Cour de justice de l’Union européenne, le 3 décembre 2020, n°C-320/19

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue en procédure de renvoi préjudiciel, a été amenée à clarifier les modalités de calcul des quotas d’émission alloués à titre gratuit aux nouveaux entrants dans le système d’échange de quotas. En l’espèce, une société exploitant une installation de production de produits amylacés avait demandé le bénéfice de tels quotas pour une nouvelle sous-installation. La détermination de sa capacité installée initiale, fondée sur une brève période de démarrage, avait conduit à constater une utilisation effective de la capacité supérieure à 100 % de cette valeur de référence. L’autorité nationale compétente, se conformant à une pratique de la Commission européenne, avait néanmoins plafonné le coefficient d’utilisation de la capacité à une valeur inférieure à 100 % pour le calcul des allocations. La société a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Berlin, qui a sursis à statuer afin de demander à la Cour si le droit de l’Union s’opposait à l’application d’un coefficient d’utilisation de la capacité supérieur ou égal à 100 %. La Cour a jugé que le coefficient d’utilisation de la capacité applicable devait être interprété comme étant limité à une valeur inférieure à 100 %. Cette solution, qui privilégie une interprétation systémique et téléologique des textes (I), garantit en définitive le respect du principe d’égalité de traitement entre les opérateurs et la sauvegarde des objectifs fondamentaux du système d’échange de quotas (II).

I. L’interprétation restrictive des modalités de calcul pour les nouveaux entrants

Pour parvenir à limiter la valeur du coefficient d’utilisation de la capacité, la Cour a dû dépasser une lecture littérale du texte pour s’attacher à sa place au sein du système d’allocation (A), consacrant ainsi une différence de traitement assumée entre les nouveaux entrants et les installations déjà en place (B).

A. Le dépassement d’une lecture littérale au profit d’une approche systémique

Les juges de l’Union constatent d’abord que le texte de l’article 18, paragraphe 2, de la décision 2011/278/UE ne fournit pas de réponse explicite à la question posée, car il « ne comporte pas de précision portant sur la valeur, en tant que telle, de ce coefficient ». Face à ce silence, et conformément à une méthode d’interprétation éprouvée, la Cour décide qu’il convient d’avoir égard « à l’économie générale de la directive 2003/87 et de la décision 2011/278 ainsi qu’aux objectifs poursuivis par celles-ci ». Cette approche permet de replacer la disposition litigieuse dans son contexte normatif, afin de lui donner un sens cohérent avec l’ensemble du dispositif. Elle écarte ainsi une interprétation isolée qui aurait pu autoriser un coefficient supérieur à 100 %, dès lors que celui-ci reposait sur des informations « dûment étayées et vérifiées de manière indépendante ». La Cour signale par là que la seule véracité des données factuelles ne suffit pas à déterminer la solution juridique si celle-ci devait contrevenir à la logique d’ensemble du système.

B. La consécration d’une distinction de régime entre installations existantes et nouveaux entrants

L’approche systémique conduit la Cour à examiner la différence de traitement entre les installations existantes et les nouveaux entrants. Pour les premières, l’allocation de quotas gratuits est fondée sur des données de production historiques, mesurées sur une longue période de référence afin d’être représentatives de l’exploitation effective. Pour les nouveaux entrants, en revanche, le calcul se base sur la capacité installée initiale, déterminée sur une période très courte de 90 jours. La Cour en déduit qu’il « a été expressément choisi de ne pas faire dépendre l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit aux nouveaux entrants de données qui soient nécessairement représentatives de l’exploitation effective des installations concernées ». Cette différence de situation justifie une différence de traitement. Il ne saurait donc être question de compenser le caractère non représentatif de la capacité installée initiale d’un nouvel entrant par un coefficient d’utilisation supérieur à 100 %, car cela reviendrait à traiter de manière identique des situations que le législateur a entendu distinguer.

II. L’affirmation du principe d’égalité comme clef de voûte du système d’allocation

Le raisonnement de la Cour est principalement guidé par le souci d’assurer une égalité de traitement entre les différents opérateurs, refusant de créer une situation avantageuse pour certaines catégories (A), ce qui permet de conforter les objectifs ultimes du mécanisme d’échange de quotas (B).

A. Le refus d’un traitement plus favorable pour les options de repli

L’argument décisif de la Cour repose sur une comparaison entre les différentes catégories de nouveaux entrants. Le calcul des allocations pour les sous-installations relevant d’un « référentiel de produit », méthode principale prévue par les textes, utilise un « coefficient d’utilisation de la capacité standard » dont la valeur est systématiquement inférieure à 100 %. Les référentiels de chaleur ou de combustibles, comme en l’espèce, ne constituent que des options « de repli », utilisées lorsque le référentiel de produit n’a pu être établi. La Cour estime en conséquence qu’on « ne saurait être retenue une interprétation de cette disposition selon laquelle […] l’application, en tant qu’option de repli, d’un référentiel autre est susceptible de conduire […] à un traitement plus favorable ». Admettre un coefficient supérieur à 100 % pour une option subsidiaire créerait une rupture d’égalité injustifiée au détriment des opérateurs relevant de la méthode principale, ce que la logique du système ne saurait permettre.

B. La sauvegarde des objectifs fondamentaux du système d’échange de quotas

En filigrane, la décision vise à préserver l’intégrité du système d’échange de quotas. La Cour rappelle que l’objectif de la directive est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et que l’allocation de quotas « est donc progressivement appelée à reposer exclusivement sur le principe de la mise aux enchères », considéré comme le système le plus efficace. L’allocation à titre gratuit constitue une exception transitoire qui doit être interprétée de manière stricte. Permettre une allocation plus généreuse pour un nouvel entrant via un coefficient supérieur à 100 % irait à l’encontre de cet objectif de réduction progressive des quotas gratuits. La solution retenue, en limitant le volume de quotas alloués sans frais, s’inscrit donc dans une démarche de rigueur qui renforce l’efficacité environnementale du dispositif et préserve des conditions de concurrence équitables sur le marché du carbone.

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Hassan KOHEN
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