaient pas à attendre une initiative ou une autorisation de la Commission. La Cour examine l’articulation des différents alinéas de l’article 3 de cette décision. Si le deuxième alinéa prévoit que « la Commission européenne décide si le programme de restructuration et les plans sont pleinement mis en œuvre », la Cour juge que cette compétence de constatation n’est pas un prérequis à l’action en récupération.
Elle affirme que « rien dans le texte de cet article 3 ne laisse entendre qu’une décision de la Commission adoptée en vertu dudit article 3, deuxième alinéa, constitue une condition préalable à la récupération prévue à ce même article, troisième alinéa ». Cette interprétation consacre une dissociation entre la surveillance politique et le pouvoir d’exécution. Les autorités nationales, constatant par elles-mêmes l’échec de la condition de viabilité de l’entreprise, sont non seulement autorisées mais tenues d’agir en vertu de l’engagement pris. La solution renforce l’effectivité du droit des aides d’État en permettant une réaction rapide au niveau national, sans dépendre des délais et procédures propres à une intervention de la Commission.
B. La portée clarifiée du rôle de la Commission européenne
L’arrêt ne prive pas la Commission de tout rôle, mais il le cantonne au cadre spécifique défini par l’accord d’association. La Commission partage une fonction de surveillance avec les autorités nationales, comme le prévoit l’article 3, premier alinéa, qui instaure une « surveillance conjointe ». Son pouvoir de décision, mentionné au deuxième alinéa, s’apparente à une évaluation finale de la mise en œuvre du plan de restructuration, mais il ne conditionne pas la mécanique de récupération. Le système est conçu pour que la constatation du non-respect des conditions, qu’elle émane de la Commission ou des autorités nationales, suffise à déclencher l’obligation de remboursement.
La Cour souligne ainsi que l’obligation de récupération pour l’État membre existe dès lors que, « dans le contexte du suivi de la mise en œuvre du plan de restructuration […], soit la Commission, soit les autorités bulgares constatent que les conditions applicables […] n’ont pas été satisfaites ». En précisant enfin qu’une décision adoptée dans ce cadre par la Commission « n’équivaut nullement à une décision adoptée conformément à l’article 14 du règlement n° 659/1999 », la Cour achève de sceller l’étanchéité entre ce régime spécial de pré-adhésion et le droit commun des aides d’État. La décision de la Commission dans ce contexte n’est pas une décision négative au sens du droit de l’Union, mais un acte de surveillance prévu par un accord international.