En matière de coopération judiciaire pénale, l’articulation entre l’efficacité de la remise d’une personne recherchée et le respect de ses droits fondamentaux constitue un équilibre délicat. Par un arrêt du 3 avril 2025, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, est venue préciser les contours du principe de légalité des délits et des peines, garanti par l’article 49, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel initiée par la Cour suprême d’Irlande, qui devait statuer sur l’exécution de mandats d’arrêt émis par les autorités judiciaires du Royaume-Uni.
En l’espèce, une personne était visée par plusieurs mandats d’arrêt pour des infractions de nature terroriste commises en 2020. Postérieurement à la date de commission de ces faits, la législation du Royaume-Uni applicable en matière de libération conditionnelle a été modifiée de manière plus rigoureuse. Alors que le régime antérieur prévoyait une libération conditionnelle automatique après l’exécution de la moitié de la peine, le nouveau régime, applicable rétroactivement, imposait l’exécution des deux tiers de la peine avant de rendre le condamné éligible à une libération conditionnelle, laquelle n’était plus automatique mais soumise à l’appréciation de sa dangerosité par une autorité spécialisée.
Saisie de la demande de remise, la High Court irlandaise y a fait droit. La personne recherchée a alors formé un pourvoi devant la Cour suprême, soutenant que sa remise violerait le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Elle arguait que l’application du nouveau régime de libération conditionnelle revenait à lui infliger une peine plus forte que celle applicable au moment des faits. Face à cette argumentation, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si un tel durcissement des conditions de libération conditionnelle devait être qualifié d’imposition d’une « peine plus forte » au sens de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte. La Cour de justice a répondu par la négative, considérant que cette modification législative ne relevait pas de la définition de la peine, mais de ses modalités d’exécution.
La solution retenue par la Cour de justice s’articule autour d’une distinction conceptuelle classique, dont elle précise l’application (I), tout en définissant les limites au-delà desquelles une modification des règles d’exécution pourrait affecter la substance même de la peine (II).
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I. La confirmation de la distinction entre peine et modalités d’exécution
La Cour de justice fonde son raisonnement sur la distinction établie de longue date entre le quantum et la nature de la peine prononcée, d’une part, et les règles gouvernant son exécution, d’autre part. Elle considère ainsi que les règles relatives à la libération conditionnelle se rattachent à l’exécution de la peine (A) et que, par conséquent, leur modification ne constitue pas, en principe, une nouvelle peine, même lorsqu’elle supprime un mécanisme de libération automatique (B).
A. Le rattachement des règles de libération conditionnelle à l’exécution de la peine
La Cour rappelle, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il est nécessaire de « distinguer une mesure constituant en substance une “peine” et une mesure relative à l’“exécution” ou à l’“application” de la peine ». Cette distinction est fondamentale pour l’application du principe de légalité. Seules les mesures qui constituent une « peine » au sens matériel du terme sont soumises à l’interdiction de l’application rétroactive lorsqu’elles sont plus sévères. Les mesures qui ne concernent que l’aménagement de l’exécution de la sanction, même si elles ont pour effet de durcir les conditions de détention, échappent à ce principe.
Dans son analyse, la Cour de justice confirme que les mécanismes de libération conditionnelle, qui visent à aménager la fin de la période de privation de liberté, relèvent de cette seconde catégorie. Une modification de ces règles, telle que l’allongement de la période de sûreté ou la transformation d’une libération de droit en une libération facultative, concerne la manière dont la peine est purgée et non la peine elle-même. La peine demeure celle qui a été fixée par la juridiction de jugement, dans les limites prévues par la loi au moment de l’infraction. L’arrêt souligne que la durée maximale de la peine encourue pour les infractions en cause n’avait, en l’occurrence, pas été modifiée, ce qui conforte l’idée que la sanction dans son essence est restée identique.
B. L’application du principe au passage d’un régime de libération automatique à un régime discrétionnaire
Le point le plus saillant de l’affaire résidait dans le fait que la réforme législative britannique ne se contentait pas d’allonger une période de sûreté, mais mettait fin à un droit acquis à la libération conditionnelle. L’automaticité de la libération après la moitié de la peine était une composante prévisible de la sanction pour toute personne condamnée sous l’empire de l’ancienne loi. La Cour de justice estime cependant que même une modification d’une telle nature ne suffit pas à faire basculer la mesure du côté de la « peine ».
