La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 3 avril 2025, une décision relative à l’interprétation de la libre circulation des travailleurs. Elle examine la compatibilité d’une réglementation nationale imposant l’accomplissement d’une partie de la formation d’avocat stagiaire auprès d’un confrère établi sur le territoire national.
Une juriste a exercé son activité professionnelle au sein d’un cabinet situé dans un autre État membre, sous la direction d’un avocat inscrit au barreau national. Elle a sollicité son inscription au tableau des avocats stagiaires afin de faire valider cette période de pratique professionnelle nécessaire à l’accès au titre d’avocat.
L’ordre professionnel national a rejeté cette demande au motif que le stage n’était pas effectué auprès d’un avocat effectivement établi dans l’État membre d’origine. La juridiction suprême nationale, saisie de ce litige, a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour sur la validité de cette exigence territoriale.
Le problème juridique porte sur la possibilité pour un État membre d’imposer un lieu d’établissement spécifique pour l’acquisition de l’expérience pratique nécessaire à l’accès professionnel. La juridiction interroge la conformité de cette restriction avec l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux travailleurs salariés.
La Cour répond que le droit de l’Union s’oppose à une telle exclusion automatique dès lors que l’expérience acquise à l’étranger présente un caractère équivalent. Cette solution repose sur une analyse préalable de l’entrave à la libre circulation avant d’aborder l’examen nécessaire du respect du principe de proportionnalité.
I. La caractérisation d’une restriction à la libre circulation des travailleurs
A. L’applicabilité de l’article 45 TFUE au stage professionnel rémunéré
La Cour commence par affirmer que l’activité de stagiaire rémunéré entre pleinement dans le champ d’application des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs. Elle précise que les juristes concernés exercent leur activité « en tant que salariés percevant une rémunération », ce qui suffit à fonder la protection européenne. Cette qualification est essentielle car elle permet de soumettre les règles de formation professionnelle au contrôle rigoureux du droit primaire de l’Union européenne. L’absence d’harmonisation des conditions d’accès à la profession d’avocat ne dispense pas les États membres de respecter les libertés fondamentales garanties par les traités.
B. L’existence d’une entrave à la mobilité des futurs avocats
L’exigence d’un établissement territorial pour le maître de stage constitue une mesure susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de la mobilité. La Cour souligne que de telles dispositions « empêchent ou dissuadent un travailleur ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine » pour exercer son droit fondamental. Cette restriction est constatée même si la réglementation autorise par ailleurs l’accomplissement d’une période de stage plus courte à l’étranger auprès d’autres structures juridiques. L’obligation d’effectuer la part principale de la formation sur le territoire national limite indéniablement les opportunités professionnelles des futurs avocats au sein du marché unique.
II. Le caractère disproportionné de l’exigence territoriale de formation
A. La légitimité des objectifs de protection de la justice
La juridiction reconnaît que la réglementation poursuit des objectifs légitimes de protection des destinataires des services juridiques et de bonne administration de la justice. Ces impératifs constituent des raisons impérieuses d’intérêt général qui peuvent justifier, sous certaines conditions strictes, une entrave à la libre circulation des travailleurs. Une telle règle permet de garantir que le futur avocat acquiert une « réelle expérience de la pratique du droit » ainsi que des règles déontologiques nationales. Elle facilite également le contrôle par l’ordre professionnel des conditions de déroulement du stage et de l’adéquation du contenu de la formation dispensée.
B. L’exigence d’une reconnaissance de l’équivalence des expériences transfrontalières
La mesure est jugée disproportionnée car elle exclut toute possibilité de prouver qu’un stage effectué à l’étranger procure une expérience pratique rigoureusement équivalente au stage national. La Cour estime qu’il ne peut être présumé qu’un juriste formé hors du territoire national ne reçoive pas une formation adéquate sur le droit national. Des mesures moins contraignantes existent, comme la fourniture de preuves sur le contenu des activités ou la convocation du maître de stage par les autorités compétentes. Dès lors que l’avocat encadrant reste inscrit au barreau national, il demeure soumis au pouvoir disciplinaire, garantissant ainsi le respect des exigences de la profession.