Cour de justice de l’Union européenne, le 29 septembre 2015, n°C-276/14

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 29 septembre 2015, une décision fondamentale concernant l’identification des assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée. Une collectivité territoriale exerce ses compétences par l’entremise de nombreux organismes budgétaires dépourvus de personnalité juridique, agissant dans des domaines comme l’éducation ou la culture. L’administration fiscale considérait ces entités comme des assujettis distincts car elles réalisaient des opérations économiques imposables de façon objectivement autonome. La commune a contesté cette analyse devant les tribunaux, affirmant qu’elle demeurait l’unique redevable de la taxe pour l’ensemble de ses services. La juridiction suprême administrative a saisi le juge européen d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de la directive 2006/112. Il s’agissait de déterminer si des services internes dépourvus d’autonomie peuvent être qualifiés d’assujettis lorsqu’ils exercent des activités hors de l’autorité publique. La Cour juge que l’absence d’indépendance opérationnelle et financière interdit de reconnaître à ces entités la qualité d’assujetti à la taxe.

I. L’impératif d’indépendance comme condition de l’assujettissement

A. Une interprétation autonome de la notion d’assujetti

Le juge européen rappelle que les notions définissant le champ d’application de la taxe doivent recevoir une interprétation parfaitement autonome et uniforme. Cette exigence garantit l’égalité entre les opérateurs et l’application cohérente du droit de l’Union au sein de l’ensemble des États membres. L’article 9 de la directive définit l’assujetti comme « quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique ». Cette disposition s’applique aussi bien aux personnes physiques qu’aux personnes morales, qu’elles relèvent du droit public ou du droit privé. La condition d’indépendance constitue un critère organique préalable qui doit être impérativement rempli avant d’envisager le caractère économique de l’activité. Un organisme de droit public doit donc nécessairement agir de manière autonome pour être traité comme un assujetti distinct au sens fiscal.

B. L’absence de risque économique et de responsabilité propre

Pour évaluer l’indépendance d’une entité, il convient de vérifier si elle se trouve dans un lien de subordination vis-à-vis de son autorité de rattachement. Le juge vérifie si l’organisme « accomplit ses activités en son nom, pour son propre compte et sous sa propre responsabilité ». Le critère central demeure la charge du risque économique, laquelle implique que l’entité dispose d’une réelle autonomie décisionnelle et financière. En l’espèce, les services budgétaires agissent au nom et pour le compte de la collectivité territoriale qui assume seule la responsabilité des dommages. Ces structures ne supportent aucun risque financier puisque leurs recettes sont versées au budget général tandis que la commune couvre l’intégralité de leurs dépenses. Faute de supporter les aléas inhérents à toute activité économique, ces organismes ne satisfont pas à l’exigence d’indépendance posée par la réglementation.

II. L’unicité fiscale résultant de l’intégration institutionnelle

A. La reconnaissance d’un assujetti unique pour la collectivité

L’absence d’autonomie juridique et patrimoniale conduit à fusionner fiscalement la structure centrale et ses émanations opérationnelles au sein d’une entité globale unique. La Cour souligne que ces services « ne disposent pas de patrimoine propre, ne génèrent pas de recettes propres et ne supportent pas les coûts ». La collectivité territoriale et ses organismes budgétaires doivent ainsi être considérés comme « un seul et même assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1 ». Cette solution rejette la fragmentation de la personnalité fiscale au profit d’une vision réaliste de l’organisation administrative des pouvoirs locaux. Elle permet d’éviter la multiplication artificielle des formalités déclaratives pour des structures qui partagent une unité budgétaire et une responsabilité juridique commune.

B. Le maintien de la sécurité juridique par l’effet rétroactif

Le gouvernement national a sollicité une limitation des effets de l’arrêt dans le temps afin de prévenir des troubles financiers pour les finances publiques. La Cour rejette cette demande au motif que l’existence d’un risque de troubles graves n’a pas été valablement démontrée lors de la procédure. Elle rappelle que l’interprétation d’une règle européenne doit en principe s’appliquer aux rapports juridiques nés avant l’intervention de la décision de justice. Seule une bonne foi exceptionnelle des milieux intéressés pourrait justifier une dérogation à ce principe fondamental de sécurité juridique inhérent à l’ordre communautaire. La décision s’applique donc immédiatement à tous les litiges en cours, confirmant la primauté de l’unité de l’assujetti sur les pratiques administratives nationales divergentes. Cette solution assure la pérennité du système commun de taxe en harmonisant les conditions de l’assujettissement des organismes publics agissant hors autorité publique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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