Le passage d’un système automatique à un système discrétionnaire, fondé sur une évaluation de la dangerosité, est présenté comme un changement de paradigme dans la politique pénitentiaire, mais pas comme une aggravation de la peine. La Cour note que l’appréciation de la dangerosité au moment de la demande de libération est « d’une nature différente de celle qui a été portée initialement lors du prononcé de la condamnation et se rattache, par là même, à l’exécution de la peine ». En d’autres termes, l’évaluation de l’opportunité d’une libération anticipée est une mesure de gestion de la peine, distincte de la sanction initiale qui punit la culpabilité. La certitude de la date de libération est ainsi déclassée au rang de simple modalité d’exécution, susceptible d’être modifiée par le législateur sans contrevenir à l’article 49 de la Charte.
Si la Cour de justice valide clairement le nouveau régime britannique, elle prend soin de ne pas donner un blanc-seing à toute modification rétroactive des conditions d’exécution des peines. Elle énonce des garde-fous qui dessinent la portée et les limites de sa solution.
II. La portée de la solution au regard de la protection des droits fondamentaux
L’arrêt ne se limite pas à une application mécanique de la distinction entre peine et exécution ; il en précise les frontières en définissant un seuil de protection (A). Cette clarification a des implications directes sur la coopération judiciaire, notamment dans le cadre des relations avec le Royaume-Uni, tout en laissant subsister des zones d’incertitude (B).
A. La définition des seuils de requalification en « peine plus forte »
La Cour de justice pose deux conditions cumulatives pour qu’une mesure relative à l’exécution de la peine reste conforme à l’article 49, paragraphe 1, de la Charte. Une telle mesure ne doit ni « abroge[r] en sa substance la possibilité d’une libération conditionnelle », ni se placer « dans un ensemble de mesures conduisant à aggraver la nature intrinsèque de la peine initialement encourue ». Ces deux critères constituent le véritable cœur de la protection offerte par la Charte contre les abus législatifs en matière d’exécution des peines.
En l’espèce, la Cour estime que ces seuils ne sont pas franchis. Premièrement, la possibilité d’une libération conditionnelle n’est pas supprimée en substance, puisqu’elle demeure accessible après les deux tiers de la peine et devient même automatique un an avant la fin de la peine. La perte de l’automaticité à mi-peine est certes un durcissement, mais ne rend pas la libération illusoire ou inatteignable. Deuxièmement, la nature de la peine n’est pas aggravée. Une peine d’emprisonnement à durée déterminée ne se transforme pas, par exemple, en une peine de perpétuité incompressible. La Cour semble indiquer que la requalification en « peine plus forte » serait réservée aux cas où la modification législative est si drastique qu’elle change la nature même de la sanction initialement prononcée.
B. Les implications pour la coopération judiciaire
En validant la conformité du nouveau régime britannique avec l’article 49 de la Charte, la Cour de justice facilite l’exécution des mandats d’arrêt émis par le Royaume-Uni dans le cadre de l’Accord de commerce et de coopération. Elle envoie un signal clair aux autorités judiciaires des États membres : une modification des règles de libération conditionnelle, même appliquée rétroactivement et de manière défavorable au condamné, ne constitue pas, en soi, un motif de refus de remise fondé sur un risque de violation des droits fondamentaux.
Cette solution pragmatique renforce l’efficacité de la coopération judiciaire post-Brexit. Cependant, elle pourrait être perçue comme un affaiblissement de la prévisibilité de la sanction pour la personne condamnée. La prévisibilité ne porterait plus que sur la durée maximale de la peine, et non sur les conditions concrètes de son exécution, qui peuvent pourtant avoir un impact considérable sur la durée effective de la détention. En conférant au législateur national une marge de manœuvre importante pour durcir rétroactivement les conditions d’exécution des peines, la Cour fait prévaloir une conception stricte de la notion de « peine » sur une approche plus matérielle qui tiendrait compte de l’impact réel de la sanction sur la liberté de l’individu. La protection contre la rétroactivité de la loi pénale plus sévère se trouve ainsi cantonnée à la définition légale de l’infraction et au maximum de la peine encourue.