Cour de justice de l’Union européenne, le 3 avril 2008, n°C-444/06

Par une décision portant sur les procédures de recours en matière de passation des marchés publics, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les obligations de transposition d’une directive incombant à un État membre. En l’espèce, une institution communautaire a engagé un recours en manquement contre un État membre au motif que sa législation nationale n’assurait pas une protection juridique effective aux soumissionnaires évincés. Il était reproché à cet État de ne pas avoir prévu, dans son droit interne, de délai impératif pour la notification des décisions d’attribution des marchés, ni de période d’attente obligatoire entre cette notification et la conclusion effective du contrat. Les juges du fond ont ainsi été saisis de la question de savoir si l’absence de telles garanties procédurales dans la législation d’un État membre constituait une méconnaissance des exigences d’une directive européenne visant à assurer l’effectivité des recours. La Cour a jugé que le fait de n’imposer ni un délai de notification ni un délai de suspension constituait un manquement aux obligations découlant du droit communautaire, considérant que ces mécanismes sont indispensables à la garantie d’un recours utile.

La solution retenue par la Cour souligne l’importance des garanties procédurales pour assurer l’effectivité du droit à un recours en matière de commande publique. Cette décision consacre ainsi un droit au recours effectif (I) dont la portée normative sur les législations nationales se trouve renforcée (II).

I. La consécration d’un droit au recours effectif en matière de marchés publics

La Cour établit que l’exercice concret du droit au recours par un soumissionnaire évincé dépend de deux garanties procédurales séquentielles. Elle impose en premier lieu une exigence de notification systématique des décisions d’attribution (A), puis l’instauration d’un délai d’attente comme corollaire indispensable (B).

A. L’exigence d’une notification systématique des décisions d’attribution

La décision met en lumière une première obligation fondamentale à la charge des pouvoirs adjudicateurs. La Cour sanctionne en effet la législation nationale « en ne prévoyant pas de délai obligatoire pour la notification, par le pouvoir adjudicateur, de la décision d’attribution d’un marché à tous les soumissionnaires ». Cette approche affirme que l’information des candidats malheureux ne saurait être une simple faculté laissée à la discrétion de l’administration. Sans une notification formelle et rapide de la décision et de ses motifs, le soumissionnaire évincé se trouve dans l’incapacité matérielle d’apprécier l’opportunité d’introduire un recours. L’absence de communication officielle le prive du point de départ nécessaire à l’exercice de ses droits. En érigeant la notification en prérequis, la Cour la considère non comme une simple formalité, mais comme la condition première de l’accès au juge.

B. L’instauration d’un délai d’attente comme garantie procédurale

La Cour ne se contente pas d’imposer une simple information des soumissionnaires. Elle juge que l’État membre a manqué à ses obligations « en ne prévoyant pas de délai d’attente obligatoire entre l’attribution d’un marché et la conclusion du contrat ». Ce délai de suspension, également connu sous le nom de délai de « standstill », est la garantie que le droit au recours ne sera pas vidé de sa substance. Il offre au soumissionnaire évincé une fenêtre d’action durant laquelle la signature du contrat est gelée, lui permettant de saisir le juge des référés en vue d’obtenir, le cas échéant, la suspension de la procédure. Sans cette période, le contrat pourrait être signé immédiatement après la décision d’attribution, rendant tout recours précontractuel inopérant et ne laissant au requérant que la possibilité d’une action indemnitaire, solution souvent jugée moins satisfaisante.

II. La portée normative de la décision sur les législations nationales

Au-delà de son apport sur le plan des principes, l’arrêt précise le contenu des obligations pesant sur les États membres. Il procède à une interprétation téléologique de la directive sur les recours (A), ce qui conduit au renforcement des obligations de transposition à la charge des États (B).

A. Une interprétation téléologique de la directive recours

La Cour adopte une lecture finaliste de la directive 89/665/CEE. Plutôt que de s’en tenir à la lettre du texte, qui énonce un principe général de recours effectif, elle en déduit des obligations procédurales concrètes et non équivoques. En jugeant que l’absence de délais de notification et de suspension constitue en soi un manquement, elle définit le contenu même de la notion de « recours effectif ». L’efficacité d’une voie de droit ne se mesure pas seulement à son existence théorique, mais à la présence des outils procéduraux qui la rendent praticable. Cette interprétation pragmatique assure une application uniforme et concrète des garanties juridictionnelles au sein de l’Union, prévenant ainsi des transpositions purement formelles qui priveraient la directive de son effet utile.

B. Le renforcement des obligations de transposition à la charge des États membres

Cette décision a une portée significative pour l’ensemble des ordres juridiques nationaux. Elle illustre avec clarté que l’obligation de transposition d’une directive ne se limite pas à une simple reprise de ses termes généraux. Les États membres sont tenus d’intégrer dans leur droit interne les mécanismes spécifiques indispensables à la réalisation des objectifs fixés par le texte européen. La censure de la législation nationale dans cette affaire constitue un avertissement : une omission, même partielle, dans l’agencement des procédures, peut suffire à caractériser un manquement. Les législateurs nationaux sont ainsi contraints de mettre en place des cadres procéduraux détaillés et contraignants pour les pouvoirs adjudicateurs, sous peine de voir leur réglementation invalidée pour non-conformité.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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