Le texte soumis à commentaire est un arrêt rendu par une juridiction de l’Union européenne, qui vient clore un litige en rejetant le pourvoi formé contre une décision de première instance. En l’espèce, une entreprise avait contesté avec succès, devant le Tribunal de l’Union, une décision prise à son encontre par une institution de l’Union lui infligeant une amende pour participation à une entente sur le marché des enveloppes. Le Tribunal avait annulé la décision litigieuse en ce qui concerne cette entreprise, jugeant que sa participation à l’infraction n’avait pas été suffisamment prouvée par l’institution. C’est dans ce contexte que l’institution a saisi la Cour de justice d’un pourvoi, reprochant au Tribunal plusieurs erreurs de droit dans l’appréciation des preuves et dans l’interprétation de la notion de participation à une infraction unique et continue. La question posée à la Cour était donc de déterminer si le Tribunal avait correctement appliqué les règles relatives à la charge de la preuve et s’il avait, sans commettre d’erreur de droit, écarté les éléments présentés par l’institution comme insuffisants pour établir la participation de l’entreprise à l’entente. La Cour de justice, par la décision commentée, rejette le pourvoi, confirmant ainsi l’annulation de l’amende. Elle juge que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en concluant que les preuves rapportées n’étaient pas suffisantes pour démontrer que l’entreprise connaissait ou aurait dû connaître les agissements des autres participants à l’entente.
La solution retenue par la Cour de justice consacre une application rigoureuse des principes directeurs de la preuve en droit de la concurrence (I), dont la portée, bien que significative pour la sécurité juridique, doit être appréciée au regard de la jurisprudence établie (II).
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I. La consécration d’une approche stricte de l’administration de la preuve
La décision de la Cour de justice confirme les exigences pesant sur l’institution de l’Union dans la démonstration d’une infraction au droit de la concurrence (A), réaffirmant ainsi le principe fondamental de la présomption d’innocence au bénéfice des entreprises (B).
A. Le sens de la solution : le refus d’une preuve par extrapolation
La Cour de justice valide le raisonnement du Tribunal qui avait refusé de déduire la participation de l’entreprise à l’ensemble de l’entente à partir de contacts sporadiques avec un seul autre participant. Elle rappelle que, pour établir une participation à une infraction unique et continue, l’institution doit prouver que l’entreprise « entendait contribuer par son propre comportement à la réalisation des objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir ». En l’absence de preuve directe d’une telle connaissance ou intention, le Tribunal était fondé à juger que les simples contacts bilatéraux ne suffisaient pas. Le rejet du pourvoi signifie que la Cour s’oppose à une conception trop extensive de la preuve, qui reviendrait à imputer la responsabilité d’une infraction globale sur la base d’indices trop ténus ou de simples extrapolations. Cette position est essentielle pour distinguer la participation active à une entente complexe de simples échanges d’informations bilatéraux qui, bien que potentiellement illicites, ne relèvent pas nécessairement de la même qualification.
B. La valeur de la solution : une réaffirmation de la présomption d’innocence
En exigeant de l’institution de l’Union qu’elle rapporte une preuve précise et concordante de la participation de chaque entreprise à une infraction, la Cour confère sa pleine portée au principe de la présomption d’innocence. Cette approche protège les entreprises contre le risque d’être tenues responsables d’une entente globale au seul motif qu’elles auraient eu des contacts limités avec l’un de ses membres. La valeur de cette solution est de garantir la sécurité juridique. Les opérateurs économiques doivent pouvoir savoir avec une certitude raisonnable quels comportements sont susceptibles d’être qualifiés de participation à une infraction. Admettre une preuve par inférence large, comme le souhaitait l’institution demanderesse, aurait créé une insécurité juridique considérable, en rendant la frontière entre des contacts commerciaux isolés et une participation à une entente dangereusement floue. La décision renforce donc l’obligation pour l’organe exécutif de l’Union de mener des enquêtes approfondies et de ne fonder ses décisions que sur des éléments de preuve solides, spécifiques à chaque entreprise mise en cause.
II. Une portée jurisprudentielle à la mesure des principes établis
L’arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence bien établie en matière de charge de la preuve (A), tout en offrant un rappel opportun dont les implications pratiques ne sont pas négligeables (B).
A. Une décision en conformité avec la jurisprudence antérieure
La solution retenue par la Cour n’est pas un revirement, mais plutôt une application fidèle de sa jurisprudence constante. Depuis de nombreuses années, la Cour exige que la preuve de la participation à une entente repose sur des éléments précis et concordants. Elle a toujours affirmé qu’il incombe à l’institution de l’Union qui allègue une infraction de la prouver. L’apport de la décision ne réside donc pas dans la création d’une règle nouvelle, mais dans le rappel que ces exigences s’appliquent avec la même rigueur, que la participation alléguée soit directe ou indirecte. L’arrêt constitue une confirmation que, même dans le cadre d’infractions complexes et secrètes par nature, les garanties procédurales et les principes fondamentaux du droit ne sauraient être assouplis. La portée de l’arrêt est donc moins d’innover que de consolider un acquis jurisprudentiel essentiel à l’équilibre entre l’efficacité de la politique de la concurrence et la protection des droits de la défense.
B. Les implications pratiques d’un rappel à l’orthodoxie juridique
Bien que s’inscrivant dans une ligne jurisprudentielle claire, cette décision d’espèce n’est pas dénuée de portée pratique. Elle adresse un signal clair à l’institution chargée de la concurrence sur la nécessité de ne pas se contenter d’une vision d’ensemble de l’infraction, mais de particulariser son argumentation pour chaque entreprise impliquée. Concrètement, cela signifie que les services d’enquête doivent redoubler d’efforts pour collecter des preuves individualisées, au lieu de s’appuyer sur la force probante d’un faisceau d’indices global qui ne concernerait directement que les principaux protagonistes de l’entente. Pour les entreprises, la décision renforce leur capacité à contester des accusations fondées sur des preuves indirectes ou des déductions. En définitive, si cet arrêt n’est pas un arrêt de principe au sens strict, il constitue un rappel à l’ordre dont la portée pédagogique et pratique contribue à garantir une application plus juste et plus rigoureuse du droit de la concurrence de l’Union.