La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 29 septembre 2011, précise l’étendue des droits des travailleurs turcs. Elle examine la régularité de l’emploi lorsque le motif initial du séjour disparaît durant la première année d’activité professionnelle. En l’espèce, un ressortissant turc disposait d’un permis de séjour aux Pays-Bas pour vivre avec sa compagne. Ce dernier a occupé un emploi salarié ininterrompu auprès du même employeur durant plus d’une année complète. La relation sentimentale ayant justifié son titre a pris fin avant l’achèvement de cette première année d’exercice salarié. Les autorités nationales ont ensuite retiré le titre de séjour avec un effet rétroactif à la date de la rupture. L’intéressé a contesté cette décision administrative devant les juridictions néerlandaises compétentes pour statuer sur son cas. La juridiction de renvoi demande si l’article 6 de la décision n° 1/80 interdit un tel retrait rétroactif. La Cour estime que cet article s’oppose au retrait du permis si le travailleur est de bonne foi.
I. La reconnaissance d’une situation d’emploi régulière malgré l’évolution du titre de séjour
A. L’autonomie de la condition d’emploi par rapport au motif initial du séjour
La Cour souligne que l’article 6 de la décision n° 1/80 ne soumet le droit au renouvellement à aucune condition de séjour préalable. Elle affirme qu’il « suffit qu’un travailleur turc ait occupé un emploi régulier depuis plus d’un an pour qu’il ait droit au renouvellement ». Le motif initial du permis de séjour importe peu pour l’acquisition ultérieure des droits professionnels au sein de l’État d’accueil. Cette interprétation jurisprudentielle favorise l’intégration progressive du travailleur turc sur le marché de l’emploi de l’État membre d’accueil.
B. L’exclusion de la rétroactivité administrative en l’absence de comportement frauduleux
Le juge européen distingue la situation du demandeur de celle des travailleurs ayant agi par des manœuvres frauduleuses. Il rappelle que l’emploi fondé sur une fraude ou une autorisation provisoire ne saurait créer des droits stables. Toutefois, l’intéressé « s’est conformé aux prescriptions légales et réglementaires de l’État membre d’accueil en matière d’entrée ainsi que d’emploi ». Le retrait rétroactif est impossible dès lors que la période d’un an d’activité salariée est effectivement accomplie.
II. La consécration du principe de sécurité juridique face aux prérogatives étatiques
A. La protection des droits acquis par l’exercice effectif d’une activité salariée
La solution repose sur le respect des droits acquis, principe général fondamental du droit de l’Union européenne. La Cour énonce que « ces droits ne dépendent plus de la persistance des circonstances qui leur avaient donné naissance ». L’acquisition du droit au travail stabilise la situation juridique du ressortissant turc indépendamment des aléas de sa vie privée. La sécurité juridique exige que le travailleur puisse prévoir les conséquences de son activité économique stable.
B. L’encadrement des compétences nationales au profit de l’effet utile du droit de l’association
Les États membres conservent la compétence pour réglementer l’entrée et le premier emploi des ressortissants turcs. Ils ne peuvent pas « modifier unilatéralement la portée du système d’intégration progressive » défini par les accords d’association. Une interprétation contraire « aurait pour résultat de vider de sa substance la décision nº 1/80 et de la priver de tout effet utile ». La primauté du droit de l’Union assure ici la pérennité de l’insertion professionnelle face aux décisions administratives nationales.