La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 29 octobre 2015, s’est prononcée sur la conformité d’une réglementation nationale restreignant l’usage de véhicules étrangers.
Un résident d’un État membre circulait sur le territoire national avec un véhicule immatriculé dans un autre État, prêté gratuitement par une société étrangère. Lors d’un contrôle routier, le conducteur n’a pu produire immédiatement le contrat d’usage, ce qui a entraîné l’immobilisation du véhicule et une amende administrative. Les autorités nationales ont confirmé cette sanction en soulignant l’impossibilité pour l’intéressé de justifier sur-le-champ de la légalité de l’utilisation du véhicule étranger.
Saisi du litige, le tribunal administratif et du travail de Szombathely a interrogé la Cour sur l’interprétation des articles 18 et 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La question posée consistait à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à l’obligation de prouver immédiatement la régularité d’un véhicule étranger sous peine d’une lourde amende. La Cour a répondu par l’affirmative en fondant son raisonnement sur la libre circulation des capitaux plutôt que sur le principe général de non-discrimination. L’analyse de cette décision suppose d’examiner la reconnaissance d’une restriction à la libre circulation des capitaux avant d’apprécier la condamnation d’une mesure nationale manifestement disproportionnée.
I. La consécration d’une restriction à la libre circulation des capitaux
A. L’inclusion du prêt transfrontalier dans le champ de l’article 63 TFUE
La Cour précise d’abord que le prêt à usage d’un véhicule entre citoyens résidant dans des États membres différents relève de la libre circulation des capitaux. Elle rappelle à cet égard que « le prêt à usage transfrontalier, à titre gratuit, d’un véhicule automobile constitue un mouvement de capitaux, au sens de l’article 63 TFUE ». Cette qualification juridique permet d’écarter l’application de l’article 18 TFUE, car les règles spécifiques du traité relatives aux capitaux prévoient déjà des dispositions de non-discrimination.
Le juge européen privilégie ainsi une approche matérielle de l’opération économique pour déterminer le cadre juridique applicable au litige porté devant la juridiction de renvoi. Cette étape initiale est indispensable pour confronter la réglementation de l’État membre aux libertés fondamentales garanties par les traités, ouvrant la voie à l’examen de l’entrave.
B. L’identification d’une entrave aux mouvements de capitaux
La juridiction européenne considère que les mesures nationales dissuadant les résidents de contracter des prêts dans d’autres États membres constituent des restrictions à la liberté de circulation. Elle relève que la réglementation en cause « équivaut, dans ses conséquences, au maintien de l’obligation d’immatriculation du véhicule » sur le territoire de l’État membre de résidence. Le dispositif impose en effet des contraintes administratives qui ne s’appliquent pas aux véhicules déjà immatriculés localement et mis à disposition des résidents.
L’entrave est caractérisée dès lors que le traitement réservé aux véhicules étrangers est plus rigoureux que celui appliqué aux véhicules nationaux dans des situations objectivement comparables. Cette discrimination indirecte pèse sur les citoyens souhaitant bénéficier de services ou de biens provenant d’un autre État membre, ce qui justifie un contrôle strict de proportionnalité.
II. La censure d’un dispositif de contrôle excessif
A. L’inadéquation de l’exigence d’une preuve immédiate
La Cour reconnaît que la lutte contre la fraude fiscale constitue un objectif légitime justifiant des contrôles, mais elle estime que la mesure dépasse le nécessaire. Elle souligne qu’il n’est pas démontré que l’objectif de lutte contre la fraude ne pourrait être atteint si les documents étaient produits après le contrôle routier. La règle imposant d’être « en mesure d’établir sur‑le‑champ » la régularité de l’usage sous peine de sanction immédiate est jugée excessive au regard des nécessités administratives.
Le juge européen rejette ainsi l’argumentation fondée sur l’efficacité des contrôles routiers pour justifier une entrave aussi contraignante à la libre circulation des capitaux transfrontaliers. La possibilité de régulariser la situation dans un bref délai après le contrôle est une alternative moins restrictive qui préserve les intérêts financiers de l’État.
B. Le caractère disproportionné de la sanction pécuniaire
La Cour critique sévèrement le montant de l’amende infligée, lequel correspond à celui applicable en cas de violation totale de l’obligation d’immatriculation du véhicule. Elle affirme qu’une « telle sanction est manifestement disproportionnée par rapport à l’infraction en cause », celle-ci étant nettement moins grave que l’omission pure et simple d’immatriculation. L’absence de possibilité d’exonération pour le conducteur renforce le caractère punitif excessif d’une réglementation qui ne tient pas compte de la bonne foi.
Cette sévérité administrative heurte le principe de proportionnalité, car elle sanctionne un manquement formel par une peine identique à une fraude substantielle sur les taxes de circulation. La décision finale de la Cour rappelle aux États membres que leurs prérogatives en matière de police routière doivent respecter l’équilibre des libertés européennes.