Cour de justice de l’Union européenne, le 3 avril 2014, n°C-43/13

Par un arrêt en date du 7 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par le Bundesfinanzhof, a apporté une clarification essentielle sur les modalités de taxation des produits énergétiques qui ne sont pas spécifiquement énumérés par la directive 2003/96/CE. En l’espèce, deux sociétés établies en Allemagne utilisaient, dans le cadre de leurs processus de production industrielle, des produits chimiques spécifiques comme combustibles afin de générer des températures élevées. L’une employait du toluène pour la fabrication de colorant, tandis que l’autre recourait à du white spirit et à un fioul léger pour des procédés thermiques. Les autorités fiscales nationales avaient imposé à ces produits le taux de taxation le plus élevé, celui applicable à l’essence, en se fondant sur une analogie de propriétés.

Les sociétés contribuables ont contesté cette taxation, soutenant que l’usage de ces produits comme combustibles justifiait l’application d’un taux d’imposition réduit, prévu pour d’autres produits énergétiques destinés à cet usage. Saisi en première instance, le Finanzgericht leur a donné raison, en interprétant la loi nationale à la lumière de la directive européenne. Les administrations fiscales ont alors formé un pourvoi devant le Bundesfinanzhof. Cette juridiction, confrontée à l’interprétation de l’article 2, paragraphe 3, de la directive, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si, pour la taxation d’un produit énergétique non listé mais utilisé comme combustible, la réglementation nationale devait appliquer le taux prévu pour un combustible, ou si elle pouvait se fonder sur l’équivalence avec un autre produit énergétique, indépendamment de l’usage et du taux uniforme qui en découle.

À cette question, la Cour de justice a répondu que la taxation devait s’opérer en deux temps. Il convient en premier lieu de déterminer si le produit est utilisé comme combustible ou comme carburant. Ce n’est qu’en second lieu qu’il faut identifier le produit équivalent, au sein de la catégorie d’usage ainsi déterminée, afin d’appliquer le taux de taxation correspondant.

I. La consécration d’une méthode de taxation fondée sur l’usage

La Cour de justice établit une hiérarchie claire des critères d’imposition en privilégiant l’usage effectif du produit énergétique. Cette solution repose sur une interprétation systémique et téléologique de la directive (A), qui conduit à définir une méthode rigoureuse de taxation par analogie (B).

A. Une interprétation systémique et téléologique de la directive

Pour déterminer le régime applicable, la Cour ne s’est pas limitée à une analyse littérale de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2003/96. Elle a mobilisé l’ensemble des outils d’interprétation pour dégager l’esprit du texte. Elle constate ainsi que « la systématique de la directive 2003/96 repose sur une distinction nette entre les carburants et les combustibles ». Cette distinction structurelle, visible dans les considérants comme dans les articles fixant les niveaux de taxation, constitue la clé de voûte du régime. Le critère de l’utilisation n’est donc pas un simple paramètre, mais le pivot de la qualification fiscale.

En outre, la Cour rappelle les finalités du texte, qui sont d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et d’éviter les distorsions de concurrence. Une interprétation qui ferait prévaloir l’équivalence des substances sur leur usage réel irait à l’encontre de ces objectifs. En effet, elle permettrait aux États membres de taxer différemment des produits remplissant une même fonction économique, créant ainsi des avantages ou des désavantages concurrentiels injustifiés. En soumettant des produits utilisés comme combustibles industriels au même régime que les carburants, une telle approche fausserait la compétition entre les opérateurs économiques. La primauté de l’usage garantit donc une application uniforme de la fiscalité énergétique.

B. La définition d’une méthode de taxation par analogie en deux temps

L’apport principal de cet arrêt réside dans la méthode claire qu’il impose aux autorités nationales pour les produits non listés. La Cour énonce un raisonnement séquentiel et obligatoire. La première étape consiste à qualifier l’usage du produit. La question est simple : sert-il de combustible, pour produire de la chaleur, ou de carburant, pour mouvoir un moteur ? Cette qualification factuelle est un préalable incontournable. Elle détermine la catégorie fiscale pertinente et, par conséquent, le tableau de référence pour la taxation.

La seconde étape, subordonnée à la première, est la recherche de l’équivalence. Une fois la catégorie d’usage établie, il faut identifier le « combustible ou le carburant équivalent » au sens de la directive. La Cour précise que cette équivalence s’apprécie d’abord sous l’angle de la substituabilité. Autrement dit, il convient de rechercher si un produit listé aurait pu être utilisé pour atteindre le même résultat. À défaut d’un tel substitut direct, l’équivalence se détermine par la proximité des propriétés et de la destination. Cette démarche garantit que deux produits remplissant la même fonction soient soumis à un niveau de taxation similaire, respectant ainsi la logique de la directive.

II. La portée de la solution pour l’harmonisation fiscale et la sécurité juridique

En clarifiant la méthode d’imposition, la Cour de justice renforce la distinction cardinale entre combustibles et carburants (A) et limite le pouvoir d’appréciation des États membres, au bénéfice de la prévisibilité du droit (B).

A. Le renforcement de la distinction entre combustibles et carburants

La décision a pour effet de consolider la logique économique qui sous-tend la directive 2003/96. La taxation des produits énergétiques n’est pas seulement basée sur leur nature chimique, mais aussi et surtout sur leur fonction dans l’économie. Les carburants, principalement utilisés pour le transport, et les combustibles, employés dans l’industrie ou pour le chauffage, ont des impacts et des externalités différents qui justifient des niveaux de taxation distincts. En faisant de l’usage le critère premier, la Cour empêche qu’un produit industriel soit fiscalement assimilé à un produit de consommation courante comme l’essence, dont la taxation intègre d’autres impératifs politiques.

Cette solution protège les entreprises contre une application extensive et purement formelle des taux d’imposition les plus élevés. Elle assure que le fardeau fiscal soit proportionné à l’utilisation économique réelle du produit énergétique. Ainsi, la Cour veille à ce que la fiscalité ne devienne pas un obstacle disproportionné à l’activité industrielle, en garantissant que les intrants énergétiques soient taxés selon une logique cohérente avec leur rôle dans le processus de production, et non selon une analogie chimique potentiellement trompeuse.

B. La limitation du pouvoir d’appréciation des États membres

En imposant une méthode d’analyse en deux étapes, la Cour de justice encadre de manière stricte la marge de manœuvre des autorités fiscales nationales. Elles ne peuvent plus choisir le produit de référence le plus avantageux pour le budget de l’État en se fondant sur une simple équivalence de composition. Le cheminement interprétatif est désormais balisé, ce qui contribue directement au renforcement de la sécurité juridique pour les opérateurs économiques au sein de l’Union.

La portée de cet arrêt dépasse les cas d’espèce. Il fournit une grille de lecture applicable à tous les produits énergétiques non expressément visés par la directive. Il favorise ainsi une harmonisation de fait des pratiques fiscales nationales, réduisant les risques de contentieux et de divergences d’interprétation d’un État membre à l’autre. En définitive, cette décision illustre le rôle de la Cour comme gardienne non seulement de la lettre, mais aussi de l’effet utile du droit de l’Union, en veillant à ce que les règles communes aboutissent à un traitement fiscal cohérent et prévisible sur l’ensemble du marché intérieur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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