Cour de justice de l’Union européenne, le 3 avril 2008, n°C-331/06

Par un arrêt du 3 avril 2008, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu une décision préjudicielle clarifiant l’étendue des droits à pension de vieillesse pour les travailleurs migrants ayant quitté le territoire de la Communauté. En l’espèce, un ressortissant d’un État membre avait travaillé et cotisé aux Pays-Bas, puis, pour une période inférieure à un an, au Danemark, avant de fixer sa résidence dans un État tiers. Au moment de liquider ses droits à la retraite, l’organisme néerlandais compétent a refusé de prendre en compte la période d’assurance danoise pour le calcul de sa pension, au motif que le demandeur ne résidait plus sur le territoire d’un État membre. Saisi du litige, le Rechtbank te Amsterdam a interrogé la Cour sur l’applicabilité des règles de totalisation des périodes d’assurance prévues par le droit communautaire à un travailleur résidant hors de la Communauté. La question de droit posée était donc de savoir si le règlement n° 1408/71 impose à l’institution d’un État membre de prendre en considération les périodes d’assurance accomplies dans un autre État membre pour un travailleur qui, au moment de sa demande, réside dans un pays tiers. La Cour y répond par l’affirmative en affirmant que le lieu de résidence du demandeur est sans incidence sur le calcul de ses droits, tout en précisant que les modalités de versement de la pension à l’étranger demeurent régies par le droit national.

Cette solution consacre une application extraterritoriale du principe de totalisation des périodes d’assurance (I), tout en opérant une dissociation pragmatique entre le calcul du droit à pension et les modalités de son paiement effectif (II).

I. La consécration d’une application extraterritoriale du principe de totalisation des périodes d’assurance

La Cour fonde sa décision sur une interprétation finaliste des règles de coordination des systèmes de sécurité sociale, visant à préserver les droits des travailleurs migrants. Elle réaffirme ainsi l’autonomie du mécanisme de totalisation par rapport à la situation géographique du demandeur (A), en s’appuyant sur l’objectif fondamental de la libre circulation des travailleurs (B).

A. L’autonomie du mécanisme de coordination face au lieu de résidence

La Cour rappelle que le règlement n° 1408/71 a pour objet d’assurer une coordination entre les régimes nationaux et non de créer un régime commun. Dans ce cadre, l’article 48 de ce règlement prévoit un mécanisme de totalisation pour les périodes d’assurance inférieures à un an, afin d’éviter qu’un travailleur ne perde le bénéfice de ses cotisations. La Cour constate que cette disposition ne lie aucunement son application au lieu de résidence du travailleur. Elle juge en effet que l’article 48 « ne conditionne du reste pas son application au lieu de résidence du travailleur au moment de sa demande de pension de vieillesse ». Cette interprétation littérale est renforcée par l’analyse d’autres dispositions, notamment l’article 36 du règlement d’application n° 574/72, qui envisage explicitement le cas d’un demandeur résidant dans un État non-membre. Le législateur communautaire a donc bien prévu que la liquidation des droits puisse être initiée depuis un pays tiers, ce qui conforte l’idée que le lieu de résidence ne doit pas être un obstacle au calcul des droits acquis.

B. Une interprétation finaliste au service de la libre circulation

Au-delà de l’analyse textuelle, la Cour justifie sa solution par la finalité même des dispositions en cause. Elle souligne que les règlements de coordination doivent être interprétés à la lumière de l’objectif de l’article 42 CE, qui est « d’assurer l’établissement d’une liberté aussi complète que possible de la circulation des travailleurs ». Refuser la totalisation des périodes d’assurance à un travailleur au seul motif qu’il a, au terme de sa carrière, déménagé hors de la Communauté reviendrait à le pénaliser pour avoir exercé sa mobilité. Une telle approche créerait une insécurité juridique et découragerait la circulation des travailleurs, qui ne pourraient être assurés de conserver l’intégralité de leurs droits à pension. La Cour estime ainsi qu’un travailleur migrant doit avoir « la certitude légale qu’il conservera les droits à pension résultant de ses cotisations à des régimes de pension tout comme un travailleur qui n’a pas exercé son droit à la libre circulation ». Le principe de totalisation est donc un corollaire essentiel de la libre circulation, dont l’effectivité ne saurait être subordonnée à une condition de résidence sur le territoire communautaire.

Si le droit à la totalisation est ainsi fermement établi indépendamment du lieu de résidence, la Cour prend soin de délimiter la portée de sa décision en opérant une distinction fondamentale entre l’acquisition du droit et son exécution pratique.

II. La dissociation entre le calcul du droit à pension et les modalités de son paiement

La Cour opère une distinction claire entre l’obligation de calculer la pension en tenant compte de toutes les périodes et l’obligation de verser effectivement cette pension dans un État tiers. Cette dissociation repose sur une lecture stricte du principe d’exportabilité des prestations (A), ce qui conduit à un renvoi pragmatique au droit national pour le versement effectif de la pension (B).

A. Une lecture stricte du principe d’exportabilité des prestations

L’organisme néerlandais soutenait qu’il serait illogique de l’obliger à totaliser des périodes danoises si l’organisme danois n’était pas lui-même tenu d’exporter une prestation vers un État tiers. La Cour répond à cet argument en se fondant sur l’article 10 du règlement n° 1408/71, qui consacre le principe de la levée des clauses de résidence. Elle en fait une lecture rigoureuse, soulignant que cette disposition garantit l’exportabilité des prestations en espèces sur le territoire d’un *autre État membre*. Par conséquent, cette obligation ne s’étend pas aux pays tiers. La Cour précise que « si l’article 10 du règlement n° 1408/71 institue un droit contraignant à obtenir le paiement d’une pension dans n’importe quel État membre, ni ledit règlement ni aucune disposition de droit communautaire n’obligent les États membres à servir des pensions dans des États tiers ». La solution est donc équilibrée : le droit communautaire garantit l’intégrité du calcul des droits acquis par le travailleur migrant, mais ne contraint pas les États membres au-delà des limites territoriales de la Communauté pour ce qui est du paiement.

B. Le renvoi pragmatique au droit national pour le versement effectif

La conséquence directe de cette distinction est que la question du paiement de la pension dans un État tiers n’est pas régie par le droit communautaire. La Cour conclut que « les modalités pratiques selon lesquelles s’effectue le paiement d’une telle pension de vieillesse demeurent soumises aux dispositions du droit national de l’État membre de l’institution débitrice de cette pension ». Ainsi, si le travailleur a un droit incontestable à ce que sa pension néerlandaise soit calculée en incluant ses neuf mois de cotisation au Danemark, son versement effectif sur son compte bancaire aux États-Unis dépendra uniquement de la législation néerlandaise. Cette solution respecte la souveraineté des États membres dans leurs relations avec les pays tiers et évite d’imposer des obligations extraterritoriales qui ne sont pas explicitement prévues par les traités ou le droit dérivé. Le droit communautaire assure la naissance et la consistance du droit à pension, mais laisse à l’ordre juridique national le soin d’en déterminer les modalités d’exécution hors du territoire de l’Union.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture