Par un arrêt en date du 29 septembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé les conditions d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des entités organisationnelles dépendant d’organismes de droit public. En l’espèce, une commune polonaise exerçait certaines de ses missions par l’intermédiaire de plusieurs entités budgétaires dépourvues de personnalité juridique. Un litige est né avec l’administration fiscale nationale sur la question de savoir si la commune elle-même devait être considérée comme l’unique assujetti pour les activités économiques exercées par ces entités, ou si chaque entité devait être regardée comme un assujetti distinct. La commune soutenait que seule elle remplissait le critère d’indépendance requis par la législation pour être qualifiée d’assujetti.
Saisie du litige, l’administration fiscale a estimé au contraire que les entités budgétaires, réalisant de manière objective des activités économiques, devaient être considérées comme des assujetties à part entière. Les juridictions administratives de première instance ont rejeté les recours formés par la commune. Portée devant la Cour suprême administrative de Pologne, l’affaire a conduit cette dernière, malgré sa propre analyse du droit national penchant en faveur de l’absence d’autonomie desdites entités, à interroger la Cour de justice sur l’interprétation du droit de l’Union. La question soumise à la Cour consistait donc à déterminer si des entités organisationnelles d’un organisme de droit public peuvent être qualifiées d’assujettis à la TVA lorsqu’elles n’exercent pas leur activité économique de façon indépendante, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE.
En réponse, la Cour affirme que de telles entités, ne remplissant pas le critère d’indépendance prévu par cette disposition, ne peuvent pas être qualifiées d’assujettis. L’analyse de cette décision impose d’examiner la hiérarchie des conditions d’assujettissement à la TVA (I), avant d’en mesurer les conséquences sur l’organisation des personnes publiques (II).
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I. La primauté du critère d’indépendance dans la définition de l’assujetti
La Cour de justice rappelle que la qualification d’assujetti constitue le préalable à toute analyse de l’application du régime de la TVA. Elle subordonne ainsi l’examen des règles spécifiques aux organismes de droit public au respect de la condition générale d’indépendance (A), dont elle précise les modalités d’appréciation (B).
A. La condition d’indépendance, prérequis à l’assujettissement
L’apport principal de l’arrêt réside dans la clarification de l’articulation entre l’article 9, paragraphe 1, et l’article 13 de la directive TVA. L’article 9 définit de manière générale l’assujetti comme « quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique ». L’article 13, quant à lui, prévoit que les organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques. La Cour établit une hiérarchie claire entre ces deux dispositions. Pour qu’un organisme de droit public puisse se voir appliquer le régime de l’article 13, il doit d’abord répondre à la définition générale de l’assujetti posée à l’article 9.
La Cour souligne que la notion d’assujetti doit recevoir une interprétation autonome et uniforme dans toute l’Union, indépendamment des qualifications en droit national. Le critère d’indépendance dans l’exercice de l’activité économique est donc une condition fondamentale et non une simple modalité. En l’espèce, l’argument selon lequel des entités publiques exerçant une activité économique pourraient être automatiquement assujetties, sauf à relever de l’exercice de l’autorité publique, est écarté. La Cour juge que l’absence d’indépendance fait obstacle, en amont, à l’acquisition même de la qualité d’assujetti.
B. L’appréciation concrète de l’absence de subordination
Pour évaluer l’indépendance, la Cour se fonde sur un faisceau d’indices permettant de déceler l’existence d’un lien de subordination. Elle reprend une jurisprudence établie et vérifie si l’entité « accomplit ses activités en son nom, pour son propre compte et sous sa propre responsabilité ainsi que si elle supporte le risque économique lié à l’exercice de ces activités ». Ce contrôle, appliqué à la situation des entités budgétaires polonaises, révèle une dépendance totale à l’égard de la commune de rattachement.
Il ressort en effet des faits que ces entités ne disposent pas d’un patrimoine propre, ne supportent pas le risque économique lié à leurs activités et n’assument pas la responsabilité des dommages qu’elles pourraient causer. Leurs dépenses sont directement couvertes par le budget de la commune et leurs recettes y sont reversées. Dans de telles conditions, le lien de subordination est manifestement établi. La conclusion de la Cour est sans équivoque : « une commune, telle que celle de Wrocław, et ses entités budgétaires doivent être considérées, dans une situation telle que celle en cause au principal, comme un seul et même assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA ». L’analyse fonctionnelle et économique prime ainsi sur la simple structure organisationnelle.
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II. La consécration d’une approche unifiée aux conséquences pratiques importantes
En réaffirmant la prééminence du critère de l’indépendance économique, la Cour de justice ne se contente pas de trancher un litige technique ; elle unifie le traitement des opérateurs économiques publics et privés (A) et impose aux États membres une révision de l’organisation de la collecte de la TVA pour leurs collectivités (B).
A. La valeur unificatrice de la solution au regard du droit de la TVA
La décision a pour valeur principale de garantir une application uniforme du droit de la TVA, conformément aux objectifs de la directive. En soumettant les organismes de droit public aux mêmes critères d’indépendance que les opérateurs privés pour la qualification d’assujetti, la Cour prévient les distorsions de concurrence qui pourraient naître de traitements différenciés fondés uniquement sur le statut juridique. Un État membre ne peut donc pas, par le biais de son organisation administrative interne, multiplier artificiellement le nombre d’assujettis à la TVA si les entités créées ne jouissent d’aucune autonomie réelle.
Cette approche renforce la sécurité juridique en fournissant un critère clair et objectif. L’indépendance n’est pas liée à la personnalité juridique formelle, mais à une autonomie de gestion et à la prise de risque économique. La solution adoptée est donc neutre et s’applique à toute forme d’organisation, qu’elle soit publique ou privée, garantissant que seuls les véritables opérateurs économiques soient soumis aux obligations déclaratives et de paiement de la TVA.
B. La portée du principe pour les collectivités publiques
La portée de cet arrêt est considérable pour l’ensemble des collectivités publiques de l’Union européenne. Il impose de considérer comme un assujetti unique une collectivité et ses services ou entités internes qui, bien qu’exerçant des activités économiques, fonctionnent sans autonomie financière et décisionnelle. Cette centralisation de la qualité d’assujetti au niveau de l’entité de tutelle a des conséquences directes sur les flux de TVA, notamment en permettant la déduction de la taxe payée en amont pour des activités qui, prises isolément au niveau d’une entité dépendante, n’ouvriraient pas droit à déduction.
Enfin, le refus de la Cour de limiter les effets de son arrêt dans le temps, malgré la demande du gouvernement polonais, souligne la force du principe énoncé. La Cour considère que cette interprétation aurait dû s’appliquer depuis l’entrée en vigueur de la directive. Cette absence de modulation temporelle confirme qu’il ne s’agit pas d’un revirement, mais de la confirmation d’un principe fondamental du système commun de TVA, obligeant les États membres à mettre leur pratique en conformité sans délai, y compris pour le passé, sous réserve des règles de prescription nationales